Le 23 août 2023, les autorités russes ont annoncé qu'un jet privé transportant Evgueni Prigojine et Dmitri Outkine - les numéros 1 et 2 de la Wagner Private Military Company - s'était écrasé, tuant toutes les personnes à bord. Le lendemain, le président russe Vladimir Poutine a paru confirmer la mort de Prigojine, promettant une enquête approfondie sur l'accident. La société Wagner PMC, active depuis au moins 2014, a été associée à des crimes de guerre en Ukraine, au Mali, en Libye, en République centrafricaine (RCA) et en Syrie. En janvier 2023, le gouvernement américain a désigné Wagner PMC comme une "organisation criminelle transnationale". Des commentateurs ont estimé que Wagner PMC agissait comme un mandataire privé de la politique étrangère du Kremlin. Malgré plusieurs rapports de l'Onu et le flux constant de comptes rendus d'ONG et de médias liant Wagner PMC à des atrocités, le groupe et ses dirigeants n'ont jamais été poursuivis par la communauté internationale.
En mars 2022, les forces maliennes et les "instructeurs" de Wagner PMC ont opéré une « descente » à Moura, un village de la région de Mopti, au Mali. Au cours des cinq jours qui ont suivi, au moins 500 personnes - en majorité des civils non armés - auraient été massacrées. Un rapport détaillé du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme affirme que Wagner PMC a participé à l'opération, qui a donné lieu à des exécutions extrajudiciaires, des viols et des tortures, et demande que les responsables soient traduits en justice. Selon le Groupe de travail de l'Onu sur l'utilisation de mercenaires, en septembre 2019 des troupes de Wagner PMC soutenant l'armée nationale libyenne du général Haftar ont exécuté sommairement des détenus à la périphérie de Tripoli. Selon Human Rights Watch, depuis 2019, des membres de Wagner PMC ont exécuté sommairement, torturé et maltraité des civils en RCA. Plus récemment, un ancien mercenaire de Wagner PMC en Ukraine a décrit avoir torturé et tué des prisonniers de guerre ukrainiens. Derrière cette violence et cette brutalité, des rapports font également état d'un pillage organisé des ressources naturelles. Des rapports en provenance de République centrafricaine suggèrent que Wagner PMC a la mainmise sur les mines d'or et les bois tropicaux du pays. D'autres suggèrent que Wagner PMC profite des troubles au Soudan pour piller l'or du pays.
Une occasion manquée pour la CPI
Tous ces crimes de guerre présumés ont un point commun, outre la preuve de l'implication des mercenaires de Wagner PMC : ils auraient tous eu lieu sur des territoires relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). À notre connaissance, le procureur de la CPI n'a jamais annoncé l'ouverture d'une enquête sur l'un de ces incidents, ni demandé l'émission de mandats d'arrêt à l'encontre du personnel de Wagner PMC. Il n'y a pas eu non plus d'autres efforts internationaux pour amener les dirigeants de Wagner à rendre des comptes. Depuis près de dix ans, ce groupe de mercenaires lié au Kremlin poursuit les objectifs de la politique étrangère russe en Ukraine, en Syrie et dans toute l'Afrique, faisant preuve d'un mépris flagrant pour le droit humanitaire international et les droits de l'homme, et ce en toute impunité. Il s'agit assurément d'une occasion manquée pour la justice internationale. Prigojine et ses lieutenants sont connus pour avoir ouvertement voyagé vers et depuis des États membres de la CPI tels que le Mali et la République centrafricaine pour négocier leurs accords infâmes. Des mandats d'arrêt de la CPI contre les dirigeants de Wagner PMC auraient peut-être rendu les aventures africaines de Wagner PMC plus délicates, ou au minimum embarrassantes pour les pays hôtes.
Maintenant que ses deux principaux dirigeants sont morts, est-ce la fin de l'obligation de faire justice sur les crimes de Wagner PMC ? Il est clair que le monde a perdu l’occasion de voir Prigojine raconter son histoire à La Haye. La famille d'au moins une victime syrienne a tenté d'obtenir justice en Russie, en vain. Son dossier a été délaissé par les enquêteurs russes et rejeté par les tribunaux russes. Il est probable que les efforts analogues de victimes maliennes, libyennes ou ukrainiennes connaîtront le même sort, étant donné que la Russie continue de nier l'existence de Wagner PMC en tant qu'entité juridique. Il est également peu probable que la CPI poursuive les fantassins de Wagner PMC ou ses petits commandants - la Cour a été créée pour poursuivre les hauts gradés.
Sans Prigojine, qui portera le chapeau ?
Mais la responsabilité doit-elle s'arrêter à Prigojine et à son adjoint ? Qu'en est-il de celle du Kremlin dans les crimes de Wagner PMC ? En juin 2023, Poutine a fait une annonce extraordinaire en déclarant aux responsables militaires et à la presse : "Je veux le souligner et je veux que tout le monde le sache : l'entretien de l'ensemble du groupe Wagner a été entièrement pris en charge par l'État [...] à partir du ministère de la Défense, du budget de l'État, nous avons entièrement financé ce groupe." Bien qu'il ne s'agisse pas d'un aveu de contrôle effectif sur la conduite du groupe sur le terrain, cela paraît confirmer ce que l’on croit de longue date, à savoir que Wagner PMC est un agent de l'État russe. À tout le moins, cela mérite une enquête détaillée sur la mesure dans laquelle les autorités russes ont contrôlé la conduite des unités de Wagner PMC. Les individus qui ont exercé une autorité et un contrôle effectifs sur les mercenaires ayant commis des crimes de guerre sans empêcher ou punir ces crimes doivent être traduits en justice.
ALEXANDRE PREZANTI
Alexandre Prezanti est avocat à Guernica 37 Chambers, au Royaume-Uni, et un associé de la firme Global Diligence LLP. Il est spécialisé dans le droit pénal international, les droits de l'homme et les sanctions. Il conseille régulièrement la société civile, les autorités nationales et les organisations internationales.