Le 5 mars 2022, le pilote russe Aleksandr Krasnoyartsev décolle à bord d'un Su-34, un avion de chasse multifonctions des forces armées russes, d'un aérodrome militaire situé près du village de Seshcha, dans la région de Bryansk, une région de la Fédération de Russie proche de l'Ukraine. Le même jour, vers 11 h 30, son avion est abattu par les forces de défense ukrainiennes au-dessus de Tchernihiv, une ville située au nord de la capitale Kyiv.
Krasnoyartsev et son copilote s'éjectent. Après avoir atterri dans la cour d'une maison résidentielle, Krasnoyartsev tente de s'échapper malgré ses blessures. Le copilote est mort des suites de la chute. Krasnoyartsev est repéré par le propriétaire de la maison. Le Russe ouvre le feu sur lui au moins deux fois avec un fusil Makarov, tue le civil ukrainien, avant d’être finalement appréhendé par la défense territoriale ukrainienne.
Échangé contre cinq pilotes ukrainiens
Dès les premiers mois de sa captivité, Krasnoïartsev est échangé. Selon le chef du service de sécurité de l'État ukrainien, Kyrylo Budanov, le pilote russe aurait été troqué contre cinq pilotes ukrainiens. L'enquête et le procès devant le tribunal du district Novozavodsky de Tchernihiv se sont donc déroulés par contumace.
La sœur du défunt a témoigné devant le tribunal qu'elle et son frère résidaient de façon permanente dans cette maison. Le frère décédé travaillait comme électricien à la société "Sporttehnika" et participait activement à l'éducation de sa fille, moralement et financièrement. Ce jour-là, elle se trouvait dans la maison et a entendu quelque chose voler. Son frère a vu de la fumée par la fenêtre et est sorti, habillé en civil et ne tenant rien dans les mains selon elle. Le témoin a entendu quelques coups de feu séparés et est sorti de la maison alors que Krasnoyartsev avait été arrêté, pour découvrir le cadavre de son frère.
Le mari de la sœur de la victime a déclaré pour sa part à la cour que l’homme en civil était sorti dans la cour avec rien d'autre qu'un tisonnier dans les mains. Il a vu courir une personne portant des vêtements bleus. Le témoin n'a pas vu qui tirait et dans quelles circonstances, il a seulement entendu les coups de feu.
Un homme en civil, face contre terre
Un membre de la défense territoriale a déclaré à la Cour qu'il était à la recherche de pilotes éjectés d'un avion ennemi abattu qui venait de bombarder Tchernihiv. Il a entendu quelques coups de feu et a suivi leur direction, puis a vu un parachute sur le toit d'une maison. Dans une cour, il a aperçu le cadavre d'un homme en civil, blessé par balle à la tête, allongé sur le ventre, face contre terre. Il a retrouvé le pilote dans la cour voisine, réfugié dans un bâtiment technique. Krasnoyartsev s’est rendu et est sorti les mains en l'air, arme à la main. Il portait une combinaison bleue et avait une entaille à la joue.
Le détenu Krasnoyartsev n'a pas nié avoir bombardé la zone et ouvert le feu sur la victime. Peu après, en avril 2022, le journaliste Volodymyr Zolkin a enregistré une interview avec lui. Ce dernier a confirmé qu'il avait tiré à plusieurs reprises sur un homme qui lui courait après. Au cours de la procédure, cette vidéo a été la seule source de témoignage de l'accusé.
Krasnoyartsev y affirme que le civil l'aurait poursuivi avec une fourche. Mais les membres de la famille ont déclaré au tribunal qu'ils n'avaient pas de fourche à ce moment-là parce qu'elle était cassée et conservée dans la remise, qui était trop éloignée pour que la victime puisse s'y rendre.
Selon l'examen médico-légal, l'homme a été tué à bout portant, ce qui signifie que le militaire avait la possibilité de prévoir l'issue fatale et d'être certain qu'il s’en prenait à un civil qui n'était pas directement impliqué dans les hostilités.
Gants en cuir et sucette à la menthe
Les effets personnels suivants de l'accusé ont été saisis sur place : un téléphone portable, une brochure intitulée « Situations particulières en vol », une boite métallique orange portant l'inscription « Ne pas ouvrir l'enregistreur d'urgence », des gants en cuir, un parachute orange et blanc, des douilles, un bonbon étiqueté « sucette à la menthe », etc.
C'est à l'issue de cette procédure par contumace, alors que d'autres pilotes russes ont été jugés en Ukraine avant d'être échangés, que le tribunal de Tchernihiv a déclaré le militaire coupable de violation des lois et coutumes de la guerre. Un an après son échange, le 26 octobre, Krasnoyartsev a été condamné à 14 ans de prison. Le tribunal a statué en faveur de l'action civile intentée par la sœur de l'homme assassiné, ordonnant au russe de payer 2 millions de hryvnias [environ 50 000 euros] de compensation pour préjudice moral.
Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».
