Pris en sandwich entre trois gardiens de prison en uniforme bordeaux de la Division des crimes internationaux siégeant à Gulu, dans le nord de l’Ouganda – où il a été transféré de la prison de sécurité maximale de Luzira, près de Kampala – Thomas Kwoyelo est apparu calme, attentif et confiant, corrigeant son interprète en langue luo. Paragraphe par paragraphe, il suit son texte, rédigé dans sa langue maternelle avec l’aide de son équipe juridique, semblant organisé et cohérent. Son attitude contraste avec les comparutions précédentes, au cours desquelles il s’est montré moins confiant, distrait et moins attentif.
Les audiences ouvrent chaque jour à 10 heures, heure locale, devant un collège de quatre juges dirigé par Michael Elubu. Le pénaliste ougandais Caleb Alaka et trois autres avocats constituent son équipe de défense. L’accusation est dirigée par William Byansi et deux autres avocats. Les victimes sont représentées par trois avocats dirigés par Robert Mackay.
Kwoyelo est entendu pour sa défense avant qu’il ne présente ses témoins, qui seront contre-interrogés par l’accusation. Précédemment, l’accusation a présenté les charges contre lui. Premier et unique commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) à être jugé par un tribunal ougandais, Kwoyelo doit répondre de 78 chefs d’accusation, dont ceux de meurtre, pillage, traitement cruel, atteinte à la vie, outrage à la dignité humaine, torture, viol, réduction en esclavage, emprisonnement, enlèvement avec intention de tuer et vol aggravé.
« La LRA avait ses propres règles »
Un greffier commence par rappeler un précédent témoignage de Kwoyelo sur l’administration de la LRA dirigée par l’insaisissable Joseph Kony, lui-même sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. « La LRA avait ses propres règles », cite le greffier, devant Kwoyelo qui le remercie d’un signe de tête.
« Ils remettaient des jeunes filles à des mamans (vivant au sein de la LRA) qui avaient de jeunes enfants, pour qu’elles leur servent de baby-sitters. Les ordres (au sein du commandement de la LRA) sur la manière dont les jeunes filles enlevées devaient être distribuées aux familles venaient de Joseph Kony lui-même », précise Kwoyelo à l’audience. « Les jeunes filles enlevées devaient porter les sacs des mères de jeunes enfants. »
« Leurs tâches ne se limitaient pas au baby-sitting. Elles pouvaient également être formées aux questions militaires, car dans la brousse, une bagarre pouvait éclater à tout moment », déclare Kwoyelo à propos des jeunes filles enlevées. « Chaque fois qu’un combat éclatait dans la brousse, ce n’était pas seulement les hommes qui se battaient, mais aussi les femmes, qui jouaient à la fois le rôle d’épouses et de soldats. »
Esclavage sexuel : « Pas ma responsabilité »
Le greffier cite deux témoins de l’accusation qui ont déclaré que Kwoyelo a supervisé les enlèvements et l’esclavage sexuel par les commandants de la LRA. Mais Kwoyelo nie. « Ce n’était pas ma responsabilité, puisque j’étais responsable de l’infirmerie. Je n’avais aucune responsabilité dans l’enlèvement ou la répartition des jeunes filles », déclare Kwoyelo à la Cour.
« À l’époque, j’étais un officier subalterne, et il ne m’incombait pas de décider de la répartition de ces personnes », a-t-il déclaré en réponse à un témoignage sur un incident d’esclavage sexuel survenu en 1996, dans lequel il aurait été impliqué. « Je ne connais pas ces deux témoins. Je note ici que l’une d’entre elles a été enlevée en 1997 et que l’autre, d’après les dossiers, a été enlevée en 1996. Ces témoins ont été assignées aux domiciles des commandants », déclare Kwoyelo.
Ce n’est qu’en 1999 que Kony lui a donné l’ordre de « rassembler toutes les femmes et les filles dont les maris étaient morts au combat en Ouganda et de les emmener au Soudan », dit-il. « Lorsque je suis arrivé au Soudan, j’ai remis toutes ces veuves à Joseph Kony. Lorsque j’ai remis toutes ces femmes à Joseph Kony, il est allé les bénir en les plongeant dans la rivière et en leur rasant les cheveux », raconte Kwoyelo.
« Après les avoir bénies et rasées, il (Kony) a ordonné que, pendant six à neuf mois, personne ne les engage ou ne leur fasse la cour, et que quiconque ferait le contraire se retrouverait devant un peloton d’exécution », ajoute le greffier, citant un témoignage antérieur de l’accusé.
Kwoyelo hoche la tête en signe d’approbation. « C’est vrai, moi en tant que Kwoyelo, après que ces veuves aient été bénies, j’ai pu en avoir une en l’an 2000. Avec celles que j’ai épousées, Dieu me garde, j’ai pu avoir des enfants. C’est pourquoi, même lorsque j’ai comparu devant ce tribunal, ces femmes m’ont amené leurs enfants et m’ont fait part de certains des problèmes qu’elles rencontrent. Le plus gros problème dont ces femmes m’ont fait part est que les enfants vont à l’école et que moi, en tant que père, je ne suis pas là pour les aider à payer les frais de scolarité », explique Kwoyelo.
« Je ne nie pas avoir été l’époux de ces filles », dit-il. « Ces filles ont été enlevées jeunes, mais elles sont devenues des femmes. Et si j’ai agi par erreur, je demande à ce tribunal d’être bienveillant à mon égard », plaide-t-il. « Si je suis libéré, je pourrai rentrer chez moi et m’occuper du bien-être de mes enfants. J’adresse également cette demande aux parents de ces filles qui sont devenues mes épouses », ajoute-il, semblant par ces mots demander la clémence des parents des jeunes filles enlevées.
« Je ne prenais pas de décisions »
À sa manière, au cours de cette longue semaine d’audience, Kwoyelo a tenté de répondre à la longue liste d’autres accusations dont il fait l’objet.
Sur celles de meurtre : « J’étais responsable de l’infirmerie (de la LRA), je soignais les blessés et je ne me trouvais nulle part dans la zone de combat. Au lieu de cela, Kony a déclaré qu’il était censé m’exécuter avec Vincent Otti (son adjoint), mais ses esprits lui ont dit que j’étais innocent et que les informations selon lesquelles j’avais l’intention de faire défection avec Otti n’étaient pas vraies. C’est arrivé parce que certains commandants enviaient le fait que je sois responsable de l’infirmerie et que je n’étais pas sur la ligne de front ».
Sur les pillages : « La LRA travaillait sous un commandement et depuis que je l’ai rejointe, je travaillais sous ce commandement. Notre chef était Joseph Kony. Dans l’armée, où j’ai été enrôlé contre mon gré, par la force, je ne prenais pas de décisions. Je devais suivre les ordres, tout écart par rapport à ces ordres était synonyme de mort et je devais obéir ».
L’ancien membre de la LRA le répète : « Mon travail consistait à soigner les malades et à leur apporter des médicaments. Les témoins qui ont déposé contre moi sont des menteurs. Leurs témoignages devant ce tribunal doivent être examinés attentivement car leurs affirmations ne sont pas cohérentes. Nous travaillions sous un commandement et tout devait être dirigé par Kony et non par un seul commandant ».
« La Cour devrait être consciente du fait que certaines personnes que j’aurais prétendument tuées sont en vie et seront appelées à témoigner. À aucun moment je n’ai tué qui que ce soit », a-t-il également déclaré.
Requête au Président ougandais
« Si possible, je voudrais demander à cette Cour d’envoyer une requête au Président qui a la charge de ce pays. J’ai souffert, comme beaucoup d’autres, des enlèvements perpétrés par la LRA de Kony. J’implore le gouvernement de me libérer. Depuis le moment où j’ai été enlevée, je n’ai jamais joui de la liberté, ni de la paix. » « J’apprécierais, si l’occasion m’en était donnée, de pouvoir rencontrer le président face à face », poursuit l’accusé. « C’est aussi un soldat et je pense qu’il y a des choses que je pourrais lui conseiller en ce qui concerne l’armée. »
« J’exprime également ma gratitude à la greffière de ce tribunal, parce qu’elle a commencé à me montrer comment je devrais mener une vie décente à l’extérieur. La façon dont je suis habillé avec ce costume est aussi la façon dont je dois me comporter lorsque je serai à l’extérieur », ajoute-t-il en pointant son doigt vers l’extérieur du tribunal.
« C’est ici que je conclus mon témoignage devant ce tribunal », conclut Kwoyelo. Il prends une longue inspiration et récupère son témoignage écrit et ses lunettes sur le pupitre. « C’est la fin du témoignage de l’accusé », énonce calmement son avocat, Me Alaka.
Selon l'avocat de Kwoyelo, Henry Evans Ocheng, 48 témoins seront appelés à la barre pour sa défense, dont certaines de ses victimes présumées, des membres de sa famille et d'anciens combattants rebelles, dont certains sous protection. Le premier de ces témoins a déposé hier, le 1er mai.