Vingt ans après, méfiance et rancoeur règnent sur Srebrenica

2 min 25Temps de lecture approximatif

Le monde va commémorer samedi le génocide de Srebrenica, cette localité martyrisée de Bosnie orientale où, vingt ans après, la méfiance et la rancoeur étouffent implacablement tout espoir de réconciliation entre Serbes et musulmans.

Des efforts ont été déployés: un choeur d'enfants musulmans et serbes de Srebrenica a donné un concert devant le pape François en juin, comme des graines semées pour une future vie commune.

Un groupe de rock rassemble également des musiciens musulmans et serbes. Pourtant, chaque juillet, lorsque Srebrenica s'apprête à commémorer le 20 anniversaire du massacre de 8.000 hommes et adolescents musulmans, perpétré par les forces serbes bosniennes en juillet 1995, tout progrès réalisé s'écroule et les rancoeurs refont surface.

"Chez nous, l'année commence et se termine le 11 juillet. Notre existence ici tourne autour de ce mois de juillet maudit", déplore le pope Aleksandar, en charge de la paroisse serbe orthodoxe de Srebrenica.

Même avis pour Camil Durakovic, le maire musulman de Srebrenica. "On nous remarque uniquement en juillet. Je suis un maire qui d'un juillet à l'autre ne cesse de supplier en faveur d'investissements. Donner du travail aux gens est la clé de la réconciliation", dit-il.

Il reste pourtant des obstacles à jamais infranchissables, comme la douleur de Sabaheta Fejzic, qui a perdu dans le massacre de Srebrenica son fils de 16 ans et son mari qui n'a jamais été retrouvé.

"Je n'ai pas la force pour retourner vivre ici. Mes anciens voisins serbes font des gestes pour renouer le contact. Mais je n'en ai pas besoin. Je les ai vus en uniforme le jour où mon fils a été amené. Pourquoi ils n'ont rien fait pour le sauver?", dit cette femme qui vit à Sarajevo depuis son expulsion de Srebrenica.

Nezira Sulejmanovic a, elle, perdu ses deux fils dans le massacre, tandis qu'une de ses deux filles a été tuée dans un bombardement pendant la guerre intercommunautaire de 1992-95, qui a fait 100.000 morts.

- 'Les Serbes ne me font pas peur' -

Nezira a eu la force de retourner vivre à Srebrenica. Mais lorsque le matin se lève, la première chose qu'elle voit, en bas de colline, c'est le mémorial où ses deux fils reposent au milieux de plus de 6.000 autres tombes de victimes du massacre, retrouvées et identifiées.

"Même si je me réveille en pleurs en regardant les tombes de mes enfants, je suis revenue ici parce que c'est chez moi et c'est ici que je veux finir mes jours. Les Serbes ne me font pas peur", affirme cette femme au verbe pugnace.

Dans le jardin de l'église serbe orthodoxe, qui surplombe la ville fantôme, le prêtre Aleksandar Mladjenovic se scandalise en revanche du sort de sa communauté.

"Tous les jours, il est de plus en plus difficile d'être serbe à Srebrenica. Depuis dix ans, on crée une ambiance de culpabilisation destinée à chasser les Serbes d'ici", dit-il.

Les leaders politiques serbes de Bosnie refusent d'admettre que le massacre de Srebrenica était un génocide, tel que cette tuerie, la plus grande sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale, a été qualifiée par la justice internationale.

"Tout est un mensonge récurrent. Ils nous disent +vous ne devez pas nier+. Comment ne pas nier un mensonge?", a encore déclaré samedi le leader politique des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik.

Propriétaire d'un petit motel qui fait l'essentiel du chiffre d'affaire autour de l'anniversaire du massacre, devenu un lieu de pèlerinage pour des dizaines de milliers de musulmans de Bosnie, Avdo Purkovic est pessimiste.

"La politique de nos leaders, qu'ils soient serbes ou musulmans, est destructrice et chasse les gens non seulement de Srebrenica, mais de la Bosnie en général", déplore ce jeune entrepreneur.