Kostornyi, l’ancien officier du KGB reconnu coupable de haute trahison

Plus de 60 morts et 160 blessés. Des combattants ukrainiens et étrangers. L’attaque de missiles du 13 mars 2022 contre un centre d’entraînement militaire ukrainien à Yavoriv, dans l’ouest de l’Ukraine, avait eu un grand écho au début de l’invasion généralisée. C’est un ancien officier du KGB âgé de 74 ans, Oleksandr Kostornyi, qui a aidé à guider la frappe, vient de juger le tribunal de district de Lviv – qui le condamne à 15 ans de prison pour haute trahison.

Oleksandr Kostornyi, ex-officier du KGB, a été condamné à 15 ans de prison en Ukraine pour haute-trahison. Photo : Kostornyi est collé à la vitre du box des accusés, la main posée dessus, face à son reflet.
Oleksandr Kostornyi, 74 ans, a été condamné par le tribunal de Lviv, à l'ouest de l'Ukraine, pour avoir « guidé » la frappe de l'armée Russe qui a touché en mars 2022 une base proche de la Pologne, tuant des combattants ukrainiens et étrangers. Photo : © Roman Balyk / Sudovyi Reporter
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Dans les premiers jours de l’invasion généralisée russe, le 4 mars 2022, le citoyen Ukrainien Oleksandr Kostornyi a envoyé, selon les enquêteurs, à son ami Oleksandr Svystunov une image du terrain du Centre international pour le maintien de la paix et de la sécurité, plus connu en Ukraine sous le nom de Centre d’entraînement militaire de Yavoriv. À la demande de Svystunov, Kostornyi a retransmis le message à un certain Nikolay Vodolazov, qui a été identifié comme un agent du FSB [services de renseignement russes], Yuri Vodolazkyi.

Après avoir habité à Lviv, Svystunov est allé vivre en Crimée. Il possède aujourd’hui la nationalité russe et vit en Crimée annexée depuis 2014. Il est l’un des fondateurs du parti politique Bloc russe et d’une organisation baptisée Le Mouvement russe ukrainien. Dès 2017, le Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine a placé Svystunov sous sanctions, lui interdisant d’entrer sur le territoire national.

Le 13 mars 2022, la Russie a tiré des missiles sur la base militaire de Yavoriv, située à 30 kilomètres de Lviv, près de la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, frappant les baraquements où dormaient les soldats. 61 personnes ont été tuées et 160 autres blessées.

Un réseau d’individus contrôlé par la Russie

Âgé de 74 ans, Kostornyi est originaire de Lviv, ancien officier du KGB, directeur de la Société russe Pouchkine, cofondateur et président de plusieurs organisations. Marié, il a quatre filles et six petits-enfants.

Toujours selon les enquêteurs, il appartenait à un réseau de personnes contrôlées par la Russie qui, sous couvert d’activités publiques, travaillaient à déstabiliser l’Ukraine. Dans ses contacts, ils ont trouvé des employés de l’Agence fédérale pour la Communauté des États indépendants Rossotrudnichestvo, de l’ambassade de Russie à Kiev, du ministère russe des Affaires étrangères, d’ex-officiers du KGB, ainsi que de journalistes de chaînes russes, etc.

Jusqu’en 1990, Kostornyi a été major au département de la surveillance extérieure du Comité de sécurité de l’État de l’ex-URSS (KGB). Il est diplômé de l’École supérieure de la bannière rouge du KGB à Moscou. De 2002 à 2010, Kostornyi s’est présenté à la Verkhovna Rada d’Ukraine au nom de partis pro-russes - le Parti socialiste progressiste d’Ukraine, le Bloc d’opposition populaire de Natalia Vitrenko et le Parti communiste d’Ukraine. À l’époque, dans ses correspondances avec des militants pro-russes, Kostornyi écrivait, selon les enquêteurs : « Les successeurs des nazis sont au pouvoir en Ukraine », « le niveau de fascisme dans l’ouest de l’Ukraine est scandaleux » ; et il parlait aussi de « frotter les visages des Ukrainiens nouveaux sur le sol ». Le 9 mai 2015, il portait un ruban de Saint-Georges lors d’une visite à la Colline de la Gloire à Lviv, pour déposer des fleurs sur les tombes de soldats soviétiques. Le soir du même jour, Kostornyi est apparu sur la chaîne de télévision Rossiya-1, se plaignant que les « nazis » avaient déchiré son ruban de Saint-Georges.

Organisation de manifestations dans l’ouest de l’Ukraine

L’enquête a enfin établi qu’en 2015, Svystunov a chargé Kostornyi d’organiser des manifestations, dans l’ouest de l’Ukraine, où un slogan revenait en boucle : « Porochenko doit démissionner ! Démissionnez le gouvernement ! » et d’autres messages similaires. Pour chaque manifestant ramené, les organisateurs se voyaient promettre un paiement de 50 à 100 hryvnias. Sur ce point, Kostornyi a indiqué que Svystunov lui suggérait des manifestations pour lutter contre les violations des droits humains. Il a ajouté que les manifestations étaient organisées avec l’agrément des autorités et que les organisations qu’il représentait étaient officiellement enregistrées et n’agissaient pas contre l’Ukraine. L’homme se considère comme un activiste engagé depuis trente ans dans la défense des droits humains. Il est l’un des fondateurs de la Société internationale des droits de l’homme, une organisation dont il porte l’insigne au revers de sa veste à chaque audience.

Son avocat, Yuriy Paley, explique à la Cour que son client menait une « vie publique normale » et qu’il a, par exemple, participé à l’élaboration de la loi sur les minorités nationales.

Rapidement, les médias le désignent comme « correcteur de tir »

L’acte d’accusation rédigé contre Kostornyi a été transmis au tribunal à la fin du mois de septembre 2022. Toutefois, l’affaire n’a commencé à être entendue sur le fond qu’en janvier 2023. Mais bien avant le verdict, les médias ont commencé à qualifier l’accusé de « correcteur de tir », et des proches de personnes tuées ou portées disparues sur la base militaire de Yavoriv ont assisté aux audiences du tribunal, espérant une condamnation.

De son côté Kostornyi a accablé le tribunal de nombreuses requêtes. Il s’est plaint de la partialité de la presse et a accusé le tribunal d’indifférence. « Est-ce que je suis censé mourir dans une cellule ?! Savez-vous que je suis en ce moment même hospitalisé, a-t-il notamment déclaré un jour, après qu’un des prisonniers suicidaires m’a agressé à coups de poing ? »

Faute d’obtenir gain de cause, Kostornyi crie, interrompt le juge Viktor Romaniuk, élève la voix, jusqu’à être menacé d’être expulsé de la salle d’audience. Il exige aussi que les journalistes ne soient pas autorisés à prendre des photos et des vidéos. « Ceux qui filment ne rapportent pas fidèlement le déroulement de l’audience, ne rapportent pas les opinions que j’exprime [...] Je n’ai pas commis ce crime. L’information selon laquelle j’aurais guidé des frappes de missiles est fausse. »

Son avocat, Me Paley, évoque des « moyens de pression exercés via les médias » et promet que « des poursuites civiles seraient engagées ».

Yuriy Paley, avocat d'Oleksandr Kostornyi (ex-officier du KGB), lors de son procès en Ukraine.
Pour Yuriy Paley, l'avocat de la défense, son client n'étant pas en contact direct avec l'ennemi il ne s'agit pas de haute trahison. Photo : © Roman Balyk / Sudovyi Reporter

« Ce n’est pas une carte que j’ai photographiée »

L’accusé a d’abord souhaité que le procès se déroule à huis clos, déclarant qu’il révélerait des « données secrètes » concernant le site de Yavoriv. Mais quelques minutes plus tard, il déclare qu’en fait, le procureur et les enquêteurs avaient déjà révélé tout ce qui était classifié lors des audiences publiques. Il ajoute qu’ils étaient désormais les correcteurs des missiles russes, et non plus lui. « Je ne me suis pas rendu au centre d’entraînement de Yavoriv depuis 2013, ce qui peut être prouvé par l’examen des mouvements de mon téléphone », assure Kostornyi.

De fait, les données de son téléphone portable montre que le 19 juillet 2021, Kostornyi a visité les terrains de chasse et de pêche de Starychi, situés non loin de la base militaire, où il a pris la photo d’une carte sur le mur. Et que c’est cette image qu’il a transmise à son interlocuteur russe au début du mois de mars 2022.

Il reconnaît s’être rendu à Starychi. « Ce n’est pas une carte que j’ai photographiée, mais un tableau des zones de chasse et de pêche. Je suis membre d’associations de chasse et de pêche depuis de nombreuses années. Ces associations autorisent les personnes de plus de 70 ans à utiliser gratuitement leurs services. Je suis allé à Starychi pour renouveler ma carte de membre. Et j’ai vu une carte de l’endroit... », raconte-t-il. « Il est clair que pour accéder aux lacs où l’on peut pêcher gratuitement, il faut savoir comment s’y rendre. C’est dans ce but que la carte accrochée au mur a été photographiée. »

- Mais dans quel objectif l’avez-vous envoyée [à Svystunov et Vodolazov] ? demande le procureur Andriy Nikerui.

- Sans but particulier. Il s’agit d’une communication entre personnes qui utilisent les services du secteur de la chasse et de la pêche.

- Avez-vous envoyé de telles cartes à beaucoup de monde ?

- Eh bien oui, plus d’une fois.

La défense a fait valoir qu’il n’existait aucun document attestant que la carte des zones de chasse et de pêche de Starychi était classifiée ou qu’il était interdit de la distribuer. L’avocat indique qu’il a personnellement visité les locaux du domaine et qu’il s’est assuré que la carte était affichée sur le mur du couloir et qu’elle était librement accessible.

« Faux ! C’est faux ! Je n’ai pas écrit ça ! »

Au centre de la preuve figuraient la correspondance et les contacts téléphoniques de l’accusé. Le procureur cite un message identifié comme venant de l’agent du FSB, Vodolazkyi : « Y a-t-il des dortoirs à proximité où vivent des instructeurs militaires, des hôtels peut-être ? Y a-t-il un nombre anormal d’étrangers ? Où peuvent se trouver des objets en fer et des champignons étrangers ? D’une manière générale, existe-t-il des informations plus précises sur cette région ? » Selon lui, Kostornyi a répondu à cette question en envoyant l’image prise à Starychi, une fois de plus, avec un « 3 » marqué sur la carte.

« Vous dites que c’est moi qui ai mis une marque ? Ce sont vos fantasmes », réagit Kostornyi. « Les marques n’ont pas été faites par moi. Elles ont été faites lorsque cette carte a été remise aux membres des zones de chasse et de pêche. Elle est accessible au public et a été autorisée par le ministère ukrainien de la Justice en 2008. »

- Plus tard, des questions vous ont été posées : « Où les instructeurs militaires peuvent-ils vivre ? 3? » Et vous avez répondu : « 4 ».

- Je n’ai pas répondu.

- Plus tard, on vous a demandé : « 3 et 4 sont des dortoirs et des endroits où l’on peut dormir ? »

- Et qu’est-ce que j’ai répondu ? Lisez-le ! Il est écrit que j’ai refusé de répondre.

- Non, vous avez répondu : « Ce sont toutes des photos de 2021. Mais il est tout à fait possible que ces bâtiments soient utilisés à ces fins ».

- Oui, c’est possible. C’est possible. Il s’agissait d’une hypothèse, pas d’une affirmation.

- Mais vous aviez dit que la correspondance concernait des champignons et non des dortoirs militaires.

- On m’a posé la question. Je ne savais pas dans quel but. J’ai répondu vaguement.

- N’étiez-vous pas troublé par le fait que des centaines de missiles volaient vers l’Ukraine à ce moment-là ?

- Ne mentez pas ! Rien ne volait à ce moment-là ! La question est trompeuse, s’écrie Kostornyi.

- En mars 2022, lorsque la Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine, vous avez bien écrit en russe, au sujet des installations où le personnel militaire pouvait vivre.

- C’est faux ! C’est faux ! Je n’ai pas écrit cela ! Ce sont vos assomptions. Quiconque aurait la possibilité de voir ce dossier pourrait voir qu’il y a toujours « ne répond pas », « ne répond pas », « ne décroche pas ».

- Expliquez-nous, si ce n’est pas vous qui avez écrit cela, alors qui l’a fait ? intervient le juge.

- Demandez au procureur, répond Kostornyi.

- C’est votre téléphone, pas celui du procureur.

- Votre Honneur, je voudrais attirer votre attention sur le fait que l’enquêteur en charge de l’affaire a refusé que je sois présent lors de l’examen du téléphone. En d’autres termes, je ne sais pas ce qui a été mis dedans et comment.

- Avez-vous une théorie sur qui aurait pu effectuer cette communication, si ce n’est vous ? demande le juge.

- Le procureur, en mon absence. L’enquêteur qui avait le téléphone.

Procès en Ukraine d'un ex-officier du KGB, pour haute-trahison - Photo : des proches de militaires tués ou portés disparus sur la base militaire de Yavoriv assistent aux audiences du tribunal.
Des proches de militaires tués ou portés disparus sur la base militaire de Yavoriv assistent aux audiences du tribunal de Lviv, à l'Ouest de l'Ukraine. Photo : © Roman Balyk / Sudovyi Reporter

« Votre version des faits change toutes les cinq minutes, Kostornyi ! »

Kostornyi estime que le procureur essaie de faire de lui un bouc émissaire et de protéger l’administration du centre de formation. L’alerte aérienne a été déclenchée à 3 heures du matin, dit-il, mais les systèmes d’alerte du centre d’entraînement n’auraient pas fonctionné et les militaires seraient restés endormis dans les bâtiments. Par conséquent, les décès de personnes sont prétendument imputables à l’administration.

« Ces missiles n’ont pas été lancés grâce aux cartes que j’utilisais et que j’envoyais. Ils utilisaient des satellites américains pour le ciblage. Ils ont besoin d’images de l’espace », déclare l’accusé. Cependant, le dossier n’indiquait pas de conclusion d’expert sur la manière dont ces missiles ont été guidés. Et Kostornyi se contredisait souvent.

Il précise ainsi qu’il était membre du conseil d’administration d’une organisation d’anciens combattants à Lviv et qu’il distribuait de l’aide humanitaire. « Je me rendais à mes frais dans les districts environnant de Lviv, je collectais de la nourriture et je la livrais aux personnes âgées de 80 ans ou plus », dit-il.

- Veuillez préciser pendant combien de temps vous avez fait cela ? demande le juge.

- Pendant de nombreuses années. Je suis engagé dans des activités de défense des droits de l’homme depuis 30 ans.

- Lorsque le procureur vous l’a demandé, vous avez dit que vous n’aviez pas voyagé en dehors de Lviv depuis 2013. Puis que vous n’êtes allé qu’une fois à Starychi... Et maintenant, vous dites que vous vous rendez dans les villages environnants depuis 30 ans et que vous y distribuez de l’aide humanitaire.

- C’est exact.

- Vous avez dit il y a cinq minutes que vous n’aviez pas voyagé en dehors de Lviv depuis 2013. Était-ce un mensonge ?

- Je parlais de la zone du centre d’entraînement militaire.

- Votre version des faits change toutes les cinq minutes, Kostornyi !

Pour la défense, on ne peut parler de haute trahison

L’avocat de la défense estime qu’en cas de haute trahison, l’interlocuteur de Kostornyi aurait dû être un représentant des autorités du pays ennemi. « Svystunov peut ou non faire l’objet de sanctions. Je ne le vérifierai même pas. Mais c’est un citoyen ukrainien, et il n’a pas été prouvé qu’il était un représentant de l’ennemi », déclare Me Paley.

Kostornyi ajoute que s’il était coupable d’avoir corrigé l’attaque au missile, il aurait dû être accusé d’avoir causé la mort et des dégâts matériels. Or, l’acte d’accusation n’inclut pas ce chef d’inculpation. « Si je suis coupable d’avoir causé la mort, je ne peux qu’exprimer mes condoléances aux familles des victimes. Mais le procureur ne me considère pas comme coupable, car il écrit : il n’y a pas de victimes dans la procédure pénale. [...] Je n’ai vraiment rien à voir avec cette catastrophe. Alors de quoi m’accuse-t-on ? D’avoir pris une photo de l’emplacement d’un terrain de chasse et de pêche, qui est à la disposition de tous les citoyens ukrainiens ? » Et de conclure sa déclaration finale en russe : « Tôt ou tard, la conscience se réveillera. J’espère vivre assez longtemps pour voir les conséquences de l’éveil de la conscience des personnes ici présentes. Merci ! »

Kostornyi a été condamné à la peine maximale pour haute trahison, soit 15 ans de prison. Il n’aurait pas pu être condamné à la prison à vie, même si les charges étaient plus lourdes, car la loi ne permet pas d’imposer cette peine aux personnes âgées de plus de 65 ans.


Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».

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