Avec la prise de contrôle de l'Afghanistan par les talibans en août 2021, après des décennies d'intervention militaire internationale et de négociations de paix, de nombreuses restrictions draconiennes ont été imposées aux femmes. Celles-ci comprennent l'interdiction de l'enseignement secondaire et supérieur, l'interdiction de la plupart des formes d'emploi et de sévères limitations de la liberté de mouvement, exigeant souvent que les femmes soient accompagnées d'un tuteur masculin lorsqu'elles quittent leur domicile. Sous le contrôle des talibans, les femmes afghanes ont été privées de leurs droits et libertés les plus fondamentaux. Le 21 août, une nouvelle loi a imposé des restrictions supplémentaires, notamment le droit de chanter, de lire des poèmes ou de lire en public.
Si les garçons et les hommes sont également victimes de l’oppression sous le régime taliban quand ils ne se conforment pas à la ligne officielle, ce sont les femmes qui continuent d'en faire les frais. Le cas d'Arzo, 15 ans, illustre cette dure réalité. Arzo rêvait de devenir médecin, mais ses aspirations ont été anéanties lorsque les talibans ont interdit l'éducation aux femmes, en 2021. Confinée chez elle et empêchée de poursuivre sa carrière, la situation d'Arzo est devenue si insupportable qu'elle a tenté de se suicider en buvant de l'acide de batterie, deux ans après l'arrivée au pouvoir des talibans.
L'idéologie des talibans appelle à la soumission des femmes et leur maintien au pouvoir dépend largement du succès de cette entreprise. Il s'agit d'un apartheid des sexes. Et au final, l'apartheid fondé sur le genre est une forme grave d'inégalité qui perpétue la violence contre les femmes. Bien que reconnu par de nombreux juristes, ONG et acteurs internationaux, le concept d'apartheid de genre n'a pas encore été codifié dans le droit international. Les abus les plus graves commis à l'encontre des femmes restent ainsi souvent impunis. Il est impératif de prendre des mesures concrètes pour intégrer le concept d'apartheid de genre dans le droit international et de forger la volonté politique nécessaire pour y parvenir.
Un mouvement pour la reconnaissance de l'apartheid de genre
Un mouvement militant mondial contre l'apartheid de genre s’est constitué au cours des deux dernières décennies afin d'isoler, de s'opposer et d'inverser ses formes extrêmes, en particulier dans des pays comme l'Iran et l'Afghanistan, mais aussi dans toutes les sociétés traditionnelles du monde où ce phénomène se manifeste. Le mouvement a commencé à se développer au début des années 2000 et continue de croître, impliquant des militants de pays importants comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et de nombreuses démocraties européennes, qui travaillent à faire entendre les personnes affectées et à faire pression pour que des lois internationales solides criminalisent l'apartheid de genre. Des ONG telles que Human Rights Watch et Amnesty International ont joué un rôle central dans la sensibilisation à cet apartheid, en particulier en Afghanistan et en Iran. Human Rights Watch a publié de nombreux rapports sur les effets dévastateurs des politiques talibanes sur les femmes afghanes. Amnesty International a également critiqué ces politiques et appelé à plusieurs reprises à une intervention internationale depuis début août 2021, notamment au sujet de l'interdiction du travail des femmes.
D'importants efforts de mobilisation et de plaidoyer ont été déployés. Le projet United Against Gender Apartheid, lancé en 2021 et parrainé par le World Liberty Congress, vise à galvaniser la résistance internationale contre l'apartheid de genre. De même, la campagne End Gender Apartheid, lancée en mars 2023, s'associe à la Campagne du ruban blanc et à d'autres ONG mondiales de défense des droits humains. Cette campagne vise à sensibiliser la communauté internationale aux dures réalités auxquelles sont confrontées les femmes et les filles afghanes sous le régime des talibans.
Quant aux Nations unies, leur rapporteur spécial sur l'Afghanistan, Richard Bennett, a récemment noté que « l'apartheid de genre est une violation claire et grave des droits de l'homme et constitue un crime contre l'humanité ». Dans son rapport, il souligne l'urgence d'une « action internationale et d'une reconnaissance juridique ».
La reconnaissance de ces formes spécifiques de crimes contre l'humanité est non seulement moralement justifiée, mais juridiquement essentielle ; à défaut, de nombreux auteurs échappent à leur responsabilité, tandis que les femmes du monde entier continuent de souffrir. Pour corriger cette profonde injustice, nous devons plaider en faveur de la reconnaissance de l'apartheid de genre dans le droit humanitaire international et le droit pénal.
Lacunes juridiques sur l'apartheid de genre
Il s'agit notamment de plaider pour l'inclusion de l'apartheid de genre en tant que crime contre l'humanité dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. L'inscription de l'apartheid de genre dans le droit international nécessite un soutien politique constant appuyé par des efforts diplomatiques. Les amendements au statut de Rome peuvent prendre du temps en raison de la complexité des procédures, voire se heurter à l'opposition de diverses parties. Mais si un nombre suffisant d'États apportent leur soutien, ils pourraient faire en sorte que cela se produise le plus tôt possible.
Des changements sont également nécessaires dans le cadre des Nations unies. Aujourd'hui, des textes tels que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), adoptée en 1979 et entrée en vigueur en 1981, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté en 1966 et entré en vigueur en 1976, traitent de diverses formes d'inégalités entre les hommes et les femmes dans le monde. Toutefois, ils ne traitent pas spécifiquement de l'apartheid fondé sur le sexe. En rendant ces instruments plus efficaces et en y incluant explicitement de nouvelles dispositions et de nouveaux protocoles contre l'apartheid de genre, nous pouvons contribuer à empêcher que de telles violations extrêmes ne se produisent aujourd'hui et à l'avenir. Des amendements visant à protéger les droits des femmes enverraient un message clair au niveau mondial : aucune forme de discrimination à l'encontre des femmes et des filles ne doit être tolérée, où que ce soit.
Les organisations internationales, en particulier les Nations unies, doivent être au centre de ce processus. L'Onu peut notamment faciliter le dialogue entre les États membres, offrir une aide technique aux efforts de réforme juridique et veiller au respect des normes mondiales. Les mécanismes de l'Onu tels que le Conseil des droits de l'homme ou la Commission de la condition de la femme pourraient devenir des plates-formes pour plaider en faveur de l'inclusion de l'apartheid de genre dans le droit international.
Appel à l'action
Dans la plupart des cas, les modifications juridiques importantes sont le fruit d'un leadership fort de la part des responsables politiques et d'efforts conjoints déployés à différents niveaux dans le monde entier, comme ce fut le cas pour l'adoption du Statut de Rome après de longues années de négociations. Les militants et leurs sympathisants doivent constamment s'engager auprès des décideurs politiques, des diplomates et des dirigeants d'organisations internationales afin d'obtenir ce soutien politique et diplomatique. Ils doivent également façonner l'opinion publique en lançant des campagnes de sensibilisation et en utilisant les médias comme outil de plaidoyer.
Le paysage géopolitique actuel présente à la fois des défis et des opportunités pour lutter contre l'apartheid de genre à grande échelle. Si les rivalités géopolitiques et les priorités concurrentes peuvent constituer des obstacles, la prise de conscience mondiale des violations des droits des femmes et des filles offre des possibilités sans précédent. Cette prise de conscience constitue un terreau fertile pour faire avancer les réformes juridiques.
La reconnaissance universelle de l'apartheid de genre et l'adoption de mesures urgentes en vue de son abolition sont essentielles pour parvenir à une véritable égalité et faire progresser les droits humains à l'échelle mondiale. Tant que la discrimination systémique et la violence à l'égard des femmes ne seront pas universellement condamnées et combattues, il sera difficile de réaliser des progrès significatifs. Il ne s'agit pas d'un objectif facultatif, mais d'une nécessité urgente, qui est à notre portée.
NILOFAR AYOUBI
Nilofar Ayoubi est une militante des droits humains afghane. Elle a créé le Réseau pour la participation politique des femmes, qui réunit des femmes d'horizons divers pour défendre des droits politiques collectifs. Lorsque les talibans ont repris le pouvoir en août 2021, elle a été transférée d'urgence en Pologne, où elle bénéficie d'un statut de résidente temporaire. Elle est l'un des membres fondateurs de #UnitedAgainstGenderApartheid. Elle est également PDG d'Asia Times.Af, rédactrice en chef d'Akhbar Afghan, et secrétaire régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord du World Liberty Congress, un mouvement démocratique mondial.