Ce mercredi 28 septembre 2022, un soleil de plomb écrase le tribunal ad hoc et la minuscule cour devant son entrée. C’est ici que des tentes ont été montées pour abriter officiels guinéens, diplomates étrangers et membres des organisations internationales. Il y a le président du Conseil national de transition (CNT) – l’assemblée nationale de la Guinée post-coup d’État – et quelques figures influentes de la junte au pouvoir, le CNRD, comme le colonel Balla Samoura, patron de la gendarmerie. Il y a également la représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les violences sexuelles, Pramila Patten, et le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan qui salue l’instant, ajoute que « ce n'est que le début d'un processus » et assure que la CPI le suivra « de très près ». Ils sont venus assister à la cérémonie d’inauguration et d’ouverture du procès sur le massacre du 28 septembre 2009, qui avait fait au moins 156 morts et des centaines de blessés. L’homme fort de la Guinée depuis un an, le colonel Mamadi Doumbouya, pourtant attendu, n’a finalement pas fait le déplacement.
Dans la salle d’audience, des chaises ont été installées pour pallier les retards dans la livraison du véritable mobilier qui devra être mis en place plus tard. Au niveau du parterre et de la mezzanine, il n’y a plus aucune place de libre. Arrivés en dernier, les journalistes tentent de trouver un endroit où positionner leurs caméras. Des dizaines de médias guinéens sont présents ainsi qu’une poignée de journalistes étrangers. A 15 heures, les conversations cessent soudain, et tous les regards se tournent vers l’homme qui vient de faire son entrée.
Un ancien chef d’État à la barre
Boubou blanc étincelant, Moussa Dadis Camara, au pouvoir de décembre 2008 à janvier 2010, se dirige tranquillement vers un box vitré. Il est 15h15 quand le procès s’ouvre avec l’appel des accusés. Du haut d’une estrade aux trois couleurs nationales, un juge, robe rouge et col blanc, lit à l’ancien chef de l’Etat les charges qui pèsent contre lui. « Vous comparaissez devant ce tribunal pour avoir (...), en pleine connaissance de cause, par provocation, fourniture d'instructions, participé aux meurtres et aux assassinats commis » dans et autour d’un stade de la banlieue de Conakry, le 28 septembre 2009, énonce le président Ibrahima Sory Tounkara face au capitaine Camara puis, tour à tour, aux dix autres co-accusés présents. Tous sont des militaires et agents gouvernementaux de l’époque. Le président a choisi de ne pas leur demander s'ils plaidaient ou non coupables.
Ces soldats ou gendarmes de grades divers sont accusés d'une litanie de crimes : violences sexuelles, actes de torture, enlèvements, séquestrations, incendies et pillages. Le public plonge dans l’horreur lorsque la cour retrace cette effroyable journée du 28 septembre et les jours qui ont suivi. Le meurtre de manifestants pacifiques, les blessés que l’on empêche de recevoir des soins dans les cliniques de Conakry, les viols… C’est un procès pour « l’histoire », fait valoir la cour qui autorise, fait exceptionnel, à filmer durant l’audience. Télévisions privées ou publique, toutes les chaînes diffusent alors les mêmes images en Guinée.
L’espoir et les craintes des femmes victimes
Les accusés sont invités à se présenter un à un à la barre. Nom, prénom, situation matrimoniale, professionnelle. Quand vient le tour de Moussa Dadis Camara, il se lève doucement pour se placer devant le pupitre en bois verni. « Puis-je garder mes lunettes ? », demande-t-il, poliment, au président du tribunal. Il répond aux questions d’une petite voix. A l’écoute des chefs d’accusation, il reste impavide. Mais une fois retourné sur son banc, il ne tient plus en place, cherchant dans ses poches frénétiquement, jouant avec sa gourmette en or surdimensionnée. Sur lui pèsent les regards de dizaines de femmes qui ont été victimes de violences sexuelles au stade de Conakry. Elles sont partout dans le public. « On a été beaucoup plus touchées que les hommes », confie l’une d’elles juste avant le début de l’audience. « Le 28 septembre 2009 est un jour inoubliable pour moi. Cela fait 13 ans jour pour jour, alors je suis vraiment heureuse d’assister à l’ouverture de ce procès. On s’est battues pendant tout ce temps, je ne pensais pas que ce jour arriverait. Je prie Dieu pour que ce procès arrive à son terme sans problème. Peut-être que grâce à ce procès, plus jamais une chose pareille ne se passera dans notre pays. » Elle dit être là pour obtenir « réparation ». Elle peine encore à mettre des mots sur ce qui lui est arrivé et n’a pas encore décidé si elle allait témoigner durant le procès.
L’un des défis de ce procès sera d’ailleurs le traitement médiatique et l’utilisation de l’image des victimes. En s’exposant, ces femmes risquent de subir de nouveau le rejet, la honte et la stigmatisation. Le jour de cette audience initiale, ces débats animent les journalistes guinéens. Fallait-il qu’ils soient là ? Ou ce procès, trop sensible, devait-il plutôt se faire à huis clos ? Quelles mesures ont été pensées pour permettre aux victimes de témoigner sous couvert d’anonymat alors que les accusés continuent de faire peur, notamment l’ancien chef de la junte. Ainsi, l’une des victimes assure ne pas vouloir divulguer son identité pour se protéger d’éventuelles représailles.
« La justice, c’est la paix »
Il est bientôt 18 heures quand la parole est donnée aux parties. Les avocats de la défense demandent un renvoi de l’affaire pour leur permettre de mieux préparer le dossier. Il affirment n’avoir reçu le détail du dossier d'instruction que la veille, sur une clé USB. C’est le seul moment d’unanimité entre tous les avocats présents : « Nous ne voulons pas d’un procès expéditif dans lequel les droits de la défense ne seraient pas respectés », affirme Me Martin Pradel, avocat des parties civiles. Le procès est donc renvoyé au 4 octobre. « Je suis satisfait. C’est le début. Aujourd’hui, c’était le lancement et maintenant le temps est venu pour nous de faire un travail technique », assure Me Fodé Mohamed Béavogui, avocat de deux accusés, à la sortie de l’audience.
Une victime, la quarantaine, exulte : « Je suis fière de la Guinée. Nous sommes des Guinéennes et des Guinéens et nous allons juger des Guinéens. Nous commençons à entrer dans l’Etat de droit. Pour qu’il y ait la paix dans un pays, il faut qu’il y ait la justice. La justice c’est la paix. »
LES 11 ACCUSÉS ET LEUR FONCTION AU MOMENT DES FAITS
- Moussa Dadis Camara, chef d’Etat autoproclamé de la Guinée.
- Aboubakar Sidiki Diakité, dit « Toumba », ancien aide de camp de Moussa Dadis Camara.
- Moussa Tiégboro Camara, colonel de gendarmerie, alors ministre chargé de la lutte contre la drogue et le grand banditisme au moment des faits.
- Abdoulaye Cherif Diaby, colonel de l’armée et ministre de la Santé et de l’hygiène publique.
- Claude Pivi, dit « Coplan », colonel de l'armée chargé de la sécurité présidentielle.
- Marcel Guilavogui, militaire, adjoint du lieutenant Toumba.
- Cécé Raphaël Haba, militaire, garde du corps de Moussa Dadis Camara.
- Mamadou Aliou Keïta, gendarme.
- Ibrahima Camara, dit « Kalonzo », gendarme.
- Blaise Gomou, gendarme, membre de la brigade anti-drogue.
- Paul Mansa Guilavogui, militaire.