Le 19 juillet, la première audience de fond dans l'affaire des 22 membres allégués du bataillon ukrainien "Azov" s’ouvre devant le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don, situé dans le sud-ouest de la Russie, sur le fleuve Don, à 32 kilomètres de la mer d'Azov. Plus de 40 personnes assistent à l'audience - avocats, journalistes, huissiers. Derrière la vitre de l’« aquarium », comme on le surnomme en Russie, où les accusés sont assis, 22 accusés, dont neuf femmes, sont alignés. L'aquarium, d'une dimension inhabituelle, est gardé par cinq agents de sécurité portant des gilets pare-balles et des cagoules noires. Selon les plans initiaux du ministère public, 24 personnes auraient dû se trouver dans l'enceinte. Mais deux d'entre elles - le lieutenant David Kasatkin et l’officier supérieur Dmitry Labinsky - ont été échangées l'automne dernier avec des prisonniers de guerre russes.
Parmi les 22 accusés restant, seuls six étaient lorsqu’ils ont été capturés des soldats en activité. Sept d'entre eux avaient interrompu leur service militaire avant le début de l'invasion généralisée de la Russie en Ukraine, le 24 février 2022, selon des médias ukrainiens. Les neuf femmes travaillaient dans le régiment comme cuisinières ou femmes de ménage.
L'audience du 19 juillet commence avec un peu de retard [Justice Info a pu accéder à des informations sur l’audience grâce à des sources médiatiques, judiciaires et à un enregistrement audio des débats]. Le procureur explique que ce retard est dû à l'état de santé de l'un des accusés, Alexander Ishchenko. En réponse à la question du juge, Ishchenko déclare qu'il se sentait "déjà mieux". "Les médecins vous ont-ils dit quelque chose ? demande le juge. "Ils ont diagnostiqué une crise d'hypertension et lui ont administré une injection. Il se sent bien maintenant", répond le procureur à la place de l’accusé.
Les audiences ont été suspendues pendant un mois. Pendant cette période, le procureur a accordé les éléments de l'affaire pénale avec la législation russe. Auparavant, les membres du bataillon Azov étaient accusés en vertu du code pénal de la République populaire autoproclamée de Donetsk (DPR). Ils sont accusés de « prise de pouvoir par la violence » en DPR, ainsi que de participation à une organisation « terroriste ».
Remise volontaire aux autorités pro-russes
Lors de l'audience précédente, le procureur a lu les chefs d'accusation. Le 19 juillet, les accusés sont interrogés sur leur attitude à l'égard de ces accusations. Quinze d'entre eux ne reconnaissent pas leur culpabilité et expriment leur position sans entrer dans les détails. L'une restera silencieuse. Cinq demandent le droit de faire connaître leur position plus tard au cours du procès. Un seul enfin se déclare d'accord avec les accusations.
- Je ne reconnais pas entièrement ma culpabilité. Je n'ai pas agi dans le but de renverser le système constitutionnel ou de prendre le pouvoir, déclare tout d’abord Vladislava Maiboroda, qui travaillait comme cuisinière dans le régiment Azov.
- Je n'ai aucun lien avec la prise de pouvoir car je n'avais aucune autorité pendant mon service. Je n'avais personne sous mes ordres, enchaîne Liliya Pavriyanidis, une collègue de Vladislava Maiboroda, qui explique qu'elle a quitté son poste et s’est rendue volontairement.
- Je travaillais comme cuisinière et [durant les combats] nous avions le choix : quitter (le poste) ou rester. J'ai pris la décision de partir, explique la cuisinière Nina Bondarenko.
Pour sa part, Artem Grebeshkov déclare qu'il ne peut admettre avoir servi dans le régiment Azov que de 2017 à 2021. À l'époque, ce bataillon n'était pas considéré comme terroriste (en Russie), souligne-t-il.
- Le 22 février 2022, j'ai refusé de participer à des actions de combat, et le 4 avril 2022, je me suis volontairement rendue aux autorités (pro-russes), déclare aussi Natalya Golfiner.
Une autre cuisinière, Liliya Rudenko, attire l'attention de la Cour sur le fait que l'accusation stipule qu'elle aurait dû quitter son poste. "Mais je l'ai bien fait de mon plein gré", dit-elle. Sa collègue Alena Bondarchuk reste silencieuse. "Elle se sent mal ?", demande la Cour. "Elle refuse de communiquer. Je ne peux pas exprimer sa position", répond son avocat commis d’office.
Une seule personne, Oleg Tyshkul, indique qu’il admet être d'accord avec l'accusation, mais il ne donne pas plus de détails.
Cinq autres accusés indiquent qu’ils vont exprimer leur culpabilité ou leur innocence plus tard. Certains d'entre eux ont demandé à la cour de prendre en compte certains détails spécifiques du dossier.
Témoin silencieux
Le procureur présente ensuite au tribunal son plan de déroulement de l'audience : il souhaite interroger quatre témoins, examiner les pièces écrites de l'affaire, entendre les accusés et procéder aux plaidoiries finales. La défense ne soulève pas d’objection.
Le procureur appelle immédiatement un premier témoin à la barre. Une femme, présentée comme l'épouse d'un des accusés, Anatoly Gritsyk. Celle-ci déclare qu'il n'était plus membre du bataillon Azov lorsqu'il a été arrêté en avril 2022 à son domicile près de Mariupol, dans la région de Donetsk. Le tribunal lui rappelle qu'elle a le droit de ne pas témoigner contre ses proches. La femme décide d'exercer ce droit, notant que ses déclarations antérieures figuraient déjà dans le dossier, qui n'ont pas été lus pendant la séance du tribunal.
Le procureur souhaite maintenant interroger un autre témoin par liaison vidéo. Mais ce dernier n'a pas été en mesure de se rendre au rendez-vous fixé pour lui dans un tribunal situé dans la République populaire de Donetsk.
Soutient aux "terroristes" en cuisinant
À la fin de l'audience, l'avocat d'Irina Mogitich dépose une demande de classement sans suite de l'affaire pénale. L'avocat lit sa requête pendant environ 20 minutes. Dès la première partie du document, les activités que les enquêteurs russes considèrent comme criminelles de la part des cuisinières apparaissent plus clairement.
Selon le dossier d’accusation lu à l’audience par son avocat, Mogitich aurait en cuisinant apporté son "soutien à Azov et à sa prise du pouvoir en violation de la Constitution de la République populaire de Donetsk". En tant que cuisinière, elle "fournissait de la nourriture aux membres de l'organisation terroriste et effectuait d'autres tâches de cuisine sur le territoire d'Azov" [c'est-à-dire le village d'Urzuf, près de Marioupol, où se trouvait la base d'Azov avant les combats dans l'usine métallurgique d'Azovstal]. C'est par ces actions qu'elle aurait "entravé la restauration du système constitutionnel en DPR [qui revendique Marioupol comme faisant partie de son territoire] et le fonctionnement de la structure de pouvoir de la République populaire".
« Erreurs » juridiques de l’accusation
Dans sa requête, l'avocat pointe sur les « erreurs » juridiques de l'accusation. L'objet du crime était la souveraineté de la République populaire de Donetsk. Mais selon la législation russe, l'objet du crime pour l'accusation applicable ne peut être que la souveraineté de la Russie. Au moment où l'accusée a prétendument commis le crime, la Russie n'avait pas encore tenu son "référendum" sur l'inclusion de la République au sien de la Russie. En outre, il n'est pas possible d'accuser Mogitich de terrorisme, selon l'avocat, puisque le bataillon Azov a été classé comme organisation terroriste en Russie en août 2022, alors que l'accusée est inculpée pour des événements qui se sont produits au cours de l'hiver et du printemps 2022.
Des défenseurs russes des droits humains ont déjà soulevé ces mêmes arguments. Ainsi, l’activiste Roman Kiselyov a expliqué à Justice Info que les accusés opéraient sur le territoire internationalement reconnu de l'Ukraine à une époque où la Russie elle-même ne reconnaissait pas les "républiques" [de l'est et du sud de l'Ukraine] comme faisant partie de son territoire national. Le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don a promis d'examiner la requête ultérieurement.
La prochaine audience est annoncée pour le 9 août, au cours de laquelle le procureur a déclaré qu'il prévoyait de "poursuivre l'interrogatoire des témoins".