Il est bien là, derrière le pupitre en bois, face aux magistrats, sous les yeux du public et les objectifs des caméras. En chair et en os, dans son boubou de fête, Moussa Dadis Camara est interrogé et sa comparution est rediffusée en direct sur les chaînes de télévision guinéennes. Qui aurait pu l’imaginer ? Quatre mois plus tôt, à trois jours de l’ouverture du procès, l’ex-chef de la junte était encore au Burkina Faso, pays où il s’était installé après sa chute en janvier 2010 pour vivre un exil paisible. Il est accusé d’avoir joué un rôle de premier plan dans le massacre de plus de 150 personnes, le 28 septembre 2009, lors d’un meeting organisé dans un stade de Conakry par les opposants à son pouvoir. A la surprise générale, Dadis Camara a décidé de rentrer en Guinée et de se« mettre à la disposition de la justice » pour livrer sa part de vérité.
Neuvième prévenu appelé à la barre, son interrogatoire a commencé au début du mois de décembre et il dure depuis. « On pensait que Toumba (son ancien aide de camp et co-accusé) avait battu le record du nombre de jours de comparution mais Dadis est resté encore plus longtemps », commente Diawo Barry, journaliste guinéen qui signe notamment des articles pour Jeune Afrique et couvre le procès depuis son ouverture en septembre. Après douze comparutions, certains Guinéens ont aujourd’hui envie que « Dadis », comme ils l’appellent, retourne s’asseoir sur le banc des accusés. « Je veux que d’autres prévenus soient interrogés afin que l’engouement pour le procès revienne », témoigne Mohamed, enseignant de 37 ans, dans un café en plein air de Conakry où trône une télévision qui diffuse les audiences. « Ce matin encore, j’ai dit aux autres clients qu’il valait mieux qu’on regarde des divertissements plutôt que de mettre Dadis. On n’apprend rien avec lui. »
Dadis, perdant du duel médiatique
Celui qui dirige l’interrogatoire, qu’il soit magistrat, avocat des parties civiles ou même de la défense, est souvent obligé de répéter sa question, de la reformuler pour que Dadis la comprenne. Cela donne un faux rythme aux audiences. Et puis, l’ancien chef d’État est difficile à suivre. Il se met régulièrement à divaguer au fil de réponses interminables et hors sujet.
« Toumba, on ne va pas dire que tout ce qu’il a dit c’est la vérité mais on sent qu’il en est beaucoup plus proche que Dadis, parce que Dadis ne parle pas. » Le duel de popularité a tourné à l’avantage de l’aide de camp. Il est vrai que Dadis conserve toujours d’irréductibles supporters au sein de la population guinéenne et notamment dans sa région d’origine, en « Guinée forestière », au sud-est du pays. Mais sur Youtube, les chiffres ne trompent pas. Certaines vidéos des comparutions de Toumba cumulent plus de 300 000 vues quand celles de Dadis ne décollent pas, stagnant à quelques dizaines de milliers seulement.
Aboubacar Diakité, alias « Toumba », avait réussi à captiver les Guinéens en levant le voile sur la prise de pouvoir de la junte de l’époque, décrivant les stratégies mises en place pour s’imposer. Dadis, lui, résume son arrivée à la tête du pays en quelques mots : « Personne ne m’a donné le pouvoir, c’est Dieu et toute l’armée guinéenne. » Il refuse d'entrer dans les détails.
Est-ce que cela fait partie de sa stratégie de défense ? Une fois, il en dit le moins possible ; une autre fois, il répond aux questions tout en circonvolutions. Finalement, il ne donne jamais l’impression d’être à l’aise. « Rester sur la défensive le présente aux yeux des observateurs comme quelqu’un de mauvaise foi. Pour avoir été président de la République, parce qu’il se disait soucieux que la vérité jaillisse, pour compatir à la peine des victimes, il fallait qu’il apporte sa contribution. Cela ne veut pas dire forcément s’incriminer, mais dire clairement ce qu’il sait », estime Barry.
« On est déçus »
A la barre, Dadis reste constamment assis. Il a l’air exténué. Sa première comparution, le 5 décembre 2022, ne dure que sept minutes, le temps de dire qu'il n'est pas en mesure de parler pour des raisons de santé. Le président du tribunal lui donne alors une semaine pour se rétablir. Au cours de la comparution suivante, une extinction de voix oblige la Cour à décider d’un nouveau report de quelques jours pour permettre au prévenu de se soigner.
Ce scénario renforce d’abord le suspense, alors que Dadis est l’accusé qui suscite le plus d’attentes. Mohamed ne cache pas son désenchantement aujourd'hui. « On est déçus. Les gens ne s’intéressent plus au procès. » Même sentiment du côté de Barry : « Il devait parler plus, j’attendais beaucoup mieux de lui. » Le journaliste tente d’analyser son comportement. « Quand les choses sérieuses ont commencé, j’ai l’impression qu’il a été surpris notamment peut-être par la stratégie adoptée par Aboubacar Toumba Diakité. J’ai l’impression que ça l’a un peu désarmé, désarçonné. » En réaction,« il a adopté cette stratégie du mutisme ».
Dadis avait pourtant marqué la mémoire collective guinéenne par son omniprésence médiatique. Lorsqu’il était président de la transition, il interrompait régulièrement l’antenne de la télévision nationale pour prononcer des discours enfiévrés au cours desquels il lui arrivait de limoger des responsables avec pertes et fracas. Mais ceux qui attendaient avec impatience la nouvelle saison du « Dadis Show » lors du procès, ont dû se contenter de quelques accès de colère.
Devant la Cour, cette attitude ne passe pas. « Calmez-vous Monsieur Camara ! Répondez simplement ! » Le président du tribunal, Ibrahima Sory 2 Tounkara, recadre régulièrement l’ex-putschiste et interrompt ses tirades sans rapport avec la question posée.
Dadis maître zen
Dadis Camara fait visiblement des efforts lors de certaines audiences pour apparaître plus apaisé, pour ne pas s’emporter, comme face à Maître Paul Yomba Kourouma. L’un des avocats de Toumba qui avait promis de « l’achever ». Leur face à face le 16 janvier a lieu dans un calme surnaturel. Dadis répond d’une voix douce, même lorsque l’avocat tente de le provoquer : « Je vais m’adresser à vous dans un français courant tel que vous l’avez sollicité. Si vous voulez un interprète on peut le demander au tribunal. » Dadis ne cille pas.
Asmaou Diallo, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa) exprime, elle, sa colère : « Le comportement de Moussa Dadis Camara me révolte parce que j’ai l’impression qu’il n’est pas du tout prêt à donner sa version correctement. Ça met mal à l’aise les victimes », dénonce-t-elle au micro de RFI. Pas question pour Dadis non plus de présenter ses excuses, en tout cas pas pour l’instant. Il se réserve, dit-il, pour la fin du procès, lorsque les coupables auront été condamnés et lui aura été « acquitté ». « J’ai dit clairement, ceux qui ont commis les actes, qu’ils les reconnaissent d’abord. Une fois qu’ils reconnaitront leurs actes, je serai le premier à demander pardon », lance-t-il le 20 décembre au tribunal criminel de Dixinn.