Mounir Tabet a pris officiellement ses fonctions de Coordonnateur résident du système des Nations unies et de Représentant résident du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en Tunisie le 15 mai 2013. Avant son affectation à Tunis, M. Tabet a occupé plusieurs postes de responsabilité, dont celui de directeur du Bureau du PNUD en Egypte, de 2007 à 2013 où il a particulièrement travaillé sur la réduction de la pauvreté et le renforcement de la gouvernance démocratique. M. Tabet coordonne aujourd’hui le soutien du PNUD au processus de transition démocratique et de justice transitionnelle en Tunisie. Rencontre.
Pourquoi le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a-t-il décidé très tôt après la révolution du 14 janvier 2011 d’accompagner le processus de justice transitionnelle en Tunisie ?
-Dès le mois de mars 2011, le PNUD a envoyé un message clair à la Tunisie : il appuie désormais la transition démocratique engagée dans le pays. Il a d’ailleurs bouleversé ses programmes et actions en Tunisie à cet effet. Dans toutes les transitions, les gens ont l’impression que le processus est conclu avec l’achèvement des élections et la mise en place d’un nouveau parlement. Or, une transition doit en premier lieu pouvoir faire la paix avec le passé, notamment si ce passé traine derrière lui des atteintes aux droits de l’homme. Transition et justice sont intimement liées à notre avis. Car on ne peut pas aller de l’avant sans rectifier les erreurs du passé : un avenir sans justice n’est guère très sécuritaire. Notre engagement pour accompagner le cheminement de la justice transitionnelle en Tunisie relève du mandat des Nations Unies pour la promotion des droits de l’homme, ainsi que des prérogatives de certaines de ses agences comme le PNUD et le Haut commissariat des droits de l’homme.
En quoi consistent les grandes lignes du projet du PNUD de soutien à l’opérationnalisation du processus de justice transitionnelle en Tunisie ?
-Le soutien du PNUD au processus de justice transitionnelle en Tunisie s’étale sur trois temps. De 2011 à 2012, nous avons apporté un appui ponctuel aux organisations de la société civile et aux deux instances qui ont posé les premiers jalons de la justice transitionnelle en Tunisie. La commission dirigée par Taoufik Bouderbala chargée d’enquêter sur les violations et abus commis pendant les évènements du 17 décembre 2010 à la fin du mois de janvier 2011 et celle, présidée par Abdelfettah Amor, traitant de la corruption et des malversations perpétrées pendant le pouvoir de Ben Ali. De 2012 à 2013, nous avons accompagné la réflexion nationale sur l’élaboration d’un processus de justice transitionnelle, car pour nous le processus est aussi important que son aboutissement, d’où nos actions menées entre autres en partenariat avec le ministère des Droits de l’Homme et de la Justice Transitionnelle. 7 000 personnes ont été impliquées dans le dialogue national sur la justice transitionnelle, dont 50 victimes, des experts et des acteurs de la société civile. Pour nous, ce cheminement et cette réflexion sont aussi importants que le résultat qu’il a engendré, à savoir la loi organique relative à la justice transitionnelle, adoptée en décembre 2013. C’est ce qui a enclenché la troisième phase de notre stratégie d’appui intitulée : « l’opérationnalisation du processus de justice transitionnelle en Tunisie », essentiellement destinée à appuyer la mise en œuvre de la loi de décembre 2013 à travers le renforcement des capacités des institutions, dont l’Instance vérité et dignité (IVD) et le ministère de la Justice pour la mise en place des chambres spécialisées prévues par la loi ainsi que les organisations de la société civile. « L’opérationnalisation du processus de justice transitionnelle en Tunisie » a démarré en mai 2014 et se poursuit jusqu'à juillet 2017. Certes nous pourrions identifier des projets de partenariat en matière de justice transitionnelle au-delà de cette date. Tout dépendra de l’évolution du processus mais aussi de la disponibilité de nos ressources financières.
En soutenant notre site justiceinfo.net mais aussi en Tunisie le Bondy Blog, vous semblez prêter beaucoup d’attention à l’information en rapport avec la justice transitionnelle. Que peuvent apporter les médias à ce sujet ?
-Il est important que les médias jouent un rôle d’éclaireurs du processus de justice transitionnelle. Il leur revient de donner la parole aux victimes et de démontrer que les crimes sont appelés à être reconnus comme violations des droits de l’homme, que les responsables doivent être poursuivis et que des réparations des préjudices doivent être rendues. Il ne faudra plus laisser les situations du passé se répéter. Il est important de garder ceci dans la mémoire du public. Les médias qui sont censés défendre les droits de l’homme, peuvent contribuer à concrétiser cet objectif.
Le renforcement des capacités de la société civile, devenue un vrai contre pouvoir après la révolution semble également faire partie de votre stratégie…
- Je suis anglophone de formation, le mot « contre pouvoir » a un sens différent en anglais qu’en français. Personnellement, je vois plus entre la société civile et les gouvernements une relation de partenariat que d’affrontement. Les fonctionnaires de l’Etat sont en général bien formés. La société civile tunisienne émerge aujourd’hui avec une dynamique et des atouts intéressants. Sur la base d’une entente mutuelle pourquoi ne pas se partager les responsabilités autour du processus de justice transitionnelle? Nous renforçons en fait la capacité des uns et des autres pour consolider le consensus et garder toujours les victimes au centre de ce processus.
Le processus de justice transitionnelle tunisienne est souvent qualifié de lent et même d’incertain par plusieurs observateurs de la scène politique tunisienne. Qu’en pensez-vous ?
-Si l’on comparait avec d’autres expériences dans le monde, telles celles qui se sont déroulées par exemple au Brésil, au Chili, en Pologne, on se rendrait compte que les transitions en général investissent le long terme. Elles dépendent beaucoup des équilibres qui existent au sein de la société. N’importe quel système de justice transitionnelle ne peut que refléter la réalité du terrain. Après la révolution, un autre ordre est venu bouleverser les équilibres anciens, qui n’étaient certes pas optimaux parce que fondés sur l’injustice, les atteintes aux droits de l’homme et les inégalités. On découvre aujourd’hui la présence de nouvelles forces qu’il faudrait prendre en compte et qui influent sur le processus de justice transitionnelle. Dans un contexte difficile et politiquement évolutif, le rythme que prend la mise en application de la justice transitionnelle peut être plus long que prévu. Nous, ce qui nous importe le plus, c’est de constater que le processus tunisien respecte les normes internationales ainsi que les droits des victimes.
Après la publication de la loi relative à la justice transitionnelle et la mise en place de l’Instance vérité et dignité (IVD) où se situe aujourd’hui le soutien du PNUD à la justice transitionnelle tunisienne ?
-L’IVD se trouve aujourd’hui au centre de notre intérêt : nous l’assistons pour définir ses actions et ses missions, notamment dans la recherche de la vérité. Nous sommes prêts à répondre à tous les besoins de l’IVD. Nous appuyons également le ministère de la Justice et l’Instance provisoire de supervision de la justice judiciaire pour la mise en place des chambres spécialisées prévues par la loi organique relative à la justice transitionnelle et pour renforcer l’indépendance de la justice. D’autre part, le PNUD vient de signer dix accords de subvention avec des organisations de la société civile, qui pour leur plupart ont des relais au niveau des associations locales intervenant à l’intérieur de la République. Objectif de ce projet : créer des réseaux et des plateformes d’échange hétérogènes, réunissant la société civile, les autorités et les médias, autour de la justice transitionnelle. Ce travail de sensibilisation destiné aux régions nous semble aujourd’hui d’une importance capitale.