Ce principe de la présomption d'innocence impose dans tout système pénal que la charge de la preuve pèse sur l'Accusation. C'est au Procureur de démontrer que l'accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable des faits qu'il lui impute. Reconnu bien avant la mise en place des juridictions pénales internationales il est inscrit dans leurs textes fondateurs et fait partie des droits fondamentaux reconnus à la Défense.
A la création de l'Organisation des Nations Unies, les 58 Etats qui constituent en 1948 l'Assemblée générale votent la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Ils disent dans l'article 11 que « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées».
Les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux qui gouvernent le droit international humanitaire dans leurs articles 75 4. d) et 6 2. d), la Convention européenne des droits de l'Homme dans son article 6. 2) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques à l'article 14. 2) en disposent de même, dans les mêmes termes. Enfin, le principe est repris tel quel dans la majorité des textes nationaux gouvernant la procédure pénale.
De ce fait, il n'incombe pas à l'accusé de prouver son innocence face aux faits qui lui sont reprochés. Toutefois, il a l'opportunité de présenter des moyens de défense notamment en vertu de l'article 67 du Règlement de procédure et de preuve du TPIR.
Jean-Pierre Fofe Djofia Malewa, dans un livre intitulé "La question de la preuve devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda le cas Cyangugu » (L'Harmattan, 2006), considère que « l'invocation d'un tel moyen de défense (...) ne renverse pas la charge de la preuve » même si « il [l'accusé] a intérêt à produire des éléments de preuve pour emporter la conviction des juges et mettre à mal les allégations du procureur en suscitant un doute raisonnable ».
Et c'est justement le but de l'alibi : « jeter un doute raisonnable sur les allégations du Procureur (to cast a reasonable doubt on the Prosecution case) » (arrêt Musema, 16.11.01). D'après les Juges d'appel du TPIR, l'accusé « se contente d'invoquer des éléments de preuve tendant à établir qu'il n'était pas présent au moment du crime allégué» (arrêt Musema, 16.11.01). Ils se sont prononcés ainsi notamment dans les affaires Clément Kayishema et Obed Ruzindana puis Alfred Musema et enfin dans l'affaire « Médias ».
Pourtant, dans l'affaire qui oppose le Procureur à Alfred Musema justement, ce dernier invoque dans ses moyens d'appel le fait que la Chambre de première instance, bien qu'ayant « correctement exposé le droit applicable à l'appréciation de l'alibi», « a mal appliqué la charge et la norme» (arrêt Musema, 16.11.01).
Ce sont des termes qu'elle emploie que soulève Musema à l'appui de cette assertion. Il cite : « la Chambre n'a toutefois pas été convaincue par ces explications », les documents « ne sauraient à eux seuls, suffire pour écarter la possibilité que Musema ait été présent», « les preuves avancées ne sont pas suffisantes pour jeter le moindre doute sur les éléments de preuve accablants et crédibles produits par le Procureur», enfin « l'alibi ne réfute pas spécifiquement la présence de Musema» (arrêt Musema, 16.11.01).
Notant la remarque, la Chambre d'appel étudiera l'intention des premiers juges par rapport à l'emploi de tels mots. Elle conclura que la Chambre de première instance n'a pas opéré de renversement de la charge de la preuve.
La Juge Inès Weinberg de Roca dans son opinion dissidente, dans l'appel de Jean de Dieu Kamuhanda en 2005, soulève le même type d'expressions employées par la Chambre de première instance et qui, de son point de vue, « suggèrent un retournement de la charge de la preuve» (arrêt Kamuhanda, 19.09.05).
Elle considère, elle, que « l'usage répété de tels termes soulève la possibilité que, bien que la Chambre de première instance ait correctement exposé la loi applicable au début de son analyse, son application ultérieure n'est pas irréprochable» (arrêt Kamuhanda, 19.09.05).
Dans «Médias», la Chambre d'appel retiendra finalement l'alibi de Hassan Ngeze en considérant que « la Chambre de première instance a versé dans l'erreur en concluant que les témoignages sur l'alibi étaient totalement contradictoires» (arrêt Médias, 28.11.07).
Les Juges d'appel considèrent en effet que « la corroboration [de témoignages] peut être constatée même lorsque les détails des faits qui sont rapportés par les différents témoins divergent sur certains points, pour autant qu'aucun des témoignages crédibles ne comporte une description fiable des faits incompatibles avec un autre témoignage crédible» (arrêt Médias, 28.11.07).
La Chambre d'appel rappellera également qu'il « revient à l'accusé de choisir quelle stratégie de défense adopter afin de soulever un doute dans l'esprit des juges (...) à travers la production de preuves visant à justifier ou à établir l'alibi invoqué » et il appartient au Procureur de prouver que les faits qu'il rapporte sont vrais. Mais « rien n'impose (...) au Procureur de mener une enquête sur l'alibi» (arrêt Médias, 28.11.07) comme le réclamait Hassan Ngeze puisqu'il n'avait pas pu lui-même entrer en possession des documents prouvant son alibi.
AV/PB
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