Le droit international à l’épreuve des échanges de prisonniers

Le 15 juin, la Suède a annoncé l’échange de deux de ses ressortissants emprisonnés en Iran contre Hamid Nouri, un ancien responsable iranien condamné en 2022 par la justice suédoise pour son rôle dans des exécutions de masse dans les prisons iraniennes, en 1988. Le diplomate suédois Jan Eliasson, ancien ministre des Affaires étrangères en 2006 puis secrétaire général adjoint de l'Onu (2012-2016) partage ses réflexions.

Droit international : échange de prisonniers entre la Suède et l'Iran. Photo : Hamid Nouri s'exprime devant la presse iranienne lors de son retour à Téhéran.
L'ancien haut responsable de l'administration pénitentiaire en Iran, Hamid Nouri, s'adresse aux médias iraniens, le 15 juin 2024, à Téhéran. Condamné à la prison à vie en Suède pour l'exécution de nombreux prisonniers en Iran en 1988, il a été échangé contre deux ressortissants suédois emprisonnés en Iran. Photo : © Iran Press / AFP
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JUSTICE INFO : En Suède, ce sont surtout les proches des victimes de Hamid Nouri – les nombreux opposants morts dans le cadre des exécutions massives dans les prisons iraniennes en 1988 – qui ont critiqué la décision du gouvernement suédois. Ils se sentent extrêmement trahis. Comment réagissez-vous ?

JAN ELIASSON : Je peux les comprendre, mais il faut savoir que Nouri a été condamné par un tribunal, que la question de sa culpabilité a été établie en bonne et due forme, avec toutes les preuves présentées. Même s'il est gracié, l'issue du procès contre lui demeure. Par ailleurs, c’est un fait que Nouri, qui a été condamné à la prison à vie en Suède, a tout de même passé pas mal de temps en prison. D'abord placé en détention provisoire, puis incarcéré après le jugement, en tout et pour tout pendant une période d’environ cinq ans.

L'accord suédois avec l'Iran pourrait-il créer des problèmes en termes d'application du droit international, en Suède et ailleurs ?

Oui, les dangers que je vois sont de deux ordres. D'une part, on peut craindre que le phénomène des prises d'otages fasse tache d’huile ; d'autre part, qu'une approche plus prudente du traitement des crimes contre l'humanité dans le cadre de la compétence universelle se répande. Cela ne doit pas se produire. L'établissement d'une compétence universelle pour ces crimes est un succès pour le droit international que nous devons chérir.

En ce qui concerne les prises d'otages, nous avons vu plusieurs cas ces derniers temps : celui de la basketteuse américaine en Russie [Brittney Griner a été échangée contre le marchand d'armes russe Victor Bout, condamné aux États-Unis pour crimes de guerre, en décembre 2022], celui des prisonniers suédois en Iran, et bien sûr la prise d’otage du Hamas [le 7 octobre 2023, plus de 200 Israéliens ont été pris en otage]. Je pense que ces actes devraient être condamnés. J’ai moi-même un petite idée là-dessus : que l'Assemblée des Nations unies, ou mieux encore le Conseil de sécurité des Nations unies, adopte une résolution de principe stigmatisant ce genre d’actions. Cela n’empêchera certainement pas certains pays de continuer à pratiquer la prise d’otage, mais cela servirait du moins à condamner internationalement ce genre de comportements tout à fait inacceptables.

La Suède a-t-elle connu des cas similaires par le passé ?

Je ne pense pas. Ce serait le cas du diplomate suédois Raoul Wallenberg, en poste à Budapest pendant la Seconde Guerre mondiale et qui avait contribué à sauver des milliers de Juifs. Wallenberg fut capturé par l’armée soviétique lorsqu’elle entra en Hongrie. À une époque où l'on suspectait ce qui était arrivé à Wallenberg, il avait été envisagé de proposer aux Soviétiques un échange de prisonniers, mais cette proposition fut rejetée par Östen Undén, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, qui la jugea légalement inadmissible.

Quelle a été votre réaction après avoir pris connaissance du résultat des négociations autour du dossier Nouri ?

J'ai été heureux que deux Suédois puissent rentrer chez eux, mais je suis aussi conscient qu’un autre prisonnier suédois [le chercheur suédo-irakien Amhadreza Djalali, condamné à mort par la justice iranienne en 2017] se trouve toujours dans les geôles iraniennes.

En Suède, beaucoup ont précisément réagi au fait que cet échange n’inclue pas Djalali. Cela ne signifie-t-il pas que le gouvernement se résigne à accepter la peine de mort prononcée à son encontre ?

Je ne suis malheureusement pas surpris par le résultat de ces négociations. En tant que ministre suédois des Affaires étrangères, puis en tant que secrétaire général adjoint de l'Onu et dans le cadre de contacts informels avec des dirigeants iraniens, j'ai moi-même à maintes occasions eu la possibilité de soulever son cas. J'ai toujours eu l'impression de me heurter à un mur. On m’a déclaré que les services de sécurité iraniens avaient des preuves solides que Djalali espionnait pour le compte d'Israël. En outre, le fait qu'il soit Suédois n'a pas été accepté [Djalali, qui a vécu et travaillé comme chercheur en Suède, s'est vu accorder la nationalité suédoise après avoir été emprisonné par l'Iran]. C’était donc traité comme une affaire interne à l’Iran dont nous ne devions pas nous mêler.

Les marges de manœuvre d'un petit pays sont-elles différentes de celles d'une grande puissance dans une telle situation ?

Oui, on peut se poser la question. Il y a tellement de choses qui entrent en jeu dans une négociation. Dans celles, très nombreuses, que j’ai conduites, j’ai parfois eu l’avantage de représenter un petit pays neutre et respecté par ce fait, un pays ayant une longue expérience dans le domaine de la diplomatie internationale, ce qui n’est pas négligeable. Mais c’est aussi une évidence que les pressions que peut exercer une grande puissance dans ce genre de situations peut être un avantage.  

En graciant et en libérant Nouri, ne se débarrasse-t-on pas de la meilleure carte à jouer dont on dispose pour la libération de Djalali ?

Quand on négocie, ce n'est pas seulement le prisonnier qui fait figure d’atout. Les contacts personnels, l'habileté diplomatique et d'autres moyens de pression entrent aussi en jeu. Dans ce cas précis, la Suède a fait appel à la coopération du sultanat d’Oman. Ce pays qui a de bons contacts dans les deux camps et qui a l'habitude de servir d'intermédiaire dans les conflits de la région, a été d'une grande aide. Le problème est que les négociateurs arrivent à un point où ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas obtenir la libération de Djalali. Ils sont conscients que l'Iran souhaitait faire sortir Nouri, mais ils doivent aussi penser à ceux qui se retrouvent dans les geôles iraniennes depuis déjà pas mal de temps, deux ans dans le cas du fonctionnaire suédois de l’Union européenne Johan Floderus. Ils sont confrontés à faire un choix qui s’avère extrêmement difficile. Soit on réussit à faire sortir deux d'entre eux, soit on continue de négocier avec des résultats incertains. La Suède a choisi de gracier Nouri pour libérer deux otages. Même si c’est pénible à s’y résoudre, j'aurais probablement fait le même choix.

Les proches de Djalali estiment que le gouvernement suédois l'a abandonné ?

Il est clair que le pronostic pour sa libération n'est pas le meilleur, mais on peut espérer que l'Iran, une fois qu’il a obtenu la libération de Nouri, libère Djalali dans le désir de créer de meilleures relations avec le monde extérieur [le cas de Djalali a été pris en charge par Amnesty et d'autres pays de l'UE] et pour faire preuve de bonne volonté, par exemple à l’occasion d’un changement de président [l’Iran doit élire un nouveau président le 5 juillet],. Mais ce n'est peut-être qu'un vœu pieux de ma part.

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