L'enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 progresse lentement.
Un pas important avait déjà été franchi avec, paradoxalement, l'arrestation fin 2009 de la directrice du protocole du président Kagame, Rose Kabuye. Kigali avait rompu avec Paris lorsque, en novembre 2006, le juge Jean-Louis Bruguière avait émis neuf mandats d'arrêt contre des personnalités proches du président Kagame, qu'il accusait d'avoir commandité l'attentat du 6 avril 1994. Rose Kabuye faisait partie des suspects. Son interpellation ne dure que quelques jours. Surtout, sa mise en examen par les juges Trévidic et Poux, successeurs de Bruguière, permet à la défense rwandaise d'avoir officiellement accès au dossier.
C'est un tournant majeur, qui permet à la procédure de devenir contradictoire. À compter de cette date, les accusés rwandais peuvent avoir des avocats. Ils peuvent communiquer des pièces et demander, notamment, aux juges français d'interroger au Rwanda des témoins de la commission Mutsinzi - qui a conclu en 2009 à la responsabilité des Forces armées rwandaises dans l'attentat. Les juges français profitent de cette ouverture aux arguments de la défense pour négocier l'autorisation de pratiquer une expertise balistique in situ, en septembre 2010 à Kigali. Trois mois plus tard, ils obtiendront également de pouvoir auditionner six des autres suspects désignés par Bruguière, lors d'une commission rogatoire d'exception pratiquée en « terrain neutre » à Bujumbura.
De même que Rose Kabuye, les autres personnalités rwandaises concernées - parmi lesquelles l'actuel ministre de la Défense James Kabarebe - voient leurs mandats d'arrêt internationaux levés. Ils sont mis en examen et repartent libres au Rwanda. Tout le monde semble satisfait. Les accusés ont pu se défendre ; les parties civiles retiennent qu'ils ont été mis en examen pour « complicité d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste ».
« Si l'expertise aboutit et si l'on a en plus cette mise en examen, on peut aboutir au procès qu'attendent de longue date les victimes de l'attentat », se félicite Philippe Meilhac, avocat de la veuve du président défunt Agathe Habyarimana, partie-civile dans l'enquête sur la mort de son mari.
« Où que soit la vérité dans ce dossier, le problème est qu'il a été politisé à outrance, constate le juge Trévidic. Il ne s'agit pas d'un combat entre États mais d'une enquête judiciaire. Être revenu dans le judiciaire pur, c'est ce qui a apaisé le conflit. »
L'expertise balistique pourrait ainsi permettre aux juges français de s'extraire de l'empilement de témoignages contradictoires accumulés en douze ans d'enquête, pour tenter de faire reposer la preuve sur des bases tangibles. Mais la sortie du rapport balistique, programmée initialement pour mars 2011, risque aussi de réactiver les tensions. Un complément d'expertise « acoustique » a été engagé, qui reporte l'échéance.
Par ailleurs, Paris et Kigali semblent trouver une forme de consensus autour des procédures avancées contre 18 « présumés génocidaires » beaucoup moins célèbres, résidant sur le sol français. À la faveur du réchauffement diplomatique, les juges français ont pu se rendre au Rwanda, à une douzaine de reprises. « C'est le volet qui a le plus avancé au cours de la dernière année, estime le professeur André Guichaoua, spécialiste de la région et auteur de « De la guerre au génocide ». Les juges ont franchi le pas. Et même si les moyens ne sont pas à la hauteur, leur investissement est réel et suivi. »
Comme les Belges avant eux, les Français ont ouvert des informations judiciaires sur la base, principalement, de plaintes déposées par des parties civiles. Elles aboutiront ou non à des procès. C'est donc pour l'heure à un travail de fourmi, de recoupement de nombreux témoignages, que s'attellent les quatre juges d'instruction en charge de ces 18 dossiers.
La juge Fabienne Pous, qui y travaille depuis 2002, se réjouit de la création d'un pôle judiciaire spécialisé. « On se débat depuis tellement longtemps, il fallait que cela change, témoigne-t-elle. Pour la première fois, on se pose la question des moyens nécessaires pour instruire ces affaires. » Les juges ont été entendus en mars par la commission des lois du Sénat, qui a décidé de leur donner des pouvoirs identiques à ceux du pôle anti-terroriste. En 2010, un changement de présidence à la tête du tribunal de Grande instance de Paris a été marqué par un souci d'alléger leur tâche. Enfin et toujours depuis 2010, quatre enquêteurs de la gendarmerie de Paris se spécialisent dans ces enquêtes.
« La France a fait le grand saut, à la suite de la Belgique et du Canada, résume André Guichaoua. Mais elle sait que quelles que soient les décisions prises, elles feront sans cesse l'objet de surenchères de la part des autorités rwandaises. Un an après, le rabibochage politique ne se traduit par aucun effet dans aucun autre domaine. Tout est contraint par le résultat de l'enquête sur l'attentat. »
La création promise d'un pôle judiciaire spécialisé dans les crimes graves est en voie d'agrément par le Parlement français.
FP/GF/ER
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