Dossier spécial « Justice transitionnelle : le grand défi colombien »

Le premier procès contradictoire de justice transitionnelle en Colombie

Dans la petite salle d’audience d’une ville torride du nord-est de la Colombie, un procès hautement symbolique s’est ouvert la semaine dernière. Le colonel Hernán Mejía Gutiérrez, figure emblématique du scandale des « faux positifs », est resté silencieux pendant que d’anciens subordonnés racontaient comment il les a incités à déguiser des personnes non identifiées en combattants prétendument tués par l’armée. Avec cette affaire, la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) inaugure ses procès contradictoires.

Procès du colonel Mejía devant la JEP en Colombie
Le colonel Hernán Mejía Gutiérrez, figure emblématique du scandale des « faux positifs » en Colombie, est accusé d’avoir participé ou d’avoir eu connaissance de 72 exécutions extrajudiciaires sous son commandement entre 2002 et 2003. Photo : © JEP
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Pendant quatre heures durant l’après-midi du 18 septembre et une autre le lendemain matin, le colonel à la retraite Hernán Mejía Gutiérrez restera assis en silence non loin de l’homme qui, il y a vingt ans, était son numéro deux au sein du bataillon d’artillerie n° 2 ‘La Popa’ – chargé de sécuriser une vaste zone d’élevage et d’extraction de charbon flanquée de montagnes dans la région caribéenne de la Colombie, près de la frontière vénézuélienne.

Heber Hernán Gómez Naranjo, lui aussi colonel à la retraite, raconte comment Mejía a fait pression à compter du début de l’année 2002 pour que les soldats et officiers de l’unité militaire qu’il dirigeait présentent les corps d’au moins une douzaine de personnes non identifiées comme de faux morts au combat. « Mon colonel, vous parlez beaucoup d’honneur. Je ne pense pas qu’il soit honorable de donner des ordres à ses subordonnés, puis de leur tourner le dos et de s’en laver ensuite les mains », lui fait-il remarquer, durant le seul moment où il s’est adressé directement à lui.

La scène se déroule dans une petite salle d’audience de la ville caniculaire de Valledupar, où vient de s’ouvrir le premier procès contradictoire mené par la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) – le bras judiciaire du système de justice transitionnelle colombien issu de l’accord de paix de 2016 avec l’ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Mejía est accusé d’avoir participé à 72 exécutions extrajudiciaires entre 2002 et 2003.

Les deux anciens hauts gradés de l’armée colombienne sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, mais ils représentent deux axes opposés du modèle de justice transitionnelle. Alors que Mejía a choisi de ne pas reconnaître son rôle dans le scandale connu sous l’euphémisme de « faux positifs », son accusateur était l’un des 12 militaires du bataillon La Popa qui ont accepté les accusations de la JEP. Après avoir admis son rôle lors d’une audience publique à Valledupar en 2022 et présenté ses excuses aux victimes, Gómez Naranjo devrait de son côté bénéficier d’une sanction plus clémente que celle que recevra son ancien patron s’il est condamné dans ce procès, qui doit se dérouler jusqu’à la fin 2024.

Le colonel Hernán Gómez Naranjo témoigne au procès de Mejía devant la JEP en Colombie.
Après avoir admis sa culpabilité lors d’une audience publique à Valledupar (nord-est de la Colombie) en 2022 et présenté ses excuses aux victimes, le colonel Hernán Gómez Naranjo (au centre) raconte comment son supérieur Mejía (à gauche) demandait de présenter des cadavres non identifiés comme de faux morts au combat. Photo : © JEP

Le premier procès contradictoire de la JEP

Le premier procès contradictoire de la JEP est très différent de ceux que les Colombiens ont vus jusqu’à présent devant le tribunal spécial. Au lieu d’audiences publiques soigneusement chorégraphiées au cours desquelles d’anciens membres de l’armée ou des FARC écoutaient les récits douloureux de dizaines de victimes et admettaient leur participation à des exécutions extrajudiciaires ou à des enlèvements, le procès contre Mejía suit un rythme de staccato plus typique d’un procès pénal ordinaire, rythmé au gré des interrogatoires et des contre-interrogatoires par les réponses fragmentaires et les petits coups de théâtre.

Il ne se déroule pas non plus dans un grand auditorium décoré de photos géantes de victimes et rempli de leurs proches. Dans la salle d’audience anodine du cinquième étage du plus haut bâtiment de Valledupar, dix victimes seulement sont là, qui suivent en silence la procédure judiciaire, certaines portant le visage de leurs disparus imprimé sur des T-shirts. Leurs voix ne s’élèvent que lorsque l’une d’elles vient témoigner à la barre. C’est ainsi qu’Alith Pacheco raconte comment son frère Anuar de Armas a été tué en février 2004 par des paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) et comment son corps a été présenté par l’armée comme celui d’un rebelle de l’Armée de libération nationale (ELN). Des fenêtres, on aperçoit les strates superposées, allant du vert émeraude au violet grisâtre, des contreforts de la plus haute chaîne de montagnes du pays, la Sierra Nevada de Santa Marta.

Il ne s’agit pas non plus d’un procès pénal ordinaire. Il n’a été décidé qu’une semaine avant de l’ouvrir au public, la défense et le bureau du procureur de la JEP ayant demandé qu’il reste à huis clos. Les trois juges ont toutefois décidé que le principe de publicité de la justice transitionnelle prévalait et ont ordonné une diffusion en direct – qui a atteint 19 700 vues – sauf en cas de risques pour la sécurité d’un témoin. On ne savait pas non plus si les avocats des victimes pourraient intervenir, ce que ne permet pas le système de justice pénale tandis que la JEP le favorise. La défense de Mejía et le bureau du procureur s’y étaient opposés, les juges ont décidé de l’autoriser, mais la défense a fait appel.

Mejía, figure emblématique des « faux positifs »

Pendant les trois premiers jours du procès, le colonel Mejía reste immobile, les mains formant un triangle sur la table ou les bras croisés. De temps en temps, il note quelque chose dans son carnet. Le reste du temps, son regard reste fixe, impénétrable, dirigé vers la barre des témoins à sa gauche. Vêtu d’un costume gris à rayures et d’une cravate bleu, il a déclaré d’emblée : « Votre Honneur, comme je l’ai dit et je le répète, pour la vérