Lundi 20 mars, l'ancien soldat des forces spéciales australiennes SAS, Oliver Schultz, décoré pour sa bravoure en Afghanistan, a été arrêté et inculpé du crime de guerre de meurtre en relation avec l'assassinat d'un Afghan, Dad Mohammad, en mai 2012. La peine maximale pour ce crime est la prison à vie. Selon les procureurs, Mohammad « ne prenait pas une part active aux hostilités » et Schultz « savait, ou ne s’est pas soucié des circonstances factuelles établissant que [Mohammad] ne prenait pas une part active aux hostilités ».
Le 28 mars, Oliver Schultz a été libéré sous caution, en attendant son procès qui devrait s’ouvrir en 2024 ou 2025. L'ouverture de cette enquête criminelle faisait suite aux révélations d’un rapport publié en novembre 2020, selon lequel des membres des forces spéciales australiennes auraient commis de graves abus entre 2005 et 2016 en Afghanistan, pouvant être qualifiés de crimes de guerre.
C'est la première fois qu'un membre des forces de défense australiennes est accusé de crime de guerre en vertu du droit australien. Compte tenu de l'absence de précédent en la matière, du manque d'expérience dans ce domaine et des difficultés considérables à obtenir des preuves recevables en Afghanistan, les procureurs seront très probablement confrontés à des difficultés inédites lorsqu’il s’agira d’apporter la preuve de l’infraction au degré requis devant un jury. La seule tentative antérieure de poursuivre des militaires australiens pour leur conduite en Afghanistan avait échoué : des accusations d'homicide involontaire portées contre deux soldats ont été rejetées en 2011, lorsqu'un juge a estimé que les accusés n'avaient pas de « devoir de diligence » à l'égard des civils tués au cours d'une opération.
L'affaire Schultz s'appuie cependant cette fois sur un important corpus d'enquêtes préexistantes et sur un nouvel organisme spécifiquement créé, en janvier 2021, le Bureau de l'enquêteur spécial. Une grande partie de son travail porte sur l'examen des incidents signalés dans le rapport Brereton de 2020. Conformément aux critères fixés par Brereton dans son rapport, les renvois pour enquête pénale n'ont été effectués que lorsqu'il existait une perspective réaliste de recueillir des preuves suffisantes pour inculper les individus, et de permettre d’aboutir à une condamnation. Et d’importants moyens ont été mobilisés pour cette enquête : dans l'affaire Schultz, l'Australian Broadcasting Corporation (ABC) a révélé qu'une équipe spécialisée comprenant des inspecteurs de la police criminelle et un officier de renseignement a examiné l'incident en question pendant plus de deux ans.
Une affaire « simple » ?
Melanie O'Brien, professeure de droit international associée à l'université d'Australie occidentale, estime que « l'accusation n'aurait pas porté plainte si elle ne disposait pas déjà de preuves suffisantes ». En effet, avec des preuves visuelles solides déjà dans le domaine public, O'Brien soupçonne que l'affaire Schultz pourrait être plus « simple » que d'autres poursuites potentiellement à venir pour crimes de guerre.
Cette première arrestation d'un suspect pour crimes de guerre survient en effet après une vive controverse publique sur les crimes de guerre. En mars 2020, la chaîne ABC a diffusé une vidéo montrant Oliver Schultz abattant Mohammad, père de deux enfants, d'une balle dans la tête et dans le cœur alors qu'il gisait au sol dans un champ de blé d'Uruzgan après avoir été malmené par un chien des SAS. Les séquences filmées par la caméra du casque, qui montrent Schultz appelant un collègue "Voulez-vous que j’abatte cette *** ?" avant de tirer à bout portant sur Mohammad, sont devenues symboliques de la mauvaise conduite des forces spéciales en Afghanistan. Il est inhabituel, dans le cadre d’enquêtes sur des militaires dont les opérations sont classifiées, qu'un élément d'information aussi clair et décisif parvienne dans le domaine public, enrichit d’interviews réalisées avec des membres de la famille du défunt et d'autres allégations véhiculées par les médias contre le même accusé.
Entre 40 et 50 faits sous enquête
Comme il s’agit d’une première, l'affaire Schultz revêt une grande importance pour le Bureau de l’enquêteur spécial. Ce dernier a précisé au Parlement, en février, qu'il enquêtait sur 40 à 50 infractions présumées commises par les forces spéciales australiennes en Afghanistan, mais qu'aucune autre inculpation n'était attendue avant un certain temps. Selon O'Brien, des poursuites pour crimes de guerre aboutissant à des condamnations en Australie pourraient inciter les autres membres de la coalition internationale à prendre au sérieux ce type d’enquêtes et à remettre en question leur propension à les conduire devant des tribunaux militaires plutôt que civils, en vertu de l’argument que les tribunaux militaires "savent ce que c'est que le théâtre de guerre".
O’Brien précise qu'à Londres, quelques jours après l'arrestation d'Oliver Schultz, un juge civil, Sir Charles Haddon-Cave, a ouvert une enquête indépendante sur des accusations impliquant des membres du SAS britannique dans la mort suspecte de 54 civils afghans en 2010 et 2011. Selon O'Brien, l'enquête australienne sur les crimes de guerre positionne le pays comme "un leader mondial en la matière" et pourrait démontrer qu'"il est possible de demander des comptes à ceux qui ont commis des crimes de guerre tout en continuant à fonctionner en tant qu'armée, et de devenir plus efficace grâce à cela".
L'effectivité des enquêtes australiennes va dépendre en partie du succès des poursuites engagées contre Schultz. S'il n'est pas possible d'obtenir une condamnation en première instance, il pourrait être difficile de poursuivre d’autres futures affaires plus ambigües, compte tenu aussi de la nouveauté de l'infraction devant les tribunaux australiens.