Le 9 mars, dans le village de Bohdanivka, dans le district de Brovary de la région de Kiev, le militaire russe Mikhail Romanov s'est introduit par effraction dans une résidence privée, selon l'acte d'accusation du bureau du procureur d'Ukraine. Après avoir ouvert le portail d'entrée, Romanov a fait face à un civil qui ne participait pas aux actions de combat, n'avait pas d'arme et ne représentait pas une menace pour les soldats russes qui avaient envahi l'Ukraine le 24 février.
Selon la victime rescapée, Romanov n'était pas seul. Il était avec un autre soldat plus jeune, âgé d'une vingtaine d'années, qui n'a pas encore été identifié. « Le jeune homme a pointé une arme sur sa tête et lui a dit : ‘Je vais tuer ton mari parce que c'est un nazi’ », a déclaré cette femme qui a survécu à l'attaque présumée au journal londonien The Times, dans un article publié fin mars. Elle a affirmé que Romanov avait tué son mari avec son arme de poing. Puis les deux soldats russes auraient commencé à la violer. Des informations à ce sujet ont été fournies par le Bureau du procureur ukrainien. Ils auraient forcé la femme à se déshabiller et l'auraient violée l’un après l’autre. Environ une heure plus tard, les soldats seraient revenus pour violer la femme à nouveau. Et 40 minutes plus tard, ils seraient revenus pour la troisième fois, en état d'ébriété, et se seraient encore moqués d’elle.
La victime a contacté la police ukrainienne pour dénoncer ces crimes. Elle aurait reconnu Romanov sur une photo.
L'accusé est-il mort ou vivant ?
Le 30 mai 2022, le procès de Romanov a été renvoyé devant le tribunal de district de Solomianskyi, à Kiev. Romanov est décrit comme un militaire du 239e régiment de la 90e Garde blindée de la division Vitebsk-Novgorod des forces armées de la Fédération de Russie. Il s'agit du premier procès pour viol en tant que crime de guerre en relation avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Mais l'accusé n'est pas en détention.
Romanov ayant le droit d'être informé des procédures pénales engagées contre lui, il a été demandé de publier les convocations aux audiences sur le site Internet du tribunal, ainsi que dans certains médias d'État ukrainiens tels que le "Uriadovyi Kurier" ("Courrier du gouvernement"), afin de lui donner l’opportunité de comparaître devant le tribunal. Ce n'est qu'après que le tribunal se sera assuré que Romanov a été correctement informé du procès et que sa non-comparution est volontaire, qu'il sera possible d'entamer une procédure judiciaire spéciale, une audience par contumace.
Le complice non identifié de Romanov fait l'objet d'une procédure distincte. Selon le code pénal ukrainien, ce type de crime est passible d’une peine allant de 10 ans d'emprisonnement à la perpétuité.
Les enquêteurs pensent que Romanov réside actuellement en Russie. Mais certaines informations diffusées sur les médias sociaux affirment qu'il a été tué. Dès le 17 mars, le rédacteur en chef du portail "Rusjev", Vitaly Rozhdaev, a écrit que "le violeur et criminel de guerre Romanov, qui a torturé des gens à Bohdanivka" avait été tué par les forces armées ukrainiennes. Le blogueur Dzhedzula a rapporté la même information sur Facebook.
Les forces de l'ordre ukrainiennes affirment ne pas avoir d'informations sur la mort de Romanov. Ils conseillent officieusement de référer ces "rumeurs" à "ceux qui les répandent". Mais s'il s'avère que l'accusé est mort, ils sont alors prêts à prendre la décision prévue par la loi, à savoir classer l'affaire.
La divulgation de l'identité de la victime
L'avocat Andrii Domanskyi, du Centre d'aide juridique gratuite, représente Romanov devant la cour. Il n'a encore émis aucun commentaire sur le fond de l'affaire. Le procureur a également déposé une requête pour un procès à huis clos. La procédure pénale l'autorise parce qu'il s'agit d'un crime sexuel, afin d'empêcher toute divulgation d'informations sur l'identité de la victime, sur les circonstances de sa vie personnelle et familiale, et toute diffusion d'informations susceptibles d'humilier la personne.
Les informations qui peuvent aider à identifier la victime d'un viol auraient dû être gardées confidentielles dans la publication des charges, mais elles ne l'ont pas été. Son identité a été divulguée dans l’ordonnance initiale du procureur, signée par l'adjoint du département d'enquête de la police de Brovary, Volodymyr Bilko, le 12 mars. Le procureur du district de Brovary, Volodymyr Ponomarenko, a approuvé cette ordonnance.
Selon le parquet, des mesures sont désormais prises pour faire respecter les droits de la victime autant que possible. "La procédure judiciaire se déroule actuellement à huis clos, comme vous pouvez le constater", explique la procureure de la région de Kiev, Oksana Kalyus, qui est en charge du dossier devant le tribunal. "Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. Chacun est responsable de son travail", ajoute-t-elle, refusant de commenter la malheureuse divulgation de ses collègues.
Quel est le seuil de la preuve pour un viol ?
Devant le tribunal, la police a procédé à l'interrogatoire de la victime, à l'identification de Romanov sur la photo par la victime et les témoins, à l'inspection de la scène du crime, à la reconstitution de la scène du crime et à des examens psychologiques de la victime. Mais comme le procès est suspendu, le procureur a refusé de révéler plus de détails sur les preuves recueillies contre Romanov.
Le procureur affirme que les preuves pour les viols en temps de guerre sont recueillies de la même manière que pour les viols en temps de paix. Tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. "Je suis fermement convaincue que les preuves de la culpabilité doivent être différentes", déclare Larysa Denysenko, militante des droits de l'homme et cofondatrice de l'Association ukrainienne des femmes juristes "JurFem". "Et j'insiste sur ce point. La Cour pénale internationale n'exige pas de rapports médicaux obligatoires. Le témoignage de la victime devrait suffire. Or, d'après ce que je comprends, même si le bureau du procureur a changé son approche de l'interrogatoire, ce que je considère comme un progrès, il utilise toujours la même approche de la preuve, typique des crimes sexuels : rapports médicaux, déclarations de témoins, inspection de la scène des événements et preuves matérielles du crime." Pour Denysenko, la parole de la victime est suffisante. "Tout le monde fait de son mieux pour rechercher d'autres preuves. Mais lorsque c'est tout simplement la seule chose dont dispose la cour, elle procède selon le principe de la confiance inconditionnelle. Pourquoi est-il important de se fier à la parole d'une rescapée ? Les bleus sur le corps disparaissent, le corps guérit, les témoins s'éteignent ou disparaissent, mais les blessures mentales demeurent. Ces crimes sont imprescriptibles. La personne a le droit d'être entendue et a droit à la justice", explique-t-elle.
Officiellement, neuf cas de viols présumés commis par des troupes russes font actuellement l'objet d'une enquête dans la région de Kiev. Seuls deux avis sur des suspects ont été émis jusqu'à présent, dont celui contre Romanov.
Ce reportage fait partie d’une série sur les crimes de guerre, réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».