Au terme d'une première journée riche en rebondissements, la Chambre africaine extraordinaire d'assises chargée de juger Hissène Habré, à Dakar, a ordonné lundi en fin d'après-midi que l'ancien président soit amené à la Cour « par la force publique » mardi matin. Sa défense a dénoncé une militarisation de la procédure.
En exil au Sénégal depuis sa chute fin 1990, Hissène Habré, détenu depuis juillet 2013 dans une prison de Dakar, est poursuivi pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture perpétrés sous son régime.
L'ancien président est jugé par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), un tribunal spécial créé au sein de la justice sénégalaise par un accord entre Dakar et l'Union africaine (UA) avec pour mandat de juger des violations graves du droit international humanitaire commises au Tchad de 1982 à 1990.
Le matin, avant l'entrée du procureur et des juges, Hissène Habré a fait une brève apparition très remarquée dans la salle alors qu'il était amené par l'administration pénitentiaire.
Le vieux tribun a tenté de saisir ce moment solennel pour faire entendre sa voix. « A bas l'impérialisme ! Vive le Tchad !», a lancé l'ancien président, enturbanné. Un slogan qui a été aussitôt repris par de jeunes proches présents dans la salle, obligeant les forces de l'ordre à évacuer l'accusé dans une autre pièce du Palais de Justice.
Le calme rétabli, l'équipe de l'accusation conduite par le procureur général Mbacké Fall est entrée dans la salle, suivie par la chambre présidée par le juge burkinabè Gberdao Gustave Kam.
Après avoir rappelé le long calvaire des victimes qui réclament justice depuis plus de 20 ans, le procureur général a souligné que ce procès ne constituait pas « un acharnement contre la personne de l'accusé ». Mbacké Fall a affirmé que son dossier était basé sur « une instruction menée de main de maître » et promis de prouver au- delà de doute raisonnable, l'existence de « chaînes de commandement tant civil que militaire » liant l'ancien président aux crimes qui lui sont reprochés.
« Je l'invite à comparaître pour répondre devant l'Histoire de ces crimes graves dont il est accusé », a conclu le procureur général.
Le président Kam a ensuite donné la parole à l'avocate tchadienne Jacqueline Moudeina, rendue célèbre par ses nombreuses années de combat aux côtés des victimes. Accusant Hissène Habré d'avoir été, pendant près d'une décennie, « le bourreau de son peuple, le chef d'orchestre (des crimes commis par ses services), le donneur d'ordres, l'instigateur », elle a cependant assuré que les avocats des victimes seraient guidés dans cette affaire par « la seule force du droit ».
« Votre décision sera appréciée par vos collègues »
Il était prévu que la défense intervienne après les victimes mais aucun des avocats de l'ex-président ne se trouvait dans la salle.
Pour le bâtonnier de l'Ordre des avocats du Sénégal, Mbaye Guèye, qui a pris la parole par la suite, ce choix de la défense ne doit en rien porter préjudice au respect de la présomption d'innocence. « Oui à la lutte contre l'impunité », a concédé l'avocat sénégalais, mais tout en rappelant à la chambre son obligation de garantir « un procès équitable », quelle que soit la stratégie choisie par l'accusé. « Votre décision sera appréciée par vos collègues magistrats, par les avocats, par les universités, par votre descendance », a-t-il souligné, exhortant les trois juges à « rendre une bonne justice, étant bien-sûr précisé que la perfection n'est pas de ce monde ».
Dans un entretien avec la presse à l'issue de cette cérémonie inaugurale, un autre avocat sénégalais, Maître Ousmane Seye, est allé plus loin, en estimant qu'il y avait « un goût d'inachevé ». « L'Union africaine n'a pas donné mandat aux Chambres africaines de juger Hissène Habré, elle leur a donné mandat des juger des faits, des crimes commis au Tchad entre 1982 et 1990. Or ces faits impliquent une multitude de personnes dont certaines suivent ce procès, assises confortablement dans des fauteuils au Tchad », a déclaré l'avocat sénégalais, citant nommément le président Idriss Deby. Interrogé sur la suite de la procédure en l'absence de l'accusé, Me Seye a répondu : « C'est son droit le plus absolu. La justice n'est pas la violence ».
Après la pause de la matinée, un huissier a informé la chambre que l'accusé refusait toujours de se présenter au procès. Le juge Kam lui a alors fait envoyer une sommation à comparaître pour l'après-midi. Mais l'ancien président n'a pas changé d'avis, obligeant ainsi le juge président à ordonner qu'il soit amené « par la force publique » pour l'audience de mardi.
Interrogé par JusticeInfo.Net, à la salle de presse du Palais de Justice de Dakar, Maître François Serres, l'un des avocats de l'ancien président, a dénoncé « une décision pathétique, une décision militarisée ». « Le président Hissène Habré suit sa ligne de conduite. Il ne peut pas comparaître devant des juges dont la feuille de route est de le condamner », a expliqué l'avocat français, dénonçant « un véritable théâtre de justice ».