Vêtu d'un costume bleu marine et d'une cravate rouge, l'ancien commandant rebelle ougandais de l'Armée de résistance du Seigneur, Thomas Kwoyelo alias Latoni, aujourd'hui âgé de 50 ans, apparaît tendu sur le banc des accusés, entouré de gardiens de prison et d'une surveillante, vêtus d'un uniforme marron. Lors de cette séance de l'après-midi du 13 août, dans la ville de Gulu, au nord de l'Ouganda, Kwoyelo boit de temps en temps à une bouteille d'eau, croise les mains sur sa poitrine et reste impassible pendant que les juges se présentent, ainsi que ses avocats, ceux des victimes et les procureurs, au cours d'une procédure élaborée traduite pour lui de l'anglais en sa langue locale, le luo, par les deux interprètes.
Un membre du corps diplomatique, des ONG et des journalistes assistent en personne au jugement final car le nombre de places est limité, mais le moment est retransmis en direct sur Zoom, YouTube et le site Internet du système judiciaire ougandais.
Présentant l'historique de la procédure d'une affaire qui dure depuis plus de 15 ans, le président Michael Elubu explique qu'elle a impliqué « une combinaison de lois nationales et internationales ». Tout a commencé lorsque Kwoyelo a été capturé en mars 2009 par l'armée ougandaise dans le parc national de la Garamba, à la frontière de la République centrafricaine et du Sud-Soudan. En 2010, après une brève détention par l'armée, Kwoyelo est renvoyé devant la Division des crimes internationaux (ICD) de la Haute Cour ougandaise, la première du genre dans le système judiciaire national issue de l'Accord de paix de Juba entre le gouvernement ougandais et les rebelles de la LRA, en vue d'un procès. Mais Kwoyelo demande l'amnistie en vertu de la loi nationale ougandaise qui accorde le pardon aux rebelles qui ont renoncé à la rébellion armée. Il dépose un recours constitutionnel où il demande pourquoi il est poursuivi alors que des commandants rebelles de haut rang bénéficient d'une amnistie et sont graciés. La Cour constitutionnelle décide finalement de renvoyer l'affaire devant l’ICD. Le 14 mars 2017, Kwoyelo s'est vu présenter les charges initiales et, le 30 août 2018, l'ICD lui dresse 93 charges pour meurtres, enlèvements, viols, pillage, traitements inhumains, destruction d’infrastructures, autres violences et outrage, entre autres. S’ensuivent de nombreux reports et audiences avortées avant que le procureur ne présente finalement 53 témoins, tandis que la défense de Kwoyelo en amène 4, dont l'accusé. Le 18 décembre 2023, le tribunal confirme 78 chefs d'accusation sur 93. Les avocats de la défense soutiennent qu'il n'y a pas lieu de répondre à ces accusations car l'accusé a lui-même été enlevé par les rebelles alors qu'il était mineur, mais cet argument sera également vain.
Pour la condamnation, il faudra encore attendre
Sur le premier chef d'accusation, où Kwoyelo était accusé du meurtre d'Albert Obwoya, alors que les assesseurs - l'équivalent d'un jury - le déclarent coupable, les juges rendent un verdict de non-culpabilité, apportant un soulagement passager sur le visage de Kwoyelo. Deux autres chefs d'accusation sont rejetés, mais après une longue lecture du verdict pour chaque chef d'accusation, le juge Elubu déclare que Kwoyelo est « reconnu coupable de 44 crimes et condamné par la présente ». Parmi les offenses pour lesquelles Kwoyelo est condamné figurent le viol - qu'il a commis entre 1996 et 2005 alors qu'il opérait dans certaines régions de l'Ouganda et du Sud-Soudan et a eu des rapports sexuels forcés et répétés avec une témoin identifiée par le pseudonyme SN -, la torture, l'enlèvement, la destruction de campements de personnes déplacées dans le nord de l'Ouganda, sa région d'origine, le pillage et l'outrage. Tous ces chefs d'accusation reçoivent un verdict de culpabilité de la part des assesseurs et des juges. Ces derniers estiment par ailleurs ne pas pouvoir condamner l’accusé sur 31 « chefs d'accusation alternatifs » car cela reviendrait à une double incrimination.
Tout en saluant le jugement, William Byansi, directeur adjoint du ministère public, annonce qu'il devra présenter ses observations plus tard pour « trouver la peine la plus appropriée » à soumettre. Il demande plus de temps « pour pouvoir présenter un mémoire détaillé à cette honorable cour ».
L'un des avocats de Kwoyelo, Charles Dalton Opwonya, explique à Justice Info qu'il aura également besoin de temps. « Nous attendons le jugement complet promis par la Cour et nous ferons une réponse écrite et détaillée à ce jugement », dit-il. L'avocat principal de Kwoyelo, Caleb Alaka, confirme de son côté que la date du prononcé de la peine n'est pas encore fixée, mais qu'il s'attend à ce que l'accusation présente ses observations écrites vers le 6 octobre. La défense y répondra par la suite.
Satisfaction et désespoir
« Nous sommes heureux que le jugement ait enfin été rendu après de nombreuses années d'attente », déclare à Justice Info Henry Komakech Kilama, l'un des avocats des victimes. « Nous devons cependant consulter les victimes pour savoir ce qu'elles attendent pour la peine maintenant qu'il [Kwoyelo] a été jugé ». « Cela rappelle à tous les auteurs de violations des droits de l'homme qu'ils seront un jour tenus pour responsables, quel que soit le temps que cela prendra », ajoute-t-il, bien que le procès de Kwoyelo soit unique à ce jour.
Moses Rackara, 27 ans, est l'un des fils du condamné. « En tant que famille, nous ne nous attendions pas à ce que justice soit faite pour lui », dit-il à Justice Info à l’issue du verdict. « Depuis son arrestation, les années passées en prison et le retard pris dans la conclusion de l'affaire, nous avons perdu espoir. Nous savions dès le départ qu'il ne serait pas libéré. » Rackara, qui travaille actuellement comme paysan dans le village natal de Kwoyelo, Pabbo, dans le district d'Amuru, lance un appel aux sympathisants pour qu'ils prennent en charge les frères et sœurs et les épouses de son père.
« J'ai parlé à Kwoyelo en prison et il a beaucoup de remords. Il a appris sa leçon, a souffert et est prêt à se réinsérer dans la société, mais cette condamnation nous ramène en arrière en tant que famille et nous laisse dévastés », déclare le frère aîné de Kwoyelo, le pasteur George Abedo, 62 ans.