La disette de la commission vérité au Kasaï-Central

Arrivée au terme de son premier mandat de trois ans, la commission vérité du Kasaï-Central a été prolongée, le 18 juillet. Sous-financée, mal administrée, l’institution provinciale n’a rien accompli pour les victimes et la manifestation de la vérité sur les violences commises. Des voix s’élèvent pour questionner son renouvellement.

Commission vérité au Kasaï (République démocratique du Congo) - Des enfants jouent sur des ruines dans cette région touchée par le conflit Kamuina Nsapu.
Des enfants jouent sur les ruines d'une maison détruite lors du conflit Kamuina Nsapu dans le Kasaï-Central, en 2017, en République démocratique du Congo. Photo : © John Wessels / AFP
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« Le vote à l’unanimité de la proposition d’édit [reconduisant la Commission provinciale vérité, justice et réconciliation, CPVJR] traduit, à n’en point douter, l’appropriation par les députés provinciaux de la justice transitionnelle, entendue comme politique publique visant à gérer le passé douloureux et tumultueux en RDC en général et au Kasaï-Central en particulier », s’est félicitée la Société congolaise pour l’État de droit (SCED), une ONG basée à Kananga, la capitale du Kasaï-Central, au centre de la République démocratique du Congo (RDC), le 19 juillet dernier. Tout en recommandant à la commission vérité de clore « rapidement » sa phase préparatoire pour entrer en action.

Après que son mandat de trois ans a expiré le 15 juillet, la commission a été prolongée par l’assemblée provinciale du Kasaï-Central le 18 juillet. L’édit provincial qui avait créé cette CPVJR, le 15 juillet 2021, lui confiait la mission « d’établir la vérité sur les violences perpétrées durant le conflit Kamuina Nsapu ». Ces affrontements entre la milice fidèle au chef coutumier Kamuina Nsapu et les forces de sécurité, dans la région du Kasaï, ont fait entre 2016 et 2017 plus de 3000 morts et près de 2 millions de déplacés, selon les Nations unies. Les commissaires de la CPVJR n’avaient cependant été investis que le 16 août 2022 par le gouverneur de l’époque, John Kabeya.

Du côté de la Coalition des mouvements citoyens, un regroupement d’organisations de la société civile au Kasaï-Central, on estime également que la prolongation du mandat de la CPVJR est une bonne nouvelle. Cependant, Albert Mbelenge, membre de la coalition représentant l’ONG Lucha (Lutte pour le changement), souligne par téléphone que le travail de la commission reste inachevé. Beaucoup reste à faire, notamment quant à la réconciliation des communautés, souligne-t-il. Albert Kyungu, coordonnateur du Conseil régional des ONG de développement (CRONGD), n’hésite pas non plus à pointer le maigre bilan de la commission. Pour lui, la responsabilité est partagée entre le gouvernement provincial qui n’a pas fourni assez de fonds et la commission qui n’a pas su en mobiliser. « L’exécutif n’a pas disponibilisé les moyens », confie-t-il, sans épargner les commissaires : « Il se pose un problème de management ou de pilotage. Ils ont l’autonomie de gestion. Ils peuvent aussi mobiliser les fonds. Ils ont une part de responsabilité. »

Une commission qui fait du surplace

La commission avait été créée à la suite de consultations nationales sur la justice transitionnelle qui se sont tenues dans quatorze provinces du pays. Au Kasaï-Central, celles-ci ont eu lieu en août 2019, en partenariat avec le Bureau conjoint des Nations-unies aux droits de l’homme. Mais son travail fait l’objet de questionnements à Kananga et sur l’ensemble de la province. Les douze commissaires – ou les « douze apôtres » comme on les surnomme – ne sont pas exempts de critiques. Le président, Monseigneur Augustin Loko Fwamba, et son équipe sont accusés de faire du surplace. « Je ne vois pas à quoi sert cette commission », lance un juriste basé à Kananga qui a requis l’anonymat.

Dans son premier rapport couvrant 2022 et 2023, le seul qu’elle a produit, la commission s’est penchée sur ses activités administratives. Quant aux activités pour lesquelles elle a été créée, telles que la recherche de la vérité, le soutien aux victimes, les réparations, la sensibilisation et la réconciliation, le rapport renseigne : « RAS à ce stade ». Rien à signaler. Il en va de même pour les activités des centres d’écoute censés être installés dans les cinq territoires de la province (Demba, Dibaya, Dimbelenge, Kazumba, Luiza). Là aussi, la commission n’a rien fait.

Moins de 10 % du budget annoncé

Comment l’expliquer ? « L’édit a été promulgué le 15 juillet [2021]. Il a fallu attendre toute une année, parce qu’il n’y avait pas de gouverneur, pour investir les commissaires », explique à Justice Info le rapporteur de la CVPJR, Dominique Kambala. A cela s’ajoute le fait que la commission ne disposait pas d’infrastructure lors de leur investiture, encore moins des « outils stratégiques de son fonctionnement », comme un règlement intérieur, un manuel de procédures, un plan d’action global et une stratégie d’intervention. Kambala avance aussi des difficultés liées au financement. Le gouvernement provincial n’aurait pas décaissé les fonds prévus. Sur le budget annoncé pour trois ans de 216 millions de francs congolais (77 000 dollars), la commission n’a obtenu, précise-t-il, que 20 millions de francs (7000 dollars). Soit moins de 10 %. Selon Kambala, « l’exécutif provincial a manqué à ses engagements ».

« Pour quel travail réalisé devrait-on payer les commissaires ? Faut-il payer la commission pour développer ses propres outils ? », s’interroge le juriste anonyme de Kananga, avant d’asséner : « Mettre plus d’une année juste pour développer ses outils, ça veut tout simplement dire que le travail a été mal planifié. »

Pour ces activités, la commission dit compter sur l’appui de partenaires techniques et financiers externes, notamment l’Ong suisse Trial International et le bureau de l’Onu. Ceux-ci apportent des fonds pour la tenue d’ateliers, de formations, d’activités de sensibilisation. Ils partagent aussi leur expertise en matière de justice transitionnelle. Mais pour le rapporteur de la commission, l’État devrait cesser de dépendre de ces partenaires et s’assumer. « On ne peut pas laisser un secteur aussi important que la justice, un secteur de souveraineté, entre les mains des partenaires techniques et financiers. L’État est en train d’abandonner ses responsabilités », déplore-t-il. Justice Info a tenté en vain de recueillir l’avis du président du parlement du Kasaï-Central.

La faiblesse de l’État

La commission est normalement prise en charge par le budget de la province, mais la commission espère également des fonds du gouvernement central. Pour Kambala, Kinshasa doit « revoir à la hausse la ligne budgétaire allouée à la justice ». Une déclaration du Conseil des droits de l’homme de l’Onu du 9 octobre 2023 demande d’ailleurs au gouvernement congolais d’apporter un appui à la CPVJR.

«Nous déplorons cependant la faiblesse des ressources humaines, financières et matérielles mises à disposition de la CPVJR pour assurer efficacement son mandat. Or, nous restons convaincus que la réussite de la CPVJR rendra encore plus crédible la poursuite des processus de mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle dans les autres provinces. Malgré ces défis importants, les progrès réalisés dans la province du Kasaï-Central et au niveau national confortent l’idée selon laquelle l’approche complémentaire est la bonne », notait l’équipe d’experts de l’Onu en RDC dans leur déclaration.

Alors que le mandat de la CPVJR a été prorogé, la commission affirme vouloir avancer. « Nous espérons être à la croisée des chemins entre la fin de la phase préparatoire, qui est imminente, et le début effectif de la phase opérationnelle », dit Kambala.

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