En Guinée, durant l’été, la justice prend congé. Entre les mois d’août et de septembre, les vacances judiciaires ont mis en pause le procès du massacre du grand stade de Conakry. Après avoir entendu près d’une centaine de victimes, le tribunal criminel de Dixinn a fermé ses portes.
Lorsqu’il les a rouvertes le 3 octobre, des victimes ont de nouveau été appelées à la barre, faisant craindre une prolongation excessive du procès que les autorités guinéennes voyaient, au départ, durer seulement quelques mois. Et le 28 septembre, lorsque le procès a soufflé sa première bougie il était bien difficile d’entrevoir la fin de la procédure.
Maître Hamidou Barry s’y risque pourtant. Il est l’un des avocats des parties civiles. « Normalement, en 2024, au plus tard lors du premier semestre, je pense que l'on doit finir la première instance. » Mais quand il dit ça, Me Barry exprime plus un souhait qu’une information basée sur un calendrier officiel précis. « Sinon, on risque de passer 5 ans devant le tribunal de première instance, met-il en garde. Alors qu'il y a des témoins à entendre, il y a des confrontations à faire, il y a les plaidoiries. »
Il affirme défendre l’intérêt de victimes dont certaines sont malades et pourraient mourir avant le verdict. Elles sont entre 700 et 800 au total, dont une cinquantaine, au moins, se sont constituées partie civile depuis l’ouverture du procès. Au rythme actuel des auditions, il aurait fallu plusieurs années pour toutes les entendre.
Mercredi 25 octobre, le président du tribunal, Ibrahima Sory II Tounkara, a donc annoncé le début d’une nouvelle phase : l’audition des victimes est désormais terminée, celle des témoins commence le 6 novembre. Une décision saluée par Me Barry. D’anciens hauts gradés militaires et des ex-ministres seront convoqués avant les confrontations qui feront revenir les accusés à la barre. De quoi relancer l’intérêt de l’opinion publique pour le procès, selon le politologue Kabinet Fofana.
Lassitude du grand public ?
À son ouverture, ce procès multi-diffusé, à la télévision, à la radio, mais aussi sur les réseaux sociaux, était très regardé, notamment lors des comparutions des figures les plus médiatiques de la junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara. L’audition d’Aboubacar Diakité, dit « Toumba », ancien aide de camp de l’ex-chef d’État, a ainsi tenu en haleine le pays durant plusieurs semaines. « Au début, il y a eu un fort engouement. C’était l’effet de la nouveauté. C’était un procès qui avait été très attendu », retrace Fofana. « Maintenant, il y a une petite lassitude qui peut se comprendre. »
Au mois de février, les passages à la barre des premières victimes ont permis de redonner de la gravité, du sérieux à l’affaire qui avait fini par devenir un spectacle pour beaucoup de Guinéens. Jusqu’au mois d’octobre, les récits tragiques se sont succédés, permettant de brosser un tableau détaillé des formes de violence commises lors de la répression du meeting de l’opposition du 28 septembre 2009. Des victimes ont raconté l’assaut des bérets rouges dans le stade bondé. D’autres ont évoqué le rôle de miliciens armés de couteaux. Des femmes ont dénoncé les viols qu’elles ont subi de la part des forces de sécurité. Enfin, certaines ont décrit les tortures, les sévices qu’elles ont subies dans les prisons improvisées de la junte.
Mais au fil des auditions, il y a eu, inévitablement, des répétitions. Fofana constate « de la redondance dans les témoignages ». « Après, cela peut se comprendre parce que ce sont des gens qui ont vécu pratiquement les mêmes faits. Certes, pour le grand public, ça peut être de la redondance, mais pour les professionnels ou même la cour, cette redondance-là, c'est quelque chose de fondamental », explique-t-il. C’est ce qui permettra aux juges de se forger une intime conviction, pense Fofana, le politologue, qui suit de près le procès.
Toutes les victimes ne peuvent pas prendre la parole dans le cas de crimes de masse, selon Me Barry, qui demande à celles qui ont « des pièces » de les déposer « au niveau du tribunal ». Et l’avocat cite pour exemple l’affaire Hissène Habré dans laquelle 4 000 victimes s’étaient portées partie civile et où une centaine de témoins seulement ont été auditionnés. Le procès Habré, qui permit de juger les violations des droits humains durant 8 ans de dictature au Tchad, dura 10 mois.
La crainte d’un procès politique
Cette prolongation du procès peut-elle avoir été dictée par des facteurs moins évidents ? Cache-t-elle un intérêt politique ? C’est possible, reconnaît Fofana. « C’est peut-être une manière d’occuper un peu la période transitoire. » Il pressent « qu’un coup d’accélérateur sera donné au procès à mesure que l’on se rapprochera de la fin de la transition » prévue pour janvier 2025. Cependant, selon Fofana, « le procès se fait globalement dans les normes ».
Me Barry préfère rester prudent : « Je n’ai pas de preuves de potentielles pesanteurs politiques », dit-il. Il y voit plutôt les conséquences du caractère exceptionnel de ce procès. « En Guinée, c’est la première fois que l’on juge des crimes de masse, des crimes qui relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale. Le procès se déroule normalement, mais tout n'est pas parfait. » Il est vrai que la direction des débats manque parfois de cohérence et que les auditions se perdent en détails périphériques, les avocats, nombreux, posant souvent les mêmes questions.
A l’occasion du premier anniversaire du procès, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) organisait une conférence de presse en Guinée : « Les acteurs judiciaires et la société civile guinéenne contribuent à l’une des plus grandes expériences judiciaires en Afrique à travers ce procès », déclarait alors Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH.
Le ministère de la Justice se réjouit lui aussi du travail accompli. « Aujourd’hui, la justice guinéenne est en train d’envoyer une image très forte sur la scène internationale, parce qu'il faut oser le dire, l'indépendance de la justice est en train de s'affirmer dans les faits et dans les actes. C'est ce qui nous importe le plus », estime son porte-parole, Lansana Traoré. Et finalement la durée du procès lui apparaît comme secondaire : « Ce qui est important c'est que le peuple de Guinée sache ce qui s'est passé, et au-delà que chacun soit rétabli dans son droit. »
Son ministère, dit-il, veille à mettre « les moyens à disposition pour que le procès puisse continuer et aller à son terme ». Une table ronde sur la question du budget a eu lieu à la fin du mois de septembre à Conakry, avec des partenaires techniques et financiers. Le procès représente un coût important pour la Guinée et le pays se demande s’il peut continuer à le financer. « Aujourd’hui, les honoraires des avocats vont coûter à l’État guinéen 500 millions de Francs guinéens par mois [55 000 euros] », déclarait le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright lors de la rencontre. Il estimait qu’il restait entre 4 et 5 milliards de Francs guinéens, soit entre 440 000 et 550 000 euros, sur le compte dédié au procès et appelait les partenaires financiers à mettre la main à la poche. Jusqu’à présent, le procès a été entièrement financé sur le budget de l’État.