"Que signifie le droit international pour les enfants palestiniens de Gaza aujourd'hui ? Il ne les a protégés ni eux, ni leur enfance. Il n'a pas protégé leurs familles ou leurs communautés. Il n'a pas protégé leurs vies ou leurs corps, leurs espoirs ou leurs maisons." Le représentant permanent de l'État de Palestine auprès des Nations unies, Riyad Mansour, s'est efforcé de retenir ses larmes lorsqu'il s'est adressé aux juges de la Cour internationale de justice (CIJ), à La Haye, en février. Il s'est plaint que "pour la Palestine, le droit continue à être une mesure de la gravité des violations, plutôt qu'un catalyseur pour l'action et la responsabilité".
Une semaine après l'intervention de Mansour devant la Cour, 50 autres États et organismes internationaux - un nombre d'interventions inédit devant la CIJ - ont soumis leurs interprétations de la demande d'avis consultatif de l'Assemblée générale des Nations unies sur la légalité de l'occupation des territoires palestiniens par Israël. Ottilia Anna Maunganidze, de l'Institut d'études de sécurité d'Afrique du Sud, a recensé toutes les soumissions, orales et écrites, sur la question ; au total, 63 États et organisations internationales sont intervenus. Elle note qu'il s'agit d'une augmentation considérable par rapport aux 45 intervenus il y a dix ans, la dernière fois que la Cour avait été invitée à donner son avis sur le contexte israélo-palestinien (les juges décidant que les colonies de peuplement israéliennes sont illégales).
Un forum à pied d’égalité
Le dernier État à s'être présenté lors des audiences de février 2024 est le minuscule archipel des Maldives, qui compte un peu plus de 500 000 habitants. Les Maldives ont disposé du même temps que, par exemple, la Chine et les États-Unis. "Le pouvoir d'un petit pays comme les Maldives qui présente des arguments à la CIJ", explique Maunganidze, dans un forum où il "pourrait être considéré non seulement comme un petit pays mais aussi comme manquant de poids politique", c'est leur "égalité de traitement".
Lennart Meri, président de l'Estonie à la fin des années 1990, a jadis suggéré que "l'arme nucléaire des petits États est le droit international". Le nombre d'États impliqués aujourd’hui et la multiplicité des moyens qu’ils utilisent pour saisir la CIJ - notamment le dossier pour génocide de l'Afrique du Sud contre Israël et celui de l'Ukraine contre la Russie, en plus de la demande d'avis consultatif de l'Assemblée générale - indiquent que "quelque chose a changé", déclare Heidi Matthews, de l'université York, à Toronto. "Si l'on regarde d'où viennent ces demandes auprès de la Cour, on voit des États - appelons-les du Sud - qui, comme l'Afrique du Sud dans le dossier pour génocide, font vraiment pression sur les leviers que leur offre le droit international pour se hisser sur la scène mondiale." Maunganidze abonde dans le même sens : "Je pense que la valeur de la Cour internationale de justice réside dans le fait que les États, quelle que soit leur taille, sont en mesure d'intervenir."
Face à l'absence de progrès des négociations sur le conflit entre Israël et la Palestine, dans le cadre d'une solution à deux États, l'Assemblée générale de l’Onu a clairement souhaité inscrire cette question à l'ordre du jour en recourant à la CIJ, note Matthews. "Il s'agissait d’interrompre le choix du statu quo, sur le plan politique, sur la question de la Palestine."
Le droit international fait partie de la boîte à outils d'un État, explique Iryna Marchuk, de l'université de Copenhague, et constitue "l'une des voies empruntées par l'Ukraine, car pour que des comptes soient rendus, il faut explorer toutes les options. Il semble effectivement que l'on comprenne de plus en plus que nous devrions utiliser les instruments internationaux dont nous disposons." Cela s'explique en partie par le fait qu'il n'est pas facile, selon elle, de créer un nouvel instrument international tel que la convention générale sur le terrorisme ou la convention sur les crimes contre l'humanité, qui sont toujours à l’état de projets.
La CIJ n’est pas une cour militante
En tant que principal organe judiciaire de l’Onu, la CIJ "a pour mission d'être très formaliste et très positiviste dans sa manière d'interpréter le droit. Et cela ne changera jamais", affirme Matthews. "Mais quand on lit entre les lignes, la politique est évidemment toujours présente. Cela fait partie du rôle de la CIJ, en particulier dans sa fonction consultative, d'assister le travail de l'Assemblée générale des Nations unies, qui est fondamentalement politique. Mais elle doit le faire dans le respect du droit international."
Marchuk se décrit comme une spécialiste du droit pénal international devenue, à contrecœur, une experte de la CIJ. "Il est intéressant de voir comment les États en sont venus à instrumentaliser la Cour internationale de justice, parce qu'ils veulent qu'elle soit la plateforme où leurs griefs sont entendus." Mais elle reconnaît que la Cour reste conservatrice : l'Ukraine n'a toujours pas digéré la façon dont la Cour a réduit et rejeté ses requêtes contre la Russie dans le cadre de diverses conventions internationales. "Tout le monde sait que la CIJ est un organe conservateur, et ce n'est pas un secret qu'elle adopte des techniques d'évitement", dit Marchuk. "La Cour dit souvent : ‘Il y a beaucoup de questions en jeu ici, mais notre juridiction est limitée. Nous ne nous occuperons que de ceci et de cette violation’. Il ne s'agit donc pas d'un tribunal militant", conclut-elle.
Selon Marchuk, cela s'explique en partie par le fait que si les arrêts de la Cour n'étaient pas respectés, cela nuirait à sa légitimité. Mais elle ajoute : "Je trouve qu'en ce moment, la CIJ doit sortir de sa zone de confort. Elle ne peut pas toujours se cacher derrière cette technique d'évitement et dire 'oh, nous ne sommes pas en mesure de traiter cette question parce qu'elle ne relève pas de notre compétence'. Elle ne peut pas toujours, voyez-vous, recadrer la question ou refuser de poser la question ou répondre a minima. Sinon, plus personne ne s'adressera à la CIJ et elle sera considérée comme une cour incapable de traiter les grandes questions internationales et de faire respecter les grands principes de la Charte des Nations unies. Je pense donc que nous sommes à un moment où la CIJ doit se réinventer. Pour qu'elle puisse rendre une justice digne de ce nom."
Le pouvoir de la Convention sur le génocide
L'un des thèmes récurrents dans de nombreuses interventions des États lors des récentes auditions sur la Palestine est qu’il existe des droits et des responsabilités que les États ont automatiquement approuvés et qui ont de fortes conséquences en droit international. "Les États sont en fait légalement tenus de veiller à ce que les normes soient respectées par les autres États", explique Matthews. "Dans leurs déclarations orales devant la Cour, de nombreux États ont mis l'accent sur le droit à l'autodétermination des peuples."
En considérant le nombre élevé d'interventions d'États soutenant les démarches de l'Ukraine devant la Cour international de justice, Marchuk suggère qu'il peut aussi exister une certaine pression de groupe. Copenhague a par exemple condamné l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie : "Il serait gênant, même pour un pays aussi petit que le Danemark, de soutenir l'Ukraine dans différentes enceintes internationales et de ne pas intervenir à la CIJ, sachant que plus de 30 États l'ont fait."
Les obligations juridiques dont se saisissent les États sont particulièrement bien illustrées par la Convention sur le génocide, qui a été mise en avant non seulement dans l'affaire de l'Afrique du Sud contre Israël, mais aussi dans l'affaire de la Gambie contre Myanmar. Le libellé de la convention "permet à tout État du monde qui est partie à la convention de porter plainte contre un autre État pour violation de la convention ou pour un différend sur l'interprétation de la convention", explique Matthews. Elle "fournit un mécanisme assez facile, un certain accès à la cour de la part des États tiers", poursuit-elle. "C'est l'une des raisons pour lesquelles la convention sur le génocide revient sans cesse sur le tapis."
Début mars, le Nicaragua a illustré une nouvelle fois la manière dont ce traité peut offrir des opportunités surprenantes, en voulant accuser l'Allemagne de manquer à ses obligations à propos de son soutien à Israël dans le cadre du conflit actuel.
Tempérer les attentes
Si Maunganidze reconnaît que les États "considèrent la CIJ comme un forum important", elle tient à "mettre en garde contre l'idée qu'il s'agit de quelque chose de nouveau". Les États ont régulièrement eu recours à la Cour depuis sa création, rappelle-t-elle. Matthews admet qu'il y a "un peu d'excitation" face à l'attention que suscite actuellement la Cour. "Nous devrions veiller à modérer nos attentes quant à ce que la Cour peut apporter, en particulier à un moment où des conflits très graves et très actifs sont en cours. C'est le cas de la guerre à Gaza et de la situation en Ukraine. Nous devons faire attention à ce que nous attendons des institutions de droit international en général et de la CIJ en particulier", prévient-elle.
Se référant aux récentes mesures provisoires ordonnées par la Cour dans la situation de Gaza, Marchuk estime qu'"il est très clair que nous avons besoin d'une volonté et d'une pression politiques concertées pour que, même pour ces décisions et arrêts contraignants, ils aient un quelconque effet sur le terrain". Les mesures provisoires prises en mars 2022 dans le cas de l'Ukraine, lorsque la Cour a ordonné à la Russie de mettre fin à son invasion, font assez réfléchir sur le pouvoir de telles ordonnances.
Cependant, selon Maunganidze, "à une époque où l'on s'éloigne beaucoup des acquis de la démocratie, je pense que les pays qui utilisent des mécanismes judiciaires signifient que l'État de droit est toujours respecté par les nations. Et que même s'ils sont fondamentalement en désaccord sur le fond, ils y participent sans agressivité."