Interrogations sur le respect des droits du premier accusé renvoyé au Rwanda par le TPIR

Interrogations sur le respect des droits du premier accusé renvoyé au Rwanda par le TPIR©TPIR
Jean-Bosco Uwinkindi
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Le premier renvoi à Kigali d'un accusé du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) doit-il être annulé ? Une procédure destinée à répondre à cette question est en cours depuis mai dernier devant le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI).

La décision qui sera rendue par cette institution de l’ONU chargée d’assurer les fonctions résiduelles du Tribunaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie, fera date.

Depuis son renvoi devant la justice de son pays, il y a plus de trois ans, le pasteur pentecôtiste Jean Uwinkindi n'a cessé de dénoncer «  des violations répétées » de ses droits. Mais ses plaintes étaient restées vaines, jusqu'à ce que le MTPI décide, en mai dernier, de nommer un panel de trois juges pour se pencher sur sa dernière demande du genre.

Créé par une résolution du Conseil de sécurité de décembre 2009, le MTPI a notamment pour mandat d'assurer les fonctions résiduelles du TPIR qui doit théoriquement fermer ses portes d'ici à la fin de l'année au terme de 20 ans d'existence.

Mais que reproche le prédicateur à la justice de son pays ?

L'ancien pasteur de campagne, qui ne parle que sa langue maternelle, le kinyarwanda, clame aujourd'hui ne plus bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Dès son transfert au Rwanda, sa défense avait été assurée par Maîtres Gatera Gashabana et Jean-Baptiste Niyibizi, tous deux du barreau de Kigali. Commis d'office en raison de l'indigence de leur client, les deux avocats étaient payés par le gouvernement rwandais dans le cadre de son tout nouveau programme d'assistance judiciaire.

 

Nouveaux avocats récusés

Mais ils semblaient ne pas être satisfaits de la rémunération. Au début de l'année, suite à l'échec de leurs discussions avec le ministère de la Justice, ils décident de se retirer de l'affaire. Deux nouveaux avocats sont alors commis pour la défense de l'homme d'église mais celui-ci les récuse au motif qu'ils ne jouissent ni de la compétence ni de l'expérience requises.

Après cet incident, le pasteur reçoit, dans sa prison, la visite de Stella Ndirangu, représentante de la section kényane de la Commission internationale des juristes, une organisation désignée par le Mécanisme pour observer le déroulement du procès au Rwanda. L'observatrice résume les doléances d'Uwinkindi dans son rapport portant sur le mois de mars. Après examen du rapport, le président du Mécanisme, le juge Theodor Meron estime, dans une décision rendue le 13 mai, que les plaintes de l'accusé, désormais sans avocat, constituent une demande de dessaisissement de la justice rwandaise.  Le magistrat américain désigne aussitôt une chambre présidée par le Danois Vagn Joensen pour examiner la requête. Sans perdre de temps, ce dernier rend le lendemain une ordonnance portant calendrier. Uwinkindi doit, conformément à ce calendrier, déposer son mémoire en  appui à sa demande de révocation au plus tard 30 jours après que le greffe du Mécanisme lui aura commis un conseil dans le cadre de cette procédure spécifique. Le 22 juin, le greffier John Hocking désignera Me Gatera Gashabana.

Toujours conformément à l’ordonnance du juge Meron, le procureur du Mécanisme et les autorités rwandaises devront  déposer leurs répliques au plus tard 30 jours après le dépôt du mémoire de Me Gashabana. Ce dernier pourra, s’il l’estime nécessaire, présenter un mémoire en duplique au plus tard 10 jours après le dépôt des réponses du procureur. Des amicii curiae (amis de la cour) pourront également déposer des soumissions dans le cadre de cette procédure inédite dans l’histoire des relations entre le Rwanda et la justice internationale.

 

Le deuxième accusé transféré au Rwanda suit de près la procédure

Pendant ce temps, la procédure devant la justice rwandaise se poursuit, en dépit des protestations d’Uwinkindi. La Haute Cour à Kigali a en effet jugé que la requête dont est saisi le Mécanisme n’est pas suspensive du procès.

A l'audience du 09 juin, la Cour rwandaise confirme la nouvelle équipe de défense à laquelle elle accorde un délai pour se familiariser avec le dossier. La prochaine audience est donc fixée au 10 septembre prochain.

« Je fais appel de cette décision qui me porte préjudice », réagit l'accusé, contenant difficilement sa colère. Et, s'adressant au greffe, il ajoute : « Qu'il soit porté au procès-verbal que je demande à la Cour que mon dossier ne soit pas remis à ces gens que j'ai désavouées ».

Selon l’Article 14 du  Règlement de procédure et de preuve du Mécanisme, « à tout moment après qu’une ordonnance de renvoi a été rendue (…) et avant que l’accusé soit déclaré coupable ou acquitté par une juridiction interne, le Président ( du Mécanisme) peut, d’office ou à la demande du Procureur, désigner une Chambre de première instance qui décide s’il y a lieu d’annuler l’ordonnance et demander officiellement le dessaisissement ».  En cas d’annulation, « la chambre peut demander officiellement à l’Etat concerné » de renvoyer l’accusé au siège du Mécanisme et l’État est tenu d’accéder à la demande sans retard.

Uwinkindi, premier accusé du TPIR renvoyé au Rwanda, a été rejoint en juillet 2013 par l’ancien chef de milicien Bernard Munyagishari qu’il avait laissé au centre de détention des Nations unies à Arusha. Ce dernier, qui s’était également opposé à son transfert au Rwanda, suit naturellement de très près la procédure engagée par le juge Meron. Six autres dossiers ont été remis par le TPIR aux autorités rwandaises mais ils concernent des accusés encore en fuite.