Cinq citoyens de l'Union européenne sont jugés en Russie en tant que "mercenaires" engagés dans la guerre en Ukraine. Trois Britanniques, un Croate et un Suédois ont été capturés et détenus au printemps 2022 dans les régions de Zaporozhye et de Donetsk, occupées par les troupes russes. Dans un premier temps, ils ont été traduits en justice dans la République de Donetsk autoproclamée, où ils risquaient la peine de mort. Puis, en septembre, ils ont été échangés en compagnie d'autres prisonniers ukrainiens. Mais ce printemps, leur procès a été transféré à un tribunal militaire russe. Pour un procès qui se déroulerait désormais par contumace.
Le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest de la Russie, a tenu deux audiences dans l'affaire de ces cinq Européens, le Croate Vjekoslav Prebeg, le Suédois Matias Gustafsson et les Britanniques John Harding, Andrew Hill et Dylan Healy.
Lorsque les militaires pro-russes les ont capturés en 2022, les autorités de la République populaire (non reconnue) de Donetsk les ont accusés de s'être entraînés pour prendre le pouvoir, d'avoir pris le pouvoir par la force et d'avoir participé en tant que mercenaires à un conflit armé. Ces accusations permettaient de les condamner à mort. "Les articles dont ils sont accusés sont très graves. Ici, je n'exclurais pas la peine capitale", avait déclaré Denis Pushilin, chef de la république autoproclamée, sur une chaîne fédérale russe l'été dernier.
L'imposition de la peine de mort ne serait pas une pratique nouvelle pour la Cour suprême de Donetsk. En juin 2022, elle a prononcé sa première condamnation à l'encontre d'étrangers ayant combattu dans le Donbass aux côtés de l'Ukraine. Les Britanniques Aiden Aslin et Sean Pinner, ainsi que le Marocain Brahim Saadoun, ont été condamnés à mort. Ils ont été reconnus coupables de mercenariat, de tentative de prise de pouvoir par la violence et d'entraînement en vue de mener des activités terroristes. Pinner et Aslin s’étaient rendus aux forces russes à Marioupol, Saadoun à Volnovakha.
Le procès des trois accusés s'était déroulé à huis clos. Aslin, Pinner et Saadoun étaient membres des forces armées ukrainiennes et avaient signé un contrat avant le début de l'invasion totale par la Russie. Ils avaient vécu en Ukraine pendant plusieurs années. Pourtant, leurs actions avaient été qualifiées de mercenariat.
Le tribunal de Donetsk donne quelques détails
L'affaire concernant les cinq autres citoyens de l'Union européenne a été entendue publiquement pour la première fois le 15 août, lors d'une audience tenue devant la chambre d'appel de la Cour suprême de Donetsk, au cours de laquelle les premiers détails concernant l'identité des prisonniers accusés ont été révélés.
Gustafsson servait sous contrat à Marioupol dans la 36e brigade du corps des Marines en tant que conducteur d'un véhicule de combat d'infanterie.
Prebeg avait commencé son service dans l'armée ukrainienne il y a quelques années. Dans une interview qu'il a donnée après l'échange de prisonniers, il a déclaré qu'il s'était rendu à Kyiv en décembre 2019 parce qu'il voulait aider l'Ukraine dans sa guerre à l’Est contre les séparatistes pro-russes, et qu'il s'était ensuite engagé dans l'armée ukrainienne en mai 2020. À partir de là, il avait servi en tant que fusilier principal dans la 36e brigade à Pavlopil.
Harding avait déjà participé à d'autres conflits armés, notamment en Syrie. Il a signé un contrat avec les forces armées ukrainiennes au printemps 2018 et a servi en tant qu'instructeur. Dans les interviews qu'il a données par la suite, Harding a déclaré qu'il servait en tant qu'infirmier militaire.
Healy est arrivé en Ukraine en mars 2022, après le début de l'invasion russe. Les enquêteurs de Donetsk ont affirmé qu'il était venu de Pologne en passant pour un volontaire de la Croix-Rouge. Les médias ont mentionné que Healy était engagé dans l'aide humanitaire et aidait les résidents locaux pour le compte de l'organisation à but non lucratif Presidium Network.
Le troisième Britannique, Andrew Hill, s'est retrouvé dans le pays en même temps que Healy. Il avait suivi une formation pour les étrangers à Kyiv, a déclaré l'enquêteur au tribunal de Donetsk.
Ainsi, au moins trois de ces militaires servaient officiellement dans les forces armées ukrainiennes, et au moins deux des cinq accusés ont été faits prisonniers à "Azovstal", à Marioupol, par les troupes russes.
"On m’a cassé le nez et un interrogatoire brutal a commencé"
Aucun des étrangers n'a reconnu sa culpabilité. Les audiences avaient été reportées à octobre, mais aucune nouvelle audience ne devait avoir lieu dans la république autoproclamée : le 21 septembre, la Russie et l'Ukraine, par l'entremisee de l'Arabie saoudite, ont procédé à un vaste échange de prisonniers. 200 Ukrainiens et dix étrangers, dont les cinq accusés et les trois déjà condamnés, sont rentrés chez eux. La Russie a reçu 55 prisonniers de guerre, ainsi que l'homme d'affaires et politicien pro-russe Viktor Medvedchuk. Dans les médias, celui-ci est identifié comme le parrain du président russe Vladimir Poutine.
Après leur retour, trois des étrangers accusés ont donné des interviews aux médias sur les conditions de détention dans la république autoproclamée. "Lorsque je suis arrivé, ils m'ont fait sortir de la voiture ; ma tête était recouverte d'une sorte de sac. J'ai été immédiatement frappé à la tête, on m’a cassé le nez et un interrogatoire brutal a commencé", a déclaré Prebeg en octobre 2022 à Zagreb, en Croatie. Harding s'est également souvenu des tortures subies en captivité. Il a affirmé que les gardiens avaient utilisé des aiguillons à bétail pour frapper les prisonniers et avaient transformé un vieux téléphone en instrument de torture. Harding a souffert de lésions neurologiques et a déclaré avoir assisté à la mort d'un de ses compagnons de cellule.
En octobre 2022, la Russie a organisé un "référendum" sur l’intégration à la Russie de quatre régions ukrainiennes, dont celle de Donetsk. Le dossier des combattants étrangers a été transférée à la commission d'enquête de la Fédération de Russie. Et malgré l'échange de prisonniers, la procédure pour les juger pour mercenariat n'a pas cessé. Les articles du code pénal de la République populaire autoproclamée de Donetsk ont été remplacés par des articles du code pénal de la Fédération de Russie. La différence fondamentale est qu'en Russie, depuis 1997, il existe un moratoire sur la peine de mort. Le système judiciaire russe ne peut plus condamner les accusés à la peine capitale. La peine pour mercenariat est également moins sévère en Russie. Elle peut aller jusqu'à huit ans de prison. Gustafsson, Prebeg et Harding sont aussi accusés de s'être entraînés à préparer des activités terroristes. En vertu de cet article, ils pourraient être condamnés à la prison à vie.
Mercenaires ou combattants légaux ?
Nataliya Sekretareva, responsable du département juridique du Centre des droits de l’homme Memorial, une ONG russe interdite début 2022 et lauréate du prix Nobel de la paix, affirme que les cinq accusés ne peuvent pas être considérés comme des mercenaires du point de vue du droit international, selon la définition donnée dans le protocole additionnel aux conventions de Genève. "Les mercenaires sont des combattants étrangers qui ne font pas partie des forces armées d'un État. Ils sont avant tout intéressés par la possibilité de gagner de l'argent grâce à la guerre", explique l'avocate qui vit hors de Russie. "Il n'existe aucune information selon laquelle les volontaires étrangers combattent là-bas pour obtenir une récompense, en particulier une récompense qui dépasserait de loin la rémunération des militaires ukrainiens. En outre, la participation des bataillons de volontaires est réglementée par la législation ukrainienne. Les volontaires sont incorporés dans les forces armées de l'Ukraine et sont soumis à un commandement unique." Les accusés faisaient partie des forces armées de l'Ukraine, note Sekretareva. Ils avaient également le statut de prisonniers de guerre en Russie. "Il est interdit de les juger pour le simple fait d'avoir participé à un conflit armé", ajoute-t-elle.
L'affaire des cinq accusés a néanmoins été portée devant le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don en avril dernier. La première audience a eu lieu le 31 mai. Chacun des accusés s'est vu attribuer un avocat commis d’office. Le procureur a annoncé qu'il n'avait aucune information sur le lieu où se trouvaient les accusés. Il a demandé à la cour d'envoyer une requête à la police militaire du ministère de la Défense de la Fédération de Russie pour savoir où ils se trouvent.
"Cela semble insensé"
"On ne sait pas où se trouve Matias [Gustafsson]. Il est nécessaire de le localiser. La présence des accusés est également nécessaire. Ensuite, nous examinerons l'affaire sur le fond. Jusqu'à présent, je n'ai pas d'autres informations", a déclaré à la presse l'avocat de Gustafsson, Vyacheslav Sharovatov.
Dans l'attente d'une réponse du ministère de la Défense, l'audience a été reportée au 22 juin. Mais cela n'a donné aucun résultat. Aucune réponse n'a été donnée par le ministère de la Défense et l'audience a été reportée, une fois de plus, au 10 août. Sekretareva ne voit pas l'intérêt juridique de ce procès pénal en Russie : "Peut-être pour montrer que la Russie lutte sans concession contre l'Occident dans son ensemble ? Cela semble d'autant plus insensé qu'en Russie, depuis un an, on recrute ouvertement des mercenaires pour la société militaire privée Wagner. Et que par la suite, le chef du groupe de mercenaires Wagner a déclaré la guerre au ministre de la Défense et a roulé vers le Kremlin."