En Russie, les procès liés à la guerre en Ukraine ont démarré tardivement. Le 20 juin 2023, le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don a prononcé un premier verdict à l’encontre d’un prisonnier de guerre ukrainien. Denis Muryga, ancien soldat du bataillon ukrainien « Aïdar », a été condamné à 16 ans dans une colonie à régime strict. La Cour suprême de la République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR) avait déclaré Aïdar organisation terroriste en avril 2016. Elle est aussi considérée comme une formation armée illégale en Russie.
Le tribunal militaire du district sud avait annoncé l’ouverture d’un premier procès impliquant un prisonnier de guerre ukrainien le 23 février 2023, juste avant le premier anniversaire de l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie. Le sergent-chef Anton Cherednik, membre du 501e bataillon de marines des forces armées ukrainiennes, est accusé d’avoir pris le pouvoir par la force, d’avoir infligé des traitements cruels à des civils, de meurtre et d’avoir suivi un entraînement en vue d’activités terroristes. Selon l’accusation, le 27 mars 2022, Cherednik a arrêté deux hommes dans la ville de Mirnoye, près de Marioupol, et leur a ordonné de s’allonger. Ils lui ont présenté des pièces d’identité, et le militaire aurait exigé qu’ils parlent en ukrainien. Cherednik aurait tiré sur l’un des hommes parce que sa prononciation n’était pas correcte.
Dans une vidéo publiée par le comité d’enquête russe, Cherednik a déclaré qu’il n’avait aucune raison objective de tuer l’homme et qu’il regrettait ce qui s’était passé. Cherednik a déclaré aux enquêteurs que le détenu avait « réagi normalement », mais qu’il avait ensuite « fait un mouvement brusque » et que le soldat l’avait instinctivement abattu. Le soldat a affirmé devant le tribunal qu’il n’avait forcé personne à parler ukrainien. Selon lui, cette accusation était nécessaire pour permettre à l’enquête d’aboutir à un motif de haine nationaliste inventé de toutes pièces. En novembre 2023, il a été condamné à 19 ans de colonie de régime strict. Les accusations étaient fondées sur le témoignage d’un passant survivant, de deux habitants de Marioupol qui auraient vu le moment du meurtre depuis une fenêtre, et d’Anton Baydrakov, qui patrouillait avec Cherednik. Baydrakov lui-même a été condamné à 18 ans de régime strict en décembre 2023 dans une affaire similaire.
Davantage de publicité des procès à Rostov
Les affaires sont traitées différemment à Rostov et dans les territoires occupés. Ces derniers voient plus souvent prononcés des verdicts fondés sur des accusations de mauvais traitements infligés à la population et liés à l’utilisation de méthodes interdites dans le cadre d’un conflit armé. Le tribunal militaire du sud de la Russie, à Rostov, déclare lui plus souvent les soldats capturés coupables de terrorisme, en alléguant qu’ils ont suivi un entraînement pour des activités terroristes ou qu’ils ont simplement participé à une organisation terroriste.
Les procès contre d’anciens membres des bataillons « Azov » et « Aïdar », considérés comme terroristes en Russie, sont entendus à la fois dans les territoires occupés et à Rostov-sur-le-Don. Cependant, la simple charge de participation à une organisation terroriste n’est attribuée aux soldats capturés que devant le tribunal militaire de Rostov.
Les affaires jugées dans les territoires occupés sont moins publiques - on ne sait presque rien d’elles, sauf ce qui est officiellement rapporté par le Comité d’enquête russe. Mais ses communiqués ne permettent pas de savoir quand l’affaire a été portée devant les tribunaux, combien de temps a été consacré à son examen, si les accusés ont bénéficié de l’assistance d’un avocat ou quels arguments les accusés ont avancés pour leur défense lors des audiences. De ce point de vue, la situation est meilleure à Rostov : toutes les affaires impliquant des prisonniers de guerre ukrainiens sont incluses dans la base de données judiciaire, l’examen de chaque procès s’étend sur plus de cinq mois et les audiences sont le plus souvent publiques.
Une « organisation terroriste » non officielle
On dispose également de plus de détails sur les affaires entendues par le Tribunal militaire du Sud de la Russie. Par exemple, en décembre 2023, cette cour a condamné Viktor Didyk et son fils Roman Didyk, des militaires ukrainiens membres du bataillon « Dnipro-1 ». Ils ont été reconnus coupables de participation à une organisation terroriste, ainsi que de possession, de transport et de port illégaux d’armes à feu et de munitions.
Le bataillon de volontaires Dnipro-1 a été formé en avril 2014 au sein d’une unité spéciale des forces de police du ministère de l’Intérieur de l’Ukraine. Il est devenu la première unité de volontaires formée en réponse aux manifestations et à la prise de bâtiments administratifs par les séparatistes dans les régions du sud-est de l’Ukraine. Certains médias russes ont qualifié ce bataillon de « punitif » et des communiqués de presse du bureau du procureur général l’ont qualifié d’« organisation terroriste », bien qu’il ne figure pas sur la liste officielle des organisations terroristes.
Selon les données publiques de l’enquête russe, Roman et Viktor Didyk ont rejoint le bataillon Dnipro-1 en 2015 et ont participé à des opérations militaires dans le sud-est de l’Ukraine. Ils ont été capturés au printemps 2022 dans le village de Rubizhne, dans la République populaire de Louhansk (LNR). Des armes et des munitions auraient été trouvées sur eux, si l’on en croit l’acte d’accusation. Le tribunal les a condamnés à huit ans de colonie.
Colonie pénitentiaire pour une cuisinière
La peine moyenne à Rostov est de 12 ans, tandis que dans les territoires occupés, elle est de 23 ans, sans compter plus de 30 condamnations à perpétuité. Fait remarquable, le tribunal militaire de Rostov-sur-le-Don n’a prononcé aucune peine supérieure à 20 ans, ni aucune condamnation à perpétuité à l’encontre de prisonniers de guerre ukrainiens. L’un de ses verdicts les plus récents a été prononcé contre Natalya Pridatchenko, condamnée à cinq ans et demi de colonie pénitentiaire en décembre 2023. Elle est devenue la première femme prisonnière de guerre ukrainienne à être condamnée par les tribunaux russes.
En Russie, la colonie pénitentiaire est la forme d’emprisonnement la plus clémente. Les condamnés peuvent y porter des vêtements civils, communiquer librement avec leurs proches par téléphone et lors des visites, et recevoir un nombre illimité de colis. Les prisonniers de guerre ukrainiens sont généralement envoyés dans des colonies à régime spécial ou strict, où les visites et les appels téléphoniques sont limités et les planning quotidiens plus strict.
Selon l’enquête russe, en janvier 2020, Pridatchenko a signé un contrat avec les forces armées ukrainiennes et a été affectée au 24e bataillon d’assaut séparé d’Aïdar, où elle a travaillé comme cuisinière. Elle y a travaillé pendant moins d’un an, jusqu’en avril 2021. Bien qu’Aïdar n’ait été déclaré comme organisation terroriste en Russie qu’à l’automne 2023, elle est accusée de participer à une organisation terroriste. La date de l’arrestation de Pridatchenko est inconnue, mais selon l’organisation russe de défense des droits humains Memorial, elle a vécu à Severodonetsk, dans la région de Louhansk, après le début de l’invasion à grande échelle.
Le tribunal militaire Sud continue d’entendre en ce moment deux procès majeurs, concernant près de 40 Ukrainiens présumés membres des bataillons Azov et Aïdar. Les prochaines audiences dans ces deux procès sont prévues respectivement le 20 et le 28 mars.