Les deux militaires qui ont eu l’avantage d’ouvrir le ban du méga procès qui devrait durer plusieurs mois en Guinée, sont soupçonnés avec neuf autres accusés d’avoir participé au massacre de 156 personnes le 28 septembre 2009, lors d’un meeting de l’opposition à Conakry, la capitale.
Moussa Tiégboro Camara, 53 ans, fut pendant de longues années, jusqu’au mois de mars dernier, une pièce maîtresse de l’appareil sécuritaire guinéen, dirigeant les puissants services spéciaux. Il était à l’époque des faits le secrétaire d’Etat chargé de la lutte contre la drogue et le grand banditisme. Inculpé de meurtre, assassinat, viol, torture, enlèvement et séquestration, ce poids lourd du régime de l’ex-président Alpha Condé, renversé par un putsch il y a un an, a comparu les 10, 11 et 12 octobre devant le tribunal de Dixinn – la commune de la capitale où se situe le stade du 28-Septembre –, délocalisé pour l’occasion dans l’enceinte de la Cour d’appel.
Dans le bâtiment flambant neuf construit pour juger le massacre du stade de Conakry, les sièges se vident au fil des débats. Dix jours seulement après l’ouverture symbolique du procès, le 28 septembre dernier, le public est déjà clairsemé dans la grande salle d’audience. En polo et casquette bleus, les membres de la sécurité occupent à présent un quart des fauteuils, où ils s’enfoncent et somnolent durant les audiences. Ils ont été déployés massivement dans le tribunal et ses alentours. Car ce procès hyper médiatisé, qui se déroule sous l’œil de dizaines de caméras des chaînes de télévision guinéennes, n’est pas ouvert à tous. Seules les personnes accréditées par le ministère de la Justice peuvent y assister en passant les trois points de contrôle. A chaque fois, les agents fouillent les sacs, vérifient les badges d’accès. Ces quelques dizaines d’agents, gardes pénitentiaires, policiers et militaires, assurent aussi la protection des accusés lorsqu’ils sont amenés dans le box ou transférés à chaque fin d’audience à la maison centrale de Conakry.
La semaine d’avant, les échanges portaient sur des questions de procédure. Toutes les exceptions ont été rejetées et tous les accusés restent en détention préventive. L’ex-chef de la junte alors au pouvoir, Moussa Dadis Camara, n’aura pas droit à un traitement de faveur, ne sera pas placé en résidence surveillée, tout comme Aboubakar Toumba Diakité dont les avocats demandaient l’évacuation sanitaire. Ces discussions, techniques, ont lassé certaines victimes, moins nombreuses désormais à suivre les audiences. D’autres habitent loin et ne peuvent venir tous les jours. C’est aussi « une question de sécurité », confie Alpha Amadou DS Bah, avocat des parties civiles. Et comme le procès est retransmis sur Internet, « nous avons jugé que ce n’était pas nécessaire d’exposer ces personnes, elles risquaient d'être identifiées et de faire l’objet ensuite de tentatives d’intimidation ».
Tiégboro s’avance, coiffé d’un Borsalino
Tiégboro est le premier à être appelé à la barre par le président. L’ancien chef de l’anti-drogue coiffé d’un Borsalino s’avance et pose son chapeau sur la table de son avocat. Sa silhouette dégingandée se plante face au président. Il restera debout pendant toute la durée de son interrogatoire.
Il plaide non coupable, nie avoir participé au massacre et explique qu’il est allé au stade le 28 septembre 2009 pour accomplir « son devoir de soldat ». Apprenant que des tirs retentissent là où doit avoir lieu le meeting de l’opposition, il prend la décision de s’y rendre, sans en avoir reçu l’ordre. Il dit avoir trouvé sur place les leaders politiques Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Jean-Marie Doré, molestés lors de la répression de la manifestation. C’est lui, assure-t-il, qui les a conduits dans une clinique de Conakry pour qu’ils y reçoivent les premiers soins. « Je ne suis pas entré à l’intérieur du stade. Je savais qu’il y avait Toumba et ses hommes. Vous connaissez ma relation avec Toumba. »
Aboubakar Sidiki Diakité, dit « Toumba », est l’ancien aide de camp de Moussa Dadis Camara, ancien chef de l’Etat autoproclamé de Guinée, deux autres poids lourds du procès. Tiégboro affirme que du fait de ses relations conflictuelles avec Toumba, il a choisi de rester sur l’esplanade du stade où il ne voit « aucun cadavre, aucun viol ». Sous le feu roulant des questions, Tiégboro reste imperturbable. Prenant de haut les avocats des parties civiles, il explose quand l’un d’eux demande : « Mr Camara, n’êtes-vous pas en train de mentir ? » La salle est en ébullition. La voix du président perce à peine le brouhaha ambiant. L’audience est levée.
Tiégboro est moins tempétueux face au procureur et à ses substituts. « Vous n’avez pas vu les femmes courant dans tous les sens, à moitié nues, les habits en lambeaux ? Des vidéos existent pourtant. Elles ont été filmées sur l’esplanade du stade », relève le procureur. Premier à comparaître, le colonel de gendarmerie joue de l’avantage que lui donne cette position, qui lui permet de développer sa version des faits. Lorsqu’un avocat des parties civiles cite des témoins qui affirment l’avoir vu sur la pelouse du stade, Tiégboro lance : « Confrontez-moi avec ces gens-là, apportez en la preuve ! »
En Guinée, « on écoute les accusés d’abord »
Pourquoi les juges ont-ils décidé de commencer par Tiégboro ? « C’est la pierre angulaire de ce dossier, c’est assez stratégique de débuter avec lui », estime Me Bah, avocat des parties civiles. Dans le système judiciaire guinéen, « on écoute les accusés d’abord, c’est à l’issue de l’interrogatoire de ces derniers que les témoins et les victimes sont entendus », explique-t-il.
Le contraste est grand lorsque le deuxième accusé invité à se présenter à la barre, Marcel Guilavogui, 45 ans, dont treize passés à la maison centrale de Conakry, est appelé, dans l’après-midi du mercredi 12 octobre. « Mon client est malade, peut-il s’asseoir Mr le président ? », demande son avocat. Une chaise est placée derrière le pupitre.
- Le 28 septembre 2009, quelle fonction occupiez-vous ?
- Une belle question Mr le président. Vous savez il a toujours été dit que j'étais l'adjoint de Toumba. Je n'ai jamais été nommé [à cette fonction] par le président de la République Moussa Dadis Camara.
- Quelle était votre fonction ?
- J'étais garde du corps du président Camara.
Durant une demi-heure, l’homme fait le récit apitoyé de sa longue détention depuis le 1er avril 2010, pour « incitation à la rébellion » dans un premier temps, puis pour sa participation présumée au massacre du 28 Septembre. « Mes enfants ont grandi sans moi et je n'ai pas pu les éduquer ! »
Le jour du massacre, raconte-t-il, il était au fond de son lit, après avoir été victime – la veille – d’un accident de la route. « J’ai failli perdre ma langue [dans cet accident]. J'ai reçu la consigne de ne pas faire de mouvements pendant au moins une à deux semaines. » Pourtant, rappelle le procureur, des témoins l’ont vu « tirer sur la foule au stade ».
A la barre, Guilavogui s’énerve, hausse le ton. Il est réprimandé par le président : « Calmez-vous et répondez aux questions. » Le procureur poursuit : « Avez-vous appris qu’il y a eu des pillages en banlieue le même jour et les jours suivants ? » Guilavogui répond par la négative. « Je me demande si vous vous souvenez de votre interrogatoire du 3 novembre 2010 », reprend le magistrat. Il avait dit le contraire aux enquêteurs. Guilavogui hésite sur sa réponse, déclare être tombé malade entre-temps et avoir perdu la mémoire. « Donc vous n'êtes pas sûr de vos propos ? En fait, vous vous rappelez de ce qui s’est passé quand cela vous disculpe », lance le procureur.
La comparution de Guilavogui doit se poursuivre ce lundi 17 octobre.
Le témoignage du premier accusé a duré trois jours. Les interventions des avocats des parties civiles, une vingtaine au total, ont souvent été répétitives. Après Guilavogui, il restera neuf accusés à écouter, une centaine de témoins et de victimes. Et le tribunal a décidé de se limiter à trois jours d’audience par semaine, du lundi au mercredi, pour permettre aux avocats de continuer à plaider dans d’autres dossiers. Une suspension est aussi envisageable. « Des avocats pourraient demander un supplément d’information pour pouvoir enquêter sur certains pans du dossier, notamment les fosses communes. Il n’y a pas eu d’investigation encore sur ces éléments », avance Me DS Bah.
A ce rythme, le procès, dont le programme n’a pas été communiqué, durera plusieurs mois et peut-être « un an », selon les prévisions du porte-parole du gouvernement, Ousmane Goual Diallo.