Procès Al Hassan : un verdict au goût amer

L’ancien responsable de la police islamique à Tombouctou, au Mali, Abdoulaziz Al Hassan, a été reconnu coupable, le 26 juin, par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Mais son acquittement sur toutes les charges liées à des violences sexuelles a été aussitôt mal reçu par les victimes. Et la cacophonie entre les opinions des trois juges a toutes les chances de ternir l’image de la CPI.

Abdoulaziz Al Hassan (Mali) le jour de son jugement à la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Abdoulaziz Al Hassan, 46 ans, juste avant sa condamnation par la Cour pénale internationale, le 26 juin 2024, pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis à Tombouctou, au Mali, en 2012-2013. Photo : © Peter Dejong / ANP / AFP
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Pendant près de deux heures, la quarantaine de personnes rassemblées ce 26 juin dans une salle d’un hôtel de Bamako, sur invitation du bureau local de la Cour pénale internationale (CPI), paraît très concentrée.  L’assistance composée pour une grande partie d’acteurs de la défense des droits humains, mais sans la présence des victimes, suit la retransmission en direct de la lecture du résumé du verdict à l’encontre d’Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, un ancien commissaire de la police islamique lors de l’occupation de la fameuse ville de Tombouctou, au nord du Mali, par les groupes armés Ansar Eddine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), il y a plus de dix ans. Seul le supplice d’un présumé voleur amputé de la main en place publique durant ces heures sombres racontées par le juge président Antoine Kesia-Mbe Mindua fait réagir la salle. Au milieu de réactions outrées, certains notent sur l’écran le visage inexpressif, presque serein, d’Al Hassan, assis dans le box des accusés à La Haye, en bazin vert citron et coiffé du traditionnel turban.

Après quatre ans de procès et à la majorité des trois juges, Al Hassan est déclaré coupable d’une partie des charges portées à son encontre concernant des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis entre le 2 avril 2012 et le 29 janvier 2013 à Tombouctou : tortures, traitements cruels, persécution et autres actes inhumains. Des crimes qu’il a lui-même commis directement, ou y a contribué avec d’autres, ou y a apporté son aide et son concours. Toutefois, le juge Mindua a fait dissidence et a acquitté Al Hassan sur toutes les charges, apparemment selon l’argument qu’il aurait agi sous la contrainte. Et surtout, l’ancien djihadiste est innocenté, à la majorité des juges, des charges de crimes de guerre pour viol, esclavage sexuel et d’autres actes inhumains prenant la forme de mariages forcés.

« La CPI a abandonné les femmes »

C’est cet acquittement qui a aussitôt du mal à passer au Mali. Une responsable d’association de victimes, qui requiert l’anonymat, assure que « la CPI a abandonné les femmes ». Elle dénonce un verdict déséquilibré qui va accentuer le traumatisme des victimes de crimes sexuels. « J’ai été moi-même agressée lors de l’occupation. Pour nous, à Tombouctou, Al Hassan est responsable des crimes commis », s’emporte-t-elle. Me Seydou Doumbia, qui fait partie d’un collectif de trois avocats représentant 2196 victimes, juge le verdict insatisfaisant. « Une part importante de nos victimes concernées par les crimes sexuels ne sont pas satisfaites », confie-t-il, assurant que les preuves présentées étaient suffisantes pour que la culpabilité d’Al Hassan soit reconnue. Il est cependant encore trop tôt pour décider de faire appel, dit-il. « Nous sommes un collectif d’avocats, nous devons d’abord adopter une position commune. Pour l’heure, nous sommes suspendus au prononcé de la peine ». Ce qui pourrait prendre encore plusieurs semaines.

Selon l’analyse de l’avocat, la Cour aurait notamment estimé que les crimes sexuels ont été perpétrés par les membres de la Hisba (police des mœurs) et non ceux de la police islamique sous autorité d’Al Hassan. Me Doumbia trouve ce jugement curieux. Il veut rappeler que certains des viols ont été commis dans des lieux sous la responsabilité d’Al Hassan et que des membres de sa police islamique étaient impliqués dans les mariages forcés. Yehia Ahma Cissé, un des rares dans « la cité des 333 Saints » qui accepte de témoigner à visage découvert, va plus loin. Président de la coordination régionale de l’association des victimes de Tombouctou, il affirme qu’ils ont des témoins qui peuvent directement incriminer Al Hassan. « Il était au courant de tout. C’est dommage que la Cour ne nous ait pas appelés à témoigner. Qu’allons-nous dire aux femmes à présent ? » se questionne-t-il, avant de marquer une pause et de reprendre. « Celui dont elles ont l’image en tête, dont il suffit de prononcer le nom pour qu’elles commencent à ressentir de la crainte, n’est selon la CPI coupable d’aucun crime sexuel, c’est incompréhensible. »

Dans son communiqué de presse, le procureur de la CPI Karim Khan, pour qui la poursuite des violences sexuelles est une priorité officielle, a préféré se féliciter du verdict. « La condamnation de M. Al Hassan marque une étape significative qui nous rapproche de notre objectif visant à amener les principaux responsables des atrocités commises contre la population civile à Tombouctou et dans la région à rendre des comptes. Cette affaire revêt une importance particulière pour la Cour pénale internationale et pour mon Bureau car c’est la première fois qu’un accusé est poursuivi et condamné pour persécution religieuse et pour avoir prononcé des peines en dehors de toute procédure régulière », écrit-il.

Talking Timbuktu

Si à Bamako, la CPI avait mis en place un dispositif permettant de suivre en direct la retransmission du verdict rendu à La Haye, à Tombouctou où se trouve la majeure partie des victimes, le rendez-vous semble être passé inaperçu. « J’ai échangé toute la journée avec d’autres responsables d’associations de victimes, mais aucun n’a mentionné le verdict, ce qui veut dire qu’ils n’étaient pas au courant », raconte Yehia Ahma Cissé. Plusieurs responsables d’association de victimes ainsi que des journalistes basés à Tombouctou, contactés par téléphone, prenaient connaissance du jugement à l’occasion de ces appels.

Des invitations ont bien été envoyées par la CPI à certaines personnes à Tombouctou mais elles devaient se déplacer à Bamako, la capitale, à leurs frais. Pour des raisons logistiques et à cause d’une mauvaise connexion internet, aucune retransmission n’a été programmée à Tombouctou, confie Margot Tedesco, responsable de l’information publique de la CPI au Mali. Selon elle, la CPI entend désormais mener un travail d’information, avec l’appui d’associations et des médias, afin que les victimes soient au courant du verdict et de ses implications. Les victimes attendent de voir la peine qui sera infligée à Al Hassan. Mais elles disent aussi attendre impatiemment que la Cour se prononce sur les réparations. Dans la salle, lors de la retransmission, la présidente d’une association de femmes a fait un plaidoyer en ce sens.

Mais les réparations n’ont pas été évoquées par la Cour à ce stade. « Nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui que nous l’étions il y a quelques semaines. Toutes les victimes ont réclamé des réparations, nous attendons des décisions claires de la CPI là-dessus », affirme Cissé. En 2021, le Fonds au profit des victimes de la CPI a commencé à verser des réparations individuelles aux victimes de la destruction des mausolées à Tombouctou. Ces réparations s’inscrivent dans le cadre du procès d’Ahmad al-Faqi al-Mahdi, condamné en septembre 2016 à neuf ans de prison après avoir plaidé coupable. Un an plus tard, la cour avait prononcé des réparations individuelles et collectives d’un montant de 2,7 millions d’euros, dont un million à titre individuel. Après ce nouveau verdict, accompagné de trois décisions dissidentes où chaque juge ne semble jamais être d’accord avec l’autre, c’est maintenant l’attente de ces réparations qui commence.