Pavlo Zaporozhets a combattu pour l'Ukraine dans l'ATO [la zone d'opération antiterroriste] de 2014 à 2017. Lorsque l'invasion russe à grande échelle a commencé en février 2022, il a rejoint le renseignement militaire des forces armées ukrainiennes, vivant et travaillant à Kherson. Après l'invasion russe de cette ville du sud de l'Ukraine, Zaporozhets a été arrêté par le FSB, le service de renseignement russe, accusé d’être en possession de deux grenades et de matériaux pour fabriquer des bombes.
"Le 9 mai 2022, Pavel a été enlevé et détenu jusqu'au mois d'août dans l'une des chambres de torture de Kherson - un sous-sol de la rue Teploenergetkiv. Il a été soumis à des méthodes brutales, y compris des chocs électriques, afin de lui arracher des aveux", déclare Marina Zaporozhets, la cousine de Pavlo, à Zlochyn.dp.ua. "En août 2022, des agents du FSB russe ont emmené mon cousin en Crimée annexée, au centre de détention provisoire n° 1 de Simferopol. En octobre, il a été transféré au centre de détention provisoire n° 2", ajoute-t-elle.
Une procédure pénale a été ouverte contre Zaporozhets. Après une enquête préliminaire, un acte d'accusation a été soumis au tribunal de Rostov-sur-le-Don et, en février 2023, Zaporozhets a été transféré en Fédération de Russie, explique-t-elle. "Lors de son transfert dans un fourgon de police, il a eu l'occasion de nous appeler en demandant à un prisonnier russe de lui emprunter son téléphone. Il nous a raconté ce qui lui était arrivé et où il se trouvait", se souvient-elle. "Pavlo est actuellement à Rostov. Au début, il était en isolement, maintenant il est détenu avec un autre habitant de Kherson."
Jugé en tant que civil
Le cas de Zaporozhets est actuellement examiné par le tribunal militaire du district sud de Rostov-sur-le-Don. Selon les informations officielles disponibles sur le site web du tribunal, l'ancien militaire ukrainien est accusé d'avoir tenté de commettre un acte de terrorisme international. Il risque une peine allant de 10 ans de prison à la perpétuité. Selon TASS, la principale agence de presse russe, il s'agit de la première affaire pénale concernant un acte de terrorisme international à l'encontre d'un prisonnier ukrainien en Russie à être examinée sur le fond par un tribunal.
L'avocat russe de Zaporozhets, Oleksiy Ladin, explique qu'au moment de sa détention, l'accusé était un militaire qui aurait exécuté l’ordre de détruire des patrouilles ennemies. "Le dossier comprend une copie d'une lettre du Centre de coordination de l'Ukraine pour le traitement des prisonniers de guerre, qui confirme que Zaporozhets est un soldat et qu'il est actuellement soumis au statut de prisonnier de guerre. Cependant, la partie russe ne reconnaît pas que Pavlo est un militaire actif, il est jugé en tant que civil", explique Ladin à Zlochyn.dp.ua. "Zaporozhets suivait en effet un ordre de combat, et il a été arrêté alors qu'il se rendait à l'endroit où il était censé poser les fils-pièges. Il n'y a pas eu d'explosion. Personne n'a été blessé", ajoute-t-il. Selon l'avocat de la défense, l'affaire Zaporozhets est cousue de fil blanc.
Me Ladin est connu en Ukraine pour avoir défendu des Tatars de Crimée accusés de vouloir renverser le système constitutionnel russe, dont Edem Bekirov. L'avocat russe a également défendu le journaliste ukrainien Vladyslav Yesypenko. Il défend actuellement Zhuk Yaroslav Pavlovych, détenu à Melitipol et accusé des mêmes charges que Zaporozhets, ainsi que Gennady Lasynskyi, actuellement détenu à Simferopol et accusé de possession d'armes et d'explosifs, et de nombreux autres prisonniers ukrainiens.
Preuves contestées
"Le 9 mai, mon client a été détenu illégalement, torturé avec des décharges électriques, battu, il a tellement enduré. Puis, le 2 août, il aurait été présenté au bureau d'un enquêteur du FSB à Simferopol, où il a été officiellement détenu et arrêté", explique Me Ladin. "Plusieurs éléments de preuve sont illégaux. En particulier, selon l'acte d'accusation, Zaporozhets était censé avoir commis, comme il est écrit, un acte terroriste qui aurait pu entraîner la mort de militaires russes et de civils ukrainiens et russes. Mais le 9 mai 2022, Kherson n'était ni juridiquement ni factuellement le territoire de la Fédération de Russie. C'était le territoire de l'Ukraine."
Au cours de l'audience préliminaire, la défense a demandé qu'un certain nombre de preuves soient déclarées irrecevables. Cependant, le tribunal a rejeté cette demande, la jugeant prématurée. Le tribunal a également rejeté la requête de l'avocat de la défense visant à classer l'affaire.
"Pas une audience, mais une véritable performance"
Finalement, le 15 mars 2023, la première audience devant le tribunal a eu lieu. "Ce n'était pas une audience mais un véritable spectacle auquel assistaient des représentants des médias de propagande. Ils ont fait sensation avec le "terroriste ukrainien"", commente Marina Zaporozhets. Le média d'État russe TASS a ensuite diffusé l'information selon laquelle Zaporozhets avait plaidé coupable.
La cousine de Zaporozhets a fourni à Zlochyn.dp.ua un enregistrement audio de la déclaration de l’accusé au tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don. Voici ce qui figure sur l'enregistrement : "Votre Honneur, je vous demande de rejeter la requête du procureur [de le maintenir en détention provisoire], je soutiens pleinement la position de ma défense. Je voudrais également attirer votre attention sur le fait que j'ai été illégalement détenu, ou plutôt enlevé, sur le territoire d'un État étranger par des agents des forces de l'ordre russes. J'ai ensuite été détenu illégalement à Kherson pendant trois mois et transféré illégalement en République de Crimée, où j'ai été placé en détention. Je n'ai pas entravé l'enquête par mes actions, mais j'ai au contraire contribué par tous les moyens à établir la vérité dans cette affaire. Je n'ai pas l'intention de me soustraire au tribunal, car je me considère innocent. Je n'ai pas l'intention de faire pression sur les témoins de l'affaire, car cela n'a aucun sens pour une personne innocente. Compte tenu de tout ce qui précède, je demande au tribunal de rejeter la requête du procureur et de choisir pour moi une autre mesure de contrainte, qui n'implique pas la détention. Je vous remercie, Votre Honneur."
En attendant un échange de prisonniers ?
Me Ladin déclare qu'au cours de l'audience, le témoin de l'accusation K., un officier du FSB, a déclaré qu'il avait examiné des objets à un poste de contrôle frontalier qui auraient été saisis sur Pavlo Zaporozhets par des agents des forces de l'ordre au cours d'opérations et de perquisitions à Kherson. Mais l'avocat de la défense note que, selon le témoin K., cela a eu lieu le 8 août, alors que Zaporozhets a été arrêté trois mois plus tôt.
"Au cours de l'audience préliminaire, ils n'ont pas fourni un seul témoin. On suppose que les témoins restants se trouvent à Kherson, hors de portée du FSB. [Kherson a été repris par les forces ukrainiennes en novembre dernier.] L'accusation a donc modifié la procédure d'examen des preuves et a présenté un certain nombre de documents écrits. L'accusation essaiera de présenter à nouveau des témoins lors de la prochaine audience", dit Me Ladin.
Lors d'une audience en avril, le tribunal a parcouru l'examen médical de Zaporozhets. Une autre audience a eu lieu le 17 mai, mais le bureau du procureur n'a pas pu assurer la présence des témoins. Il a demandé à pouvoir présenter des déclarations écrites de témoins. La défense s'y est opposée. Le tribunal a rejeté l’objection. La prochaine audience est prévue le 31 mai.
Ladin déclare que même si Zaporozhets n'est pas reconnu comme un militaire et condamné en tant que civil, il a l'intention de demander un échange de prisonniers. "Même si le verdict devient définitif, il existe une possibilité légale de l'échanger par clémence", déclare-t-il.
Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Zlochyn ».