Quand un tribunal citoyen juge la République populaire de Chine

Un tribunal citoyen siégeant à La Haye vient d’ « inculper » le président chinois Xi Jinping pour génocide et crimes contre l’humanité, notamment à l’encontre des Ouïghours. Ce tribunal non officiel mis en place par une organisation non gouvernementale espère que le leader chinois « en prendra note », a déclaré le président de la chambre de jugement après la confirmation de l’acte d’accusation. Justice Info est allé voir l’un de ces « tribunaux citoyens », héritiers du célèbre Tribunal Russell, et regarder son fonctionnement.

Le « tribunal de Chine » à la Cour des citoyens du monde (La Haye). Les trois personnes qui composent la chambre du tribunal doivent examiner les accusations portées contre Xi Jinping.
De gauche à droite : Bhavani Fonseka (Sri Lanka), Zac Yacoob (Afrique du Sud) et Stephen Rapp (États-Unis) ont composé la chambre du tribunal citoyen siégeant à La Haye, du 8 au 12 juillet, pour examiner les accusations portées contre Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, pour des crimes présumés commis à Taïwan, au Tibet et contre la population ouïghoure du Xinjiang. Photo : © The Court of the Citizens of the World
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La semaine dernière à La Haye, un tribunal citoyen a confirmé les charges de crimes contre l’humanité et de génocide portées à l’encontre du président de la République populaire de Chine, Xi Jinping. Une semaine durant, la salle de conférence de l’hôtel où il se tenait s’était transformée en tribunal et, le vendredi 12 juillet, un groupe de victimes et de témoins ont suivi le jugement, téléphone à la main, pour filmer le moment.

Si les juges ont estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour confirmer le chef d’inculpation d’agression contre Taïwan, ils ont malgré tout « reconnu » le statut d’État de Taïwan. Ils ont par ailleurs estimé qu’il existait des preuves évidentes de crimes contre l’humanité à l’encontre de la population locale au Tibet et de la communauté ouïghoure au Xinjiang – situation dans laquelle ils ont confirmé les accusations de génocide.

En Chine, « il y a des preuves d’un objectif clair d’anéantissement d’une communauté entière », a déclaré le juge président Zac Yacoob, qui a siégé pendant 15 ans à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, nommée par le défunt président Nelson Mandela. Outre Yacoob, la chambre était composée de Bhavani Fonseka, éminente avocate sri-lankaise spécialisée dans les questions constitutionnelles et les droits humain, ainsi que de Stephen Rapp, ancien ambassadeur itinérant des États-Unis chargé des questions relatives aux crimes de guerre. « Nous espérons que le gouvernement chinois prendra note de ce jugement », a déclaré Yacoob, ajoutant qu’il espérait aussi que la communauté internationale en prendrait note et réfléchirait à la possibilité de demander des comptes au gouvernement chinois.

Les auditions des victimes, des témoins et des experts se sont déroulées du 8 au 12 juillet, les plaidoiries finales et le jugement se tenant le dernier jour. Trois rangées de tables face à face, l’équipe juridique, 6 hommes et 2 femmes, tous vêtus de robes noires traditionnelles, avec d’épais dossiers devant eux. Le public a dû se lever lorsque les juges sont entrés. Sur le côté, il y avait quatre caméras avec leurs caméramans, qui se déplaçaient en se faisant des signes pour coordonner les prises de vue. Ils réalisent un documentaire sur l’événement.

Créer une base juridique de départ ?

Il s’agissait de la deuxième visite à La Haye du Tribunal des citoyens du monde, organisée par la Fondation Cinéma pour la paix. En février 2023, ils avaient déjà organisé un tribunal concernant le crime d’agression en Ukraine, qui a confirmé les charges présentées contre le président russe Vladimir Poutine. Les tribunaux citoyens font l’objet de critiques concernant leur objectivité et leur manque d’autorité, mais ils sont également considérés comme un moyen de créer une base juridique de départ pour des poursuites ultérieures.

Un tribunal citoyen n’a pas de pouvoir législatif. En l’occurrence, celui-ci a appliqué le Statut de Rome et n’a pas organisé un procès, mais une audience de confirmation des charges par contumace... Un peu comme la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale s’apprête à le faire en octobre prochain dans l’affaire Joseph Kony, a voulu souligner Rapp.

Selon lui, le tribunal citoyen « donne aux victimes et aux survivants l’occasion d’avoir une sorte de procédure judiciaire, c’était un processus simulé, et il a été compris comme tel, mais cela reste la meilleure chose à faire ».

Retards et désorganisation

Comme c’est régulièrement le cas dans les véritables tribunaux internationaux, ce tribunal citoyen a également été marqué par des retards et de la désorganisation. Le procès était initialement prévu du 27 avril au 4 mai. Cependant, le 19 avril, Justice Info a été informé que l’ensemble du processus avait été reporté au mois de juillet. Puis, quelques jours avant le début réel de l’événement, des allégations d’ingérence de la Chine, divulguées aux seuls participants, ont été formulées, ce qui aurait poussé l’organisation à déménager.

Le moment auquel nous avons pu assister en personne était le dernier jour des témoignages, le jeudi 11 juillet. Le public était composé d’une dizaine de personnes, dont une moitié de victimes et de témoins. Parmi eux se trouvaient un moine tibétain vêtu d’une robe rouge et un homme ouïghour portant un chapeau traditionnel. Certaines victimes portaient des pancartes avec des photos de leurs proches tués ou disparus. Une première victime a témoigné, un homme ouïghour qui vit maintenant à l’étranger et qui a été détenu au Xinjiang pendant 15 mois en 2013-2014. Il a brandi une photo de sa nièce et a raconté qu’elle lui avait demandé, ainsi qu’à d’autres membres de leur famille, de ne pas s’exprimer afin de protéger leur sécurité. Elle a ensuite été torturée et tuée en Chine, en 2018.

Le Tribunal des Citoyens du Monde (crimes commis en Chine). Photo : le témoin expert Adrian Zenz témoigne.
Jeudi 11 juillet, Adrian Zenz témoigne en ligne (écran) en tant que témoin expert devant les juges du Tribunal de la Chine, un tribunal populaire réuni dans la salle de conférence d’un hôtel situé à La Haye. Photo : © Margherita Capacci

Témoin expert, victimes, défense, procureur

Les Ouïghours sont un peuple turcophone et majoritairement musulman qui vit dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Adrian Zenz, expert international des archives du gouvernement chinois et de la campagne d’internement au Xinjiang, témoignant à distance, a expliqué comment les politiques du président Xi Jinping témoignent selon lui d’une intention d’« affaiblir et de contrôler les Ouïghours ». Cela se traduit par la construction de camps de rééducation où des personnes peuvent être envoyées même à titre préventif. Le gouvernement chinois a accusé les Ouïghours d’être des terroristes et utilise l’argument de sa sécurité nationale pour justifier sa répression.

Le premier témoin ouïghour, qui a demandé à ne pas être nommé, a ensuite parlé de son arrestation sur la base de fausses accusations, de ses multiples interrogatoires sur une « chaise tigre » [utilisée pour immobiliser les suspects], de la « privation de nourriture et d’eau », des abus sexuels et de la torture. Il a dû avouer un délit mineur et subir deux procès avant d’être libéré, pour se retrouver dans une ville truffée de caméras de reconnaissance faciale, où, en tant qu’Ouïghour ayant un casier judiciaire, il était banni presque partout. Contre-interrogé par l’avocat de la défense Gregor Guy-Smith, ancien président de l’Association de défense du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, il a été interrogé sur l’un des procès auxquels il a été confronté en Chine, que la victime a qualifié de faux procès. L’avocat de la défense lui a alors demandé s’il s’agissait d’une pièce de théâtre « comme celle-ci », en faisant un geste vers la salle.   

La deuxième victime à témoigner était une femme, qui s’est exprimée avec l’aide d’un interprète. Elle a été envoyée dans un camp de rééducation au Xinjang sous de fausses accusations. Elle a expliqué que « la langue ouïghoure y était interdite » et que « prier était aussi interdit ». Ils devaient étudier le mandarin, chanter les chansons du parti et faire l’éloge de Xi Jinping. Une fois, elle a été interrogée pendant six jours et on lui a posé des questions telles que : « Faites-vous partie d’une organisation terroriste ? Voulez-vous diviser le pays ? » Elle a été contrainte d’enregistrer un message vidéo que la police avait préparée.

Dans son réquisitoire, le procureur, Jonathan Rees, un KC britannique qui a travaillé pour la défense devant les Chambres spécialisées du Kosovo, a déclaré que « le président Xi est pénalement responsable d’avoir incité, encouragé, commis et contribué aux infractions visées ». Dans son jugement, Yacoob a confirmé tous les chefs d’accusation de génocide et de crimes contre l’humanité, y compris l’emprisonnement, la torture, la violence sexuelle et la stérilisation forcée. Il a conclu que les crimes étaient « vastes et systématiques, qu’ils étaient planifiés et qu’ils impliquaient l’appareil d’État du début à la fin ».

L’« INGÉRENCE » CHINOISE ET LES CONFLITS INTERNES

Avant et pendant l’événement, l’équipe de communication du tribunal citoyen et l’une des victimes ont soulevé des allégations d’ingérence chinoise. La victime présumée est un militant ouïghour vivant aux Pays-Bas. Il a déclaré avoir été contacté via Telegram par la police chinoise et avoir reçu des messages de l’un de ses proches vivant en Chine, qui lui demandait de ne pas participer à ces audiences.

Dans une déclaration qui nous a été transmise le 17 juillet, la communication du tribunal explique que le lieu initial, un centre de conférence dans le centre-ville de La Haye, a reçu des menaces et de fausses lettres d’avocats, ce qui a conduit à l’annulation de la réservation quelques jours avant le début de l’audience. Contacté par Justice Info, le directeur du centre a confirmé avoir reçu des courriels, des appels téléphoniques anonymes et des menaces. Il a toutefois précisé qu’il avait dû annuler l’événement en raison de son caractère politique.

Le même communiqué du 17 juillet indique qu’au début du mois, un ou deux espions présumés auraient infiltré l’organisation en tant que volontaires juridiques et affirmé dans un message de groupe que « la Cour ne paie pas son personnel et le traite de façon injuste ».

Un ancien volontaire, qui a demandé à ne pas être identifié, a expliqué à Justice Info que les deux volontaires ont envoyé le message au groupe WhatsApp pour discuter avec la direction de leurs plaintes concernant les retards de paiement et les conditions de travail. Suite à ce message, ils ont été accusés d’être des agents secrets. Cela a conduit un groupe d’environ cinq volontaires à démissionner en même temps. La lettre de démission mentionne des raisons telles qu’un environnement de travail toxique, l’absence de gestion et de résolution adéquate des conflits, et les retards de paiement.

« Il y a une grande désorganisation interne », a déclaré Brian Hioe, journaliste taïwanais et fondateur du magazine en ligne New Bloom. Hioe était censé rejoindre le tribunal en mai en tant que témoin, mais il a décidé de quitter le processus. Il souligne que les réunions ont été retardées ou reportées, que le documentaire a été annoncé quelques semaines avant l’événement alors que de nombreuses personnes s’inquiétaient de la protection de leur vie privée, et que l’ensemble de l’événement a été reporté environ une semaine avant sa date prévue, à la fin du mois d’avril. La plupart avaient déjà pris leurs congés pour y participer.

Interrogé à ce sujet, le tribunal citoyen a nié toutes les allégations. Il a déclaré que le report de mai à juillet avait été demandé par les professionnels judiciaires de la cour afin de rassembler davantage de preuves sur tous les chefs d’accusation et de poursuivre le processus de sélection des témoins. Selon lui, le documentaire a toujours fait partie du processus prévu et son existence a été communiqué en amont aux participants.

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