Les membres des unités armées des petits États non reconnus de l'est de l'Ukraine – la République populaire de Louhansk (RPL) et la République populaire de Donetsk (RPD) – qui ont décidé de combattre les troupes gouvernementales ukrainiennes et ont été capturés après le 24 février, sont actuellement jugés par le tribunal de Chevtchenkivskyi, à Kiev. Selon les documents judiciaires de l'une de ces procédures, au moins 40 de ces citoyens ukrainiens ont rejoint l'armée de la Fédération de Russie, ont participé à l'invasion de l'Ukraine sous commandement russe, et sont aujourd'hui des prisonniers de guerre.
Lors des procédures auxquelles nous avons assisté fin juin, les accusés y ont participé par liaison vidéo depuis le "Camp de détention des prisonniers de guerre 'Ouest-1'", géré par l’Etat. Ils ont été invités un par un devant un juge. Il y a seulement un mois et demi, des prisonniers de guerre de la RPD autoproclamée, confrontés à la même situation, avaient été jugés en personne devant le tribunal de Vinnytsia. L’explication donnée à "Sudovyi Reporter" est que, à l'époque, le camp pour les prisonniers de guerre n'était pas correctement équipé, et qu'il n'était pas possible de savoir où ces hommes pouvaient être gardés. Aujourd'hui, la situation s'est éclaircie et tous ont pu assister à l’audience à distance. Mais le camp ne peut connecter que deux prisonniers à la fois, car il ne dispose que de deux salles d'audience équipées pour de telles procédures. Sur la vidéo, on peut donc entendre l'officier appeler un par un les prévenus qui attendent dans le couloir.
Les accusés sont toujours accompagnés d'un avocat fourni par l'État, n’étant pas en mesure de s'en payer un par eux-mêmes. Il est intéressant de noter que tous les accusés insistent pour être jugés rapidement par un seul juge au lieu du panel habituel de trois magistrats, et sans jury, comme cela est prévu dans les affaires qui peuvent aboutir à un emprisonnement à vie. La raison en est simple : ils s'attendent à être échangés avec des prisonniers de guerre de l'autre camp et à rentrer rapidement chez eux. Une source auprès des services de sécurité affirme que des natifs de Donetsk, de Louhansk et de Crimée [autre partie de l'Ukraine occupée par la Russie depuis 2014] précédemment condamnés dans des circonstances similaires pourraient déjà être échangés ou sur le point de l'être.
Procédure différente selon les juges
Le 27 juin, le juge Yevhenii Sydorov a tenu quatre audiences préliminaires l'une après l'autre. Les accusés et leurs avocats souhaitaient que le procès ait lieu le même jour que l'audience préliminaire. Mais c'était impossible car le juge devait se retirer pour délibérer et ne pouvait pas examiner d'autres affaires avant le prononcé du verdict. C'est la raison pour laquelle le juge Sydorov a programmé ces audiences sur une période de trois jours.
Le lendemain, les juges Ovsepian, Buhil et Slobodianiuk ont statué sur des affaires similaires. Les juges ont eu des approches légèrement différentes. Par exemple, le juge Sydorov a estimé qu'il était nécessaire d'examiner deux ou trois volumes de preuves écrites, alors que la défense était en faveur d'un examen simplifié, c'est-à-dire sans passer par ces preuves puisque l'accusation n'était pas contestée. D'autres juges ont préféré la procédure simplifiée et se sont contentés d'interroger les accusés et de procéder à un examen de personnalité.
L'explication de la méticulosité particulière du juge Sydorov dans l'examen de ces affaires se trouve dans son parcours. C’est un ancien juge du tribunal militaire de Khmelnytskyi et, avant cela, un enquêteur et procureur au parquet militaire. Fin 2010, les tribunaux militaires ont été abolis et Sydorov est devenu juge au tribunal de Shevchenkivskyi, à Kiev. Il défend publiquement la nécessité de tribunaux militaires en Ukraine.
Premières condamnations
Les avocats de la défense ont eu des difficultés à obtenir certains documents relatifs à la situation familiale ou au lieu de travail des accusés auprès de leurs proches vivant dans les territoires occupés. Mais pour tous les accusés il existait au moins un dossier émanant du camp de prisonniers. Ces documents pouvaient offrir un éclairage sur leur comportement là-bas. Lors de toutes les audiences auxquelles nous avons pu assister, les commentaires de la part des autorités du camp étaient tous positifs : le prisonnier respectait les règles sanitaires, gardait sa table de chevet en ordre, participait à l'amélioration des conditions de vie dans le camp, entretenait des relations amicales avec ses codétenus.
Selon les documents fournis, ces hommes sont arrivés dans le camp en mai. Mais avant cela, certains d'entre eux étaient détenus dans des centres de détention provisoire ou des établissements correctionnels dans différentes régions d'Ukraine. En fait, de nombreux prévenus ont déjà comparu devant un tribunal. Les 20 et 24 mai derniers, le tribunal de Pavlohradskyi et celui de Petropavlovskyi, dans la région de Dnipropetrovsk, ont en effet jugé ces prisonniers pour leur participation à des unités armées illégales et pour violation de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, les condamnant à des peines de 8 à 10 ans d'emprisonnement. Ce n'est qu'ensuite qu'une partie des documents, relatifs à la trahison et aux activités terroristes, a été envoyée à Kiev. On ne sait toujours pas pourquoi cela s'est passé de cette manière. Selon le procureur Yurii Ushatyi, qui a présenté les dossiers devant le tribunal de Kiev, cela est dû au fait que différents crimes ont fait l'objet d'enquêtes par différents services de police. En tout état de cause, le bureau du procureur de Kiev a reçu ces dossiers alors que les accusés avaient déjà été condamnés dans la région de Dnipropetrovsk.
La plupart des juges annonçaient un verdict pour le lendemain matin. Cependant, le 28 juin, le juge Buhil a tenu l’audience préliminaire et l’audience au fond en une heure environ, interrogeant brièvement le combattant de la RPD Leonid Huseinov, et annonçant 15 minutes plus tard une peine de 12 ans d'emprisonnement à son encontre, avec confiscation des biens.
L'histoire d'Oleksandr Shpak
Les accusés peuvent être divisés en au moins deux groupes : ceux qui ont signé plus ou moins volontairement un contrat de service militaire avec les autorités autoproclamées des territoires occupés, et ceux qui disent avoir été mobilisés de force.
Oleksandr Shpak, Yurii Smelik et Serhii Derkachov avaient signé un contrat. En janvier 2022, ils ont intégré la compagnie de maintenance séparée de la 2e Brigade d’infanterie séparée du Second corps d’armée de la police du peuple de la RPL autoproclamée. Le 30 mars, ils sont tombés sur des soldats ukrainiens et se sont rendus sans combattre, près du village de Makiivka, dans le district de Kremenets, en région de Louhansk.
Shpak, 29 ans, se considère comme un citoyen ukrainien et possède un passeport valide. Dans le cadre de son contrat, il était employé en tant que "manutentionnaire". Le 9 février 2022, sa compagne a donné naissance à des jumeaux. La famille élève également deux enfants issus du premier mariage de la femme, âgés de 8 et 12 ans.
"Il y avait des rumeurs sur la mobilisation. J'avais peur d'être mobilisé. Nous n'avons personne pour s'occuper des enfants si je suis mobilisé. Alors j'ai signé le contrat", explique le prévenu, passant régulièrement du russe à l'ukrainien. "J'ai été affecté à la compagnie de maintenance. C'était comme un travail normal : deux jours de travail, deux jours à la maison. J'essayais de passer plus de temps avec les enfants... Selon le contrat, je restais à Luhansk et je pouvais être à la maison tous les jours. Si j'avais été mobilisé, je ne sais pas où ils m'auraient envoyé..."
L'homme dit avoir été payé jusqu'à 10 000 roubles russes (environ 160 dollars américains). Cet argent lui a été remis en liquide, le 8 et 9 février 2022. Le paiement a également été enregistré sur vidéo. Le 24 février, à 5-6 heures du matin, Shpak, sur ordre d'un officier supérieur, reçoit un fusil d'assaut Kalachnikov avec quatre chargeurs, et il part avec les troupes russes dans la direction de Triokhizbenka.
- "Pourquoi avez-vous obtenu l'arme exactement le 24 février ?" demande le procureur.
- L'officier supérieur a dit que nous allions quelque part pour trois jours. Ils ont distribué des armes, des munitions, des gilets pare-balles, des casques... Personne ne savait où nous allions."
"Pourquoi avez-vous signé le contrat ?"
- "Je n'ai pas pris part à des affrontements armés avec les forces armées de l'Ukraine", poursuit Shpak.
- "Lorsque nous sommes partis le 24 février, j'étais enregistré comme manutentionnaire, un peloton d'évacuation transportant des véhicules militaires hors d'usage. Nous arrivions pour remorquer le véhicule; il y avait des véhicules légers et des véhicules blindés lourds. On les remorquait et on les transportait, avant que d'autres ne les réparent." Quand il est capturé avec ses camarades, il n'y a aucun échange de tirs.
- "Pourquoi aviez-vous une arme ?
- Je ne l'ai jamais utilisée. Quand ils m'ont appréhendé... quand nous avons été capturés, nous avons rendu nos armes. Je ne l'ai jamais utilisée.
- Quels documents aviez-vous sur vous ? demande le juge.
- Aucun.
- Un passeport ?
- Il n'y avait rien sur moi.
- Et où étaient vos documents ?
- A la maison.
- Y a-t-il eu des combats dans la zone où vous avez été capturé ?
- Non, c'était calme là-bas."
L’accusé explique avoir été envoyé dans la région pour récupérer un véhicule en panne.
- "Quel genre de véhicule était-ce ? Était-il détruit ?
- Il semble qu'ils n'aient tout simplement pas réussi à le faire démarrer.
- Il était cassé ou quoi ?
- Je ne peux pas l'expliquer. Ils ont dit qu'il ne démarrait tout simplement pas et qu'il était nécessaire de venir le chercher."
Le juge demande si ce témoignage est étayé par des preuves. Le procureur répond que les deux autres détenus ont raconté une histoire similaire : on leur avait demandé d'évacuer un véhicule d'un endroit particulier, ils ont engagé un dialogue avec des soldats qu'ils considéraient comme venant de la RPL ou de la Fédération de Russie, "mais en discutant, ils ont découvert que les militaires appartenaient aux Forces armées ukrainiennes ; par conséquent, il n'y a pas eu de coup de feu", raconte le procureur. Le juge reprend l'interrogatoire de l'accusé.
- "Savez-vous que l'Ukraine a mis en place la loi martiale ?
- Je le sais maintenant, oui.
- Pourquoi avez-vous signé le contrat alors ? Vous avez dit vous-même que vous avez signé le contrat pour éviter la mobilisation.
- Je ne pouvais pas quitter cette république car ma femme était à l'hôpital. C'était impossible pour moi d'y échapper.
- Néanmoins, Shpak, quelle était la raison derrière la signature du contrat ? insiste le juge.
- Pour passer le checkpoint en toute sécurité et pour rentrer chez moi en toute tranquillité, pour éviter la mobilisation. Il y a un poste de contrôle à la périphérie de Luhansk. Ils arrêtent et effraient tout le monde là-bas.
- Mais vous n'aviez pas de papiers. Vous avez dit vous-même qu'on ne vous a pas donné de papiers.
- Vous demandez pourquoi exactement j'ai signé le contrat ?
- Oui. Quelle était la raison pour laquelle vous avez signé le contrat ?
- Pour être à la maison avec les enfants. Et pour passer [le poste de contrôle] en toute sécurité."
Haute trahison
Au cours des débats, le procureur Ushatyi déclare qu'il a été établi au cours de la procédure judiciaire que l'accusé était un militaire sous contrat de l’unité militaire d'une organisation terroriste ; il a d'abord été employé à des fonctions de garde et, à partir du 24 février, il a été impliqué dans la réparation d'équipements utilisés dans la guerre contre l'Ukraine. Par conséquent, ses actions constituent une haute trahison, à savoir la collaboration avec l'ennemi pendant un conflit armé et la participation à une organisation terroriste.
L'avocate de la défense, Vira Karpinets, tente d'atténuer l'attitude de la cour envers son client.
"Il vivait sur le territoire de cette organisation terroriste. Les certificats de naissance de ses enfants ont été délivrés par cette organisation terroriste. La seule chose de valeur sur le territoire de cette organisation terroriste est sa famille... Je n'ai aucun doute sur le fait que la seule solution pour lui était de signer le contrat, et de rejoindre la compagnie de maintenance. Son poste se réduisait à l'évacuation des équipements endommagés. Il n'a pas pris part aux combats. Même son arrestation s'est déroulée sans fusillade. J'insiste sur le fait qu'il ne faut pas recourir à la confiscation des biens... Il aimerait voir ses enfants le plus tôt possible", plaide-t-elle.
"Je vous prie de comprendre, de me pardonner ; je me repens. Je n'ai jamais rien planifié de tel, je n'ai jamais utilisé d'arme", déclare Shpak dans son allocution finale. "J'ai même aidé les habitants quand ils déménageaient, parce qu'il n'y avait pas d'électricité dans les lieux d’habitation ; nous donnions de la nourriture, du diesel, de l'essence pour les générateurs. Nous avons fait ce que nous pouvions."
Le juge Sydorov condamne Shpak à 12 ans de prison. Combinée au verdict antérieur du tribunal de Pavlohradskyi, la peine finale est de 12 ans et six mois d’emprisonnement.
Pendant que le juge délibère, le procureur se rend dans une autre salle d'audience où l'un des complices de Shpak est jugé.
Yurii Smelik est né en 1972. Il n'a pas terminé l'école secondaire et a plusieurs condamnations pénales à son actif - au début des années 90 et en 2001. Le 20 mai 2022, le tribunal de Pavlohradskyi l'a condamné à dix ans de prison pour atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et participation à une formation armée illégale. En territoire occupé, l'accusé a une femme, trois enfants adolescents, et un fils handicapé de 22 ans qui a marché sur une mine antipersonnel en 2015, et a perdu une jambe.
Smelik était chauffeur-mécanicien de BMP-1 dans l'unité militaire de l'armée de la RPL. Le jour de son arrestation aux côtés de Shpak, c'est lui qui connaissait l'emplacement du matériel militaire endommagé à remorquer.
Smelik plaide coupable. La juge Tetiana Ovsepian prévient que, dans ce cas, il ne pourra pas faire appel du verdict sur le fond, mais seulement de la sentence.
- "Lorsque vous avez signé le contrat, avez-vous réalisé les conséquences ?" demande la juge.
- Que nous allions à la guerre ? Je n'ai jamais pensé qu'il y aurait une guerre", répond Smelik.
Ruslan Mykhaliov, le "travailleur ordinaire" enrôlé de force
Ruslan Mykhaliov est né en 1990. Résident de Donetsk, il est devenu mineur. Selon lui, il a été mobilisé de force le 24 février, à l'arrêt de transport public Ploshcha Svoboby, alors qu'il rentrait chez lui. "Je me tenais à l'arrêt, en rentrant du travail. Deux personnes sont arrivées en voiture et m'ont fait monter dedans ; ils étaient du bureau du commandant. Ils m'ont emmené au bureau de recrutement militaire, n'ont laissé sortir personne, ont rempli la paperasse. Puis ils m'ont mis dans le bus et m'ont emmené à l'usine de transformation de la viande", déclare-t-il lors d'un entretien plusieurs semaines avant le procès.
Avec un défaut de vision congénital et un certificat d'inaptitude au service militaire, il est néanmoins enrôlé dans l'armée de la RPD en tant que tireur d'élite.
"Nous sommes allés en Fédération de Russie, dans la ville de Belgorod. Le lendemain, on nous a mis dans un bus et conduits au village de Vesioloie. Nous avons passé environ deux semaines à Vesioloie, à ne faire pratiquement rien, à former des rangs. Après cela, on nous a emmenés dans le village de Kutuzivka, dans la région de Kharkiv. Deux de mes associés s'y sont échappés. Nous avons également réussi à fuir et à nous cacher dans une cave. Le 27, nous nous sommes rendus aux forces armées ukrainiennes."
Trois autres hommes se sont rendus aux côtés de Mykhaliov.
- "Avez-vous un passeport en tant que citoyen de la Fédération de Russie ? demande le juge Sydorov en feuilletant les éléments du dossier.
- Oui.
- Quand l'avez-vous reçu ?
- Octobre de l'année dernière. Ils ont dit sur mon lieu de travail que je devais l'avoir. Donc, je l'ai eu pour qu'ils ne me virent pas.
- Avez-vous renoncé à la citoyenneté de l'Ukraine ? Avez-vous fait une déclaration ? Vous êtes-vous adressé au président ?
- Non.
- Donc, vous êtes un citoyen de l'Ukraine et pouvez le confirmer ?
- Oui.
- On vous a remis une arme, quelle était-elle ? demande le procureur.
- Fusil d'assaut."
Mykhaliov confirme que lui-même et d'autres hommes mobilisés ont été transportés en Ukraine dans des véhicules conduits par l'armée russe.
- "Quels étaient vos objectifs dans la région de Kharkiv ?
- On ne nous en a pas donné. On nous a dit de creuser des tranchées et de rester sur place."
L’accusé déclare que, pendant environ un mois, ils vérifiaient les papiers des personnes qui passaient par leur poste. Il affirme qu'ils n'ont détenu personne, car tous les passants étaient des locaux. Il affirme également n'avoir jamais tiré un seul coup de feu.
- "Vos supérieurs vous ont-ils expliqué la raison de votre séjour dans la région de Kharkiv ?
- Non. Nous avons essayé d'être ramenés chez nous. On nous a dit que si nous rentrions, cela signifiait dix ans [d'emprisonnement pour évasion].
- Donc, si vous deviez servir dans la région de Donetsk, cela ne vous dérangerait pas du tout ?
- Je voulais juste rentrer chez moi. Je n'étais pas un appelé du contingent. J'allais juste sur mon lieu de travail. Je n'ai jamais tenu une arme de ma vie. On s'est fait avoir. On a demandé à être ramenés chez nous. J'ai un certificat attestant que ma vue n’est pas bonne. Mais c'était inutile. Personne ne voulait m'écouter."
"Trahir ma patrie"
L'avocat de la défense, Denys Chekhov, demande à son client s'il a été appelé au service actif. Ce dernier a affirmé à plusieurs reprises que ce n'était pas le cas, car il n'était pas apte au service militaire et avait un "blanc seing".
- "Avez-vous reçu un salaire alors que vous étiez en service actif dans la RPD ? demande le procureur.
- Non.
- A-t-on promis de vous payer ?
- Ils ont promis de payer quelque chose.
- Et donc vous n'aviez pas besoin d'argent ? Vous avez été nourri sur place ? demande le juge.
- La nourriture était préparée dans la cuisine ambulante.
- Avez-vous participé à des pillages dans les territoires ukrainiens occupés ?
- Non.
- [Et] pour se nourrir ? Il y a beaucoup d'images de vol de poulets...
- Non, nous n'avons pas participé à ça.
- Lorsque vous étiez dans la région de Kharkiv, des combats et des bombardements ont-ils eu lieu ?
- Des combats - oui. Nous étions sous les bombardements, et nous avons entendu des tirs quelque part au loin. Je ne sais pas qui c'était.
- Vous prétendez que vous n'avez même pas tiré avec votre arme.
- Je ne l'ai pas fait, on ne faisait que creuser les tranchées.
- Avez-vous communiqué avec les habitants pendant la durée de votre séjour dans la région de Kharkiv ?
- Les gens ne voulaient pas nous parler.
- Alors, vous avez compris que vous étiez les envahisseurs ou pas ?
- Oui, répond-il de façon inintelligible.
- Avez-vous essayé d'entreprendre des actions, en tant que citoyen ukrainien, pour quitter cette région ? Pour empêcher le conflit armé ?
- Deux de nos gars se sont échappés et personne... je ne sais pas ce qui leur est arrivé.
- Votre unité a-t-elle subi des pertes ?
- Oui.
- Pouvez-vous révéler le nombre de victimes dans votre peloton et votre compagnie ?
- Je ne peux rien dire sur le peloton, mais nous avons perdu trois hommes dans la compagnie, directement touchés.
- Comment s'est passé le remplacement ?
- Le remplacement des hommes ? Il n'y en a pas eu.
- Y a-t-il eu des tirs sur la population civile, sur les citoyens ukrainiens ?
- Non.
- Connaissez-vous de tels cas dans votre unité ?
- Non.
- Dites-vous la vérité, accusé ?
- Oui. Je n'ai jamais... je suis un mineur, un homme ordinaire travaillant à la mine. Je suis un travailleur ordinaire.
- Vous avez dit que vous vous repentiez de tout votre cœur. De quoi vous repentez-vous ?
- D’avoir trahi ma patrie.
- Le comprenez-vous ? Est-ce que vous le réalisez ?
- Oui, je m'en rends compte.
- Avez-vous eu l'occasion de quitter le territoire occupé ?
- Non, non.
- Si vous êtes condamné, retournerez-vous dans le territoire contrôlé par la Fédération de Russie (RPD) ou resterez-vous en Ukraine ?
- Ma femme est à Donetsk.
- Comprenez-vous que vous serez renvoyé au front ?
- Non, je n'irai pas. J’en suis sûr à 100%.
- Quelles actions pouvez-vous entreprendre pour ne pas être mobilisé ? demande le juge.
- Je me casserai la jambe.
- Connaissez-vous des cas d'automutilation parmi vos camarades militaires ? Cela s'est-il produit ?
- J'ai entendu parler de [personnes] qui se sont tirées dans la jambe.
- Que pensent les habitants des régions de Donetsk et de Luhansk de la guerre ?
- Personne ne veut la guerre. Je sais que je ne la voulais pas. Je travaille dans la mine depuis 2010. Je voulais juste travailler."
L'accusation a requis une peine de 12 ans d'emprisonnement contre Mykhaliov.
Ce reportage fait partie d’une série sur les crimes de guerre, réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une version plus longue de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».