"Nous avons confiance dans le droit international." C'est ce que déclare Alan Kessel, représentant du gouvernement canadien devant la Cour internationale de justice (CIJ), lors de la conférence de presse qui suit l'audience, ce 10 octobre, sur les marches du "Palais de la paix". Debout à quelques mètres de Kessel, à l'extérieur du grandiose bâtiment, entouré de pelouses et de parterres de fleurs soigneusement entretenus, j'ai du mal à l'entendre. À l'extérieur, des chants "Hurriyah, Hurriyah, Hurriyah" (liberté, liberté, liberté) s'élèvent bruyamment tandis que flottent des drapeaux syriens.
Le serment d'allégeance de Kessel au "droit international" est en fait une réponse à une question précise d'un journaliste : "Les Syriens ne se sont même pas présentés aujourd'hui, qu'est-ce qui vous fait penser qu'ils adhéreraient à toute mesure exigée par la cour ?"
Cette question est sous-jacente à l'ensemble de ce différend juridique. C’est la tension clé qui sous-tend cette tentative de tenir le gouvernement syrien responsable de torture en vertu du droit international. Les groupes de rescapés et d'activistes présents devant le Palais de la Paix semblent à la fois tout à fait réalistes quant à ce que le tribunal peut "accomplir" (c'est-à-dire presque rien), et incroyablement positifs sur ce dossier. Pour affronter ce paradoxe, il faut réfléchir aux aspirations, aux inspirations et à l'imagination que l’on accorde aux procédures judiciaires internationales.
En quoi une procédure aussi dense et technique sur le plan juridique est-elle importante ? Une procédure, de surcroît, où l'une des parties (la Syrie) refuse de se présenter ? Que peut apporter un tel litige, dans une arène aussi particulière ?
Outil de lutte contre la criminalité ou temple de techniciens ?
La Cour internationale de justice est un instrument permettant de statuer sur des différends entre États. Historiquement, il s'agit de juger les différends sur les frontières terrestres ou maritimes, les questions de souveraineté territoriale et les désaccords sur la légalité de l'usage de la force. Malgré une confusion fréquente dans la presse, la CIJ n'est pas la Cour pénale internationale (CPI). La CPI se présente comme un outil permettant de mettre fin à l'impunité par le biais d'une justice pénale internationalisée et individualisée. Elle siège dans une forteresse vitrée dont l'intérieur ferait pâlir d'envie un concepteur de salle d'exposition Ikea. La CIJ, située à trois kilomètres de là, se trouve dans un bâtiment palatial dont l'intérieur est digne d'une cathédrale, avec des vitraux, des plafonds en dôme et des inscriptions latines sous des sculptures en relief représentant la "veritas" (vérité) et la "justitia" (justice). Si la CPI est un sanctuaire séculaire de la responsabilité pénale individuelle, de la justice pour les victimes et de la prise en compte des crimes d'atrocité, la CIJ est le temple de différends raffinés sur des traités, de la technicité juridique et des expressions latines obscures.
Ces dernières années, cependant, des juristes créatifs ont commencé à utiliser la Cour comme une arène pour traiter de crimes atroces n’ayant pas d'impact direct sur les États qui la saisissent, comme le génocide (dans l'affaire Gambie c. Myanmar) et la torture (Canada et Pays-Bas c. Syrie). Le Canada et les Pays-Bas abordent la question de la torture en Syrie sous l'angle d'un différend conventionnel. Les trois pays sont parties à la "Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants" (CAT). L'article 2 de cette Convention stipule que "tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres mesures efficaces" pour empêcher la torture sur tout territoire sous sa juridiction. Le principe juridique erga omnes partes (une de ces expressions latines obscures, traduite littéralement par "à l’égard de toutes les parties") permet à tout pays partie à une convention telle que celle contre la torture d'intenter une action en justice pour des violations qui ne l'affectent pas directement. L'argument est que les parties à un traité ou à une convention ont des obligations envers toutes les autres parties, et que si elles ne remplissent pas ces obligations, il existe des motifs de litige juridique légitime. C'est en vertu du principe erga omnes partes que la Gambie - un minuscule pays d'Afrique de l'Ouest comptant environ 2,5 millions d'habitants - a pu intenter une action contre Myanmar, le plus grand pays d'Asie du Sud-Est avec une population de 55 millions d'habitants, pour des violations présumées de la convention sur le génocide.
En l'occurrence, le Canada et les Pays-Bas demandent à la Cour de se prononcer sur sept "mesures provisoires" globales, destinées à mettre un terme à la torture et aux autres violations des droits de l'homme perpétrées par le gouvernement syrien à l'encontre de son peuple.
L'optimisme dans la forêt des mots
La perspective de voir la Cour internationale de justice devenir une arène où l'on peut traiter les crimes d'atrocité est accueillie par beaucoup avec optimisme. Les réactions autour de l’audience sur la Syrie le démontre. Human Rights Watch parle d'un moment "décisif" et d'une "occasion d'examiner les tortures odieuses infligées depuis longtemps par la Syrie à d'innombrables civils". Le ministère néerlandais des Affaires étrangères déclare qu'il s'agit d'une "étape cruciale vers la vérité, la justice et l'obligation de rendre des comptes". Des mots fidèlement repris par des organismes canadiens de politique étrangère. Et les universitaires applaudissent le fait que l'affaire progresse, affirmant qu'il s'agit d'une preuve que la CIJ peut être un "nouvel outil pour faire respecter les droits de l'homme".
Ce discours optimiste, basé sur l'action, contraste fortement avec la minutie procédurale de la Cour elle-même. Lorsque les 15 juges de la CIJ entrent dans la salle d'audience et s’assoient, la présidente Joan E. O'Donoghue (États-Unis) déroule l’historique procédural des soumissions des parties. Aucune réflexion ne perce sur l'importance du dossier, aucun hommage à la "justice", à la "vérité" ou à la "fin de l'impunité", aucune attention envers une galerie publique bondée ou une audience en ligne (vraisemblablement) importante. Le comportement des juges semble indiquer qu'il s'agit juste d'une procédure juridique technique - presque chirurgicale dans sa précision - et qu'elle sera conduite comme telle.
En l’absence de fanfare verbale qui contraste fortement avec l'opulence des lieux, les Pays-Bas et le Canada entament leurs soumissions. Le représentant des Pays-Bas, René Lefeber, annonce que son équipe a "choisi de ne pas vous montrer d'images de victimes de la torture", car cela risquerait de "dramatiser inutilement" leur demande de mesures conservatoires. Hormis ces quelques envolées rhétoriques, le dossier présenté aux juges et aux chaises vides des représentants syriens est clinique et truffé de jargon juridique. Assis dans cette salle d'audience austère, je m’efforce de trouver mon chemin dans la forêt verbale des questions juridictionnelles et des questions de droits qui sont posées. Au vu des sièges délibérément vides de la délégation syrienne et étant donné le manque de pouvoirs de la CIJ pour faire appliquer les mesures provisoires qu'elle pourrait prononcer, comment des aspirations optimistes, militantes et non juridiques peuvent coexister avec les débats purement techniques et aseptisées que la Cour s'impose ?
Quel est le sens de tout ça ?
Assise dans la salle de conférence "Van Gogh" de l'hôtel Marriott, le mercredi 11 octobre, j'écoute maintenant une table-ronde organisée par des organisations syriennes dirigées par des rescapés. Tous les intervenants reconnaissent la quasi-certitude que les mesures provisoires ne seront pas mises en œuvre et ne peuvent pas être contraintes. L'accent est plutôt mis sur ces procédures comme "premier pas". Pour certains, il s'agit d'un premier pas vers l'élimination des récits mensongers du régime syrien. Pour d'autres, il s'agit de faire basculer le pouvoir du régime au peuple. Le plus intriguant est que ces procédures sont considérées comme un "premier pas" sur la voie de la CPI, qui serait "le rêve de nombreux Syriens". Actuellement, la CPI n'est pas compétente pour juger les violences commises en Syrie, puisque ce pays n'est pas partie au Statut de Rome. Et l'approche strictement individuelle de la CPI signifie que même si elle était compétente, elle est considérée comme une voie de "justice" à la fois souhaitable et problématique.
Devant le Palais de la Paix, des manifestants brandissent une banderole appelant au jugement du "criminel chimique" Assad. Dans le même temps, Ahmad Helmi, rescapé de la torture, affirme que l'emprisonnement d'Assad ne suffirait pas. Pour lui, le problème est que "la torture en Syrie est un programme, un système" et que "l'État doit donc être tenu pour responsable". Assad est le visage de la violence d'État en Syrie et, dans une large mesure, s’il n’est pas tenu responsable, beaucoup ne percevront pas que "justice" a été rendue. Mais la nature systémique de la violence en Syrie signifie qu'il serait impossible de rendre compte du crime en jugeant un seul individu, aussi puissant soit-il. C'est là que le paradoxe de la poursuite du crime d'atrocité devant la CIJ atteint son paroxysme. La CIJ en tant qu'outil de lutte contre ces crimes est une énigme à la fois puissante et inadéquate.
S'il existe une possibilité pour la Cour internationale de justice d'aborder - en termes narratifs sinon juridiques - une violence structurelle pour laquelle la CPI est si mal équipée en raison de sa focalisation sur les actions individuelles plutôt que sur les systèmes, il est nécessaire de prendre également en compte ses limites. Peut-être qu'Alan Kessel et les rescapés syriens "font confiance au droit international" dans cette affaire. Mais si Kessel croit que la loi (et en particulier l'application de la loi par la CIJ) peut rendre une "justice" abstraite aux Syriens, la communauté des rescapés et des militants a un point de vue plus nuancé. Cette communauté semble croire que ce n'est pas la loi, mais le spectacle de la loi, qui élèvera leur récit, invitera à la discussion et leur apportera une légitimité. En fin de compte, la CIJ pourrait devenir, dans ces dossiers criminels, un moteur de la création de sens plutôt que de responsabilité juridique. La véritable bataille ne portera alors pas sur la compétence de la Cour, mais sur la question de savoir qui accorde la légitimité à son récit.
"En tant que survivants, nous sommes aussi des preuves"
Dans l'affaire opposant le Canada et les Pays-Bas à la Syrie, le gouvernement syrien tente de nier la légitimité du travail de la Cour en refusant d'assister aux audiences. La CIJ, en tant qu'institution, affirme la légitimité de son sens par sa longue histoire, son cadre grandiose et ses prouesses juridiques. Les représentants juridiques du Canada et des Pays-Bas tentent de créer du sens à travers la perception d’une légitimité inhérente à leur cause et leur capacité à tisser des arguments juridiques complexes en utilisant la jurisprudence, les statuts et le langage technique. Il reste à voir comment cette création de sens et cette bataille pour la légitimité se dérouleront lors des audiences ultérieures. Mais pour la diaspora syrienne et les rescapés à l'extérieur des portes du Palais de la Paix, c’est le spectacle des audiences qui leur donne une sorte de légitimité incarnée. Ils considèrent le tribunal non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen, "un autre outil que nous pouvons utiliser". Ils sont sceptiques quant à ses pouvoirs, mais optimistes sur le fait que le récit qui en sortira peut les mettre, en tant que communauté, sur la "voie de la justice". Comme le fait remarquer un rescapé, "nous sommes aussi une mémoire. En tant que survivants, nous sommes aussi des preuves."
LUCY J. GAYNOR
Chercheuse doctorante à l'université d'Amsterdam et au NIOD Institute for War, Holocaust, and Genocide Studies, examinant la construction de narratifs historiques dans le cadre des procès pénaux internationaux.