Ukraine : comment les collaborateurs sont jugés dans la région de Dnipropetrovsk

Le 15 mars 2022, peu après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les législateurs ukrainiens ont inclus l'article 111-1 "Activités de collaboration" dans le code pénal national. Depuis lors, la poursuite des traîtres-collaborateurs présumés constitue une partie importante des affaires pénales liées à la guerre devant les tribunaux nationaux. Voici comment cela se passe dans la région de Dnipropetrovsk, dans l'est du pays, et l'évaluation faite par l'un de ses juges.

En Ukraine, de nombreux procès pour collaboration et haute trahison en temps de guerre
Les procès de collaborateurs et d'informateurs des Russes ont abouti à 45 verdicts devant les tribunaux de la région de Dnipropetrovsk, en Ukraine.
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Les audiences contre les personnes accusées de collaboration et de haute trahison se tiennent régulièrement dans les tribunaux de la région de Dnipropetrovsk, dans l'est de l'Ukraine. Au 26 décembre, le Registre unifié des décisions de justice montre que le nombre de verdicts rendus en vertu de l'article 111-1 du Code pénal ukrainien pour des crimes de "collaboration" a atteint 45. Seuls 5 de ces verdicts ont été rendus publics. Selon une source au sein des tribunaux locaux, les informations fournies dans les autres verdicts sont protégées pour des raisons de sécurité. Mais une analyse des verdicts révèle qui et comment les juges de Dnipropetrovsk ont puni des individus pour des activités de collaboration.

Dans un verdict public du tribunal de district de Krasnohvardiyskyi, le 21 septembre 2022, à l'encontre d'un habitant de Kamyanske, la cour déclare que, pendant l'été 2022, l’accusé, officiellement au chômage, a décidé d'enregistrer sur son téléphone portable une vidéo sur la situation dans le pays et dans la ville de Dnipro et de la montrer à ceux qui le suivent sur le réseau social Facebook. L'homme a réussi à enregistrer deux vidéos et, selon la conclusion d'un expert de l'Institut ukrainien de recherche scientifique sur les équipements spéciaux et d'expertise médico-légale du Service de sécurité de l'Ukraine, "les discours sur les vidéos ont révélé un déni public de l'agression armée de la Russie contre l'Ukraine et des appels publics à soutenir l'agression armée de la Russie contre l'Ukraine, l'établissement et l'affirmation de l'occupation temporaire d'une partie du territoire de l'Ukraine, des appels publics à soutenir les décisions et/ou les actions de l'État agresseur, des formations armées et/ou de l'administration d'occupation de l'État agresseur, à coopérer avec l'État agresseur, les formations armées et/ou l'administration d'occupation de l'État agresseur, à ne pas reconnaître l'extension de la souveraineté de l'État ukrainien au territoire ukrainien temporairement occupé".

En présence de son avocat, l’accusé a soumis une déclaration écrite dans laquelle il plaide coupable et reconnaît les circonstances établies par l'enquête préliminaire. En raison de ce plaidoyer de culpabilité, le procès s'est déroulé selon une procédure simplifiée. Dès réception de l'acte d'accusation, le tribunal, avec le consentement de l'accusé, l'examine dans les cinq jours, sans audience. Dans cette affaire, le tribunal a pris en compte les circonstances atténuantes, à savoir le "repentir sincère et l'aide active à la résolution de l'infraction pénale" de l'accusé. Il l'a condamné à une interdiction de 10 ans de servir dans les institutions gouvernementales et locales d'Ukraine.

Interdiction de servir dans les institutions publiques

Le 22 novembre 2022, une sentence similaire a été prononcée par le tribunal de district de la ville de Novomoskovsk contre un natif de Kupyansk, dans la région de Kharkiv. En juillet 2022, l'accusée avait publiquement nié l'agression armée de la Russie contre l'Ukraine et s'était prononcée en faveur de l'établissement du contrôle de la ville de Kharkiv par les occupants. L'accusée, une femme sans emploi ayant fait des études secondaires, a été privée du droit de servir dans des institutions publiques et locales. Le tribunal a estimé qu'une telle punition était nécessaire et suffisante, compte tenu du repentir sincère de l'accusée.

En décembre 2022, le même tribunal a condamné une native du village de Prykolote, dans le district de Velykoburlutskyi, dans la région de Kharkiv. Selon les documents judiciaires, en juin de la même année, afin d'aider l'État ennemi, cette autre femme sans emploi a volontairement accepté d'occuper un poste dans l'organisation des autorités d'occupation et a été nommée, sur ordre du chef par intérim de l'administration civile temporaire du district de Kupyansk, dans la région de Kharkiv, spécialiste en chef par intérim du département pour le développement économique, créé par l'administration de l'État occupant. Elle était chargée de préparer et d'émettre des relevés de paiement au sujet de l'aide financière accordée à la population locale par les autorités d'occupation de la Fédération de Russie. Au tribunal, l'accusée a plaidé coupable d'avoir commis une infraction pénale. Elle a été condamnée à 13 ans d'interdiction d'occuper des postes dans des institutions étatiques et locales.

"Je suis pour Poutine, pour la paix, pour la sécurité !"

Le même mois, le tribunal du district industriel de Dnipro a privé une habitante du village de Novoselivka, temporairement occupé dans la région de Donetsk, du droit d'occuper des postes au sein des autorités locales et étatiques pendant 10 ans, sans confiscation de ses biens. Selon le jugement, la femme a volontairement pris le poste de "superviseur de bloc" à Yenakiyevo, pour lequel elle a reçu un salaire des occupants. Les fonctions de l'accusée étaient les suivantes : dans les rues qui lui étaient assignées, elle informait la population locale des réunions tenues par les représentants de la soi-disant "RPD" - la République populaire de Donetsk séparatiste autoproclamée -, et dressait des listes des habitants restés au village. L'accusée a plaidé coupable. Le tribunal a reconnu comme circonstances atténuantes son repentir sincère et son aide active à la résolution du délit.

Le tribunal de district de la ville de Pavlohrad a également condamné une femme retraitée d'origine russe à 10 ans d'interdiction d'occuper tout poste dans des entités du secteur privé. D'avril à juin 2022, elle a publié sur le réseau social Odnoklassniki des déclarations adressées à un nombre indéterminé de personnes. Ces déclarations étaient notamment les suivantes : "Encore 22 kilomètres avant que le groupe Severodonetsk-Lysychansk des forces armées ukrainiennes ne soit pris en tenaille. Victoire à nos hommes et bon retour" ; "Les Russes. Ils déminent les champs, apportent céréales et engrais aux paysans, aident à mener à bien la saison des semailles. L'Ouest. Ils exportent du grain d'Ukraine. Alors, qui sont les occupants ici, Messieurs ?" ; "Je suis pour Poutine, pour la paix, pour la sécurité !". Les juges ont qualifié cela d’appels publics lancés par un citoyen ukrainien en soutien aux décisions et actions de l'État agresseur. Lors de l'audience préliminaire, l'accusée a plaidé coupable et s'est sincèrement repentie de ses actes. Elle a également demandé au tribunal d'approuver l'accord de plaidoyer conclu entre elle et le procureur. Le tribunal l'a déclarée coupable et la preuve matérielle - l'ordinateur portable qu'elle a utilisé pour publier les posts - a été restituée à la femme âgée.

La prison pour un informateur

La plupart des procès de collaborateurs se concluent sur un accord de plaidoyer, une pratique courante pour réduire la peine. Et les peines les plus sévères sont prononcées dans les procédures où le Service de sécurité de l'Ukraine (SBU) a mené l'enquête préalable au procès. Comme dans le cas suivant.

En août 2022, le tribunal du district de Petropavlivskyi a rendu un verdict dans l'affaire de la transmission de renseignements au services spéciaux russes. Selon le SBU, avant l'invasion de la Russie, des agents du Service de sécurité russe (FSB) avaient repéré ce citoyen ukrainien qui était un détenu dans un établissement pénitentiaire en Russie. Envoyé comme informateur sur le sol ukrainien, il recueillait et transmettait des informations sur la localisation des positions de tir des forces armées ukrainiennes, des gardes-frontières et de la Garde nationale sur le territoire de Lysychansk, dans l'est de l'Ukraine. L'homme aurait également coordonné les tirs d'artillerie de l'ennemi sur la ville de Dnipro. En échange, il recevait une récompense financière de l'ennemi. Lors de son arrestation, le SBU ukrainien a saisi sur lui des appareils de communication contenant des messages vocaux et des correspondances qui confirmaient la commission des crimes. Le tribunal a déclaré l'homme coupable d'avoir "fourni une assistance à l'État agresseur dans la conduite d'hostilités contre les forces armées de l'Ukraine". L'homme a été condamné à 12 ans de prison.

Accès aux preuves et aux suspects

Dmytro Movchan est un juge-porte parole du tribunal de district de Leninsky, à Dnipro. Il a répondu aux questions de Zlochyn.dp.ua sur les procès pour collaboration. "Il est utile de mentionner qu'il n'y a pas beaucoup de collaborateurs et de traîtres dans la ville de Dnipro. Soit ils ont déménagé, soit ils restent bien cachés. Les affaires que nous examinons sont principalement liées aux territoires temporairement occupés. Par exemple, le tribunal de district de Dnipro, où je travaille, est compétent pour deux districts de Mariupol et un district de la région de Donetsk. Il y a, sans aucun doute, des collaborateurs là-bas", explique-t-il. "L'autorité chargée de l'enquête préliminaire doit d'abord identifier les collaborateurs. Lorsqu'il s'agit d’un territoire temporairement occupé, cela prend du temps. Principalement en raison de la présence de l'ennemi et des opérations militaires en cours dans la région. Après avoir identifié les suspects, l'accusation doit s'assurer que les preuves sont recueillies et correctement documentées" et "répondent aux critères de fiabilité et d'admissibilité, qu’elles soient suffisantes et adéquates." Ensuite, se pose la question de la recherche du suspect, dit-il. "Le plus souvent, la personne inculpée n'est pas ici, elle se cache quelque part dans les territoires temporairement occupés ou a fui vers un pays dont je ne veux même pas prononcer le nom. Cela complique encore l'examen des cas de cette catégorie." L'accusé doit alors bénéficier d'une assistance juridique, et "doit être dûment notifié. Nous essayons d'y parvenir par le biais de tous les outils procéduraux dont nous disposons, par des publications dans les médias pertinents, des annonces officielles sur les sites web des autorités judiciaires. Si la personne est dûment notifiée, le tribunal examine l'affaire et rend un verdict.

En Ukraine, le juge Dmytro Movchan travaille sur des affaires de collaboration et haute trahison
Pour le juge Dmytro Movchan, la priorité dans les poursuites des personnes accusées de collaboration avec l'ennemi doit concerner les agents de l’État.

Le juge rappelle les effets des attaques de drones et de missiles sur le système énergétique ukrainien par la Russie. "Pendant le black-out et les attaques constantes de missiles, les tribunaux ukrainiens, qui ne sont toujours pas équipés de sources d'énergie autonomes, sont pratiquement contraints de rester inactifs. Si les appareils d'enregistrement, les postes électroniques, etc. ne fonctionnent pas", l'ensemble du système "entre dans un état de stase. Parfois, certains actes de procédure ont été rédigés à la main et à la lumière de lampes de poche dans les abris."

Cibler les agents de l’État

"J'ai de bonnes raisons de croire que la vague d'enquêtes préalables au procès arrive maintenant à son terme", poursuit le juge. "La plupart des affaires qui ont été transmises à la cour sont déjà entendues sur le fond. Nul doute que tous les agents d'influence de l'ennemi doivent être neutralisés et punis. Mais lorsqu'il s'agit de trahison et de collaboration, nous ne devons pas oublier ladite "valeur d’efficacité". Ce n'est un secret pour personne que certaines professions exigent un serment d'allégeance au peuple ukrainien. Lorsqu'une personne occupe une certaine position publique et prête serment, elle peut avoir accès à des secrets d'État, à des informations et à des moyens d'influence. Ce sont ces individus, qui sont des traîtres à l'État, qu'il faut identifier en priorité, et c'est un travail très méticuleux. Si vous faites un serment qui vous lie, et que vous trahissez ensuite le peuple ukrainien, c'est une chose. L'autre situation est lorsque vous ne prêtez pas serment mais que, tout en vivant dans ce pays, pour une raison quelconque, vous commencez à faire campagne et à aider l'ennemi ; c'est déjà une manifestation de collaborationnisme. Les deux sont en fait des trahisons des intérêts de l'État et de la nation. La seule différence réside dans le sujet traité. Les tribunaux ukrainiens, et la région de Dnipropetrovsk ne fait pas exception, examinent déjà des cas de trahison impliquant des fonctionnaires, des policiers de rang inférieur, des avocats et des cadres de l'État. Malheureusement, dans de rares cas, la trahison est également commise par des juges. L'État s'efforce de faire en sorte que ces affaires fassent l'objet d'une enquête prioritaire."


Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Zlochyn.dp.ua ».

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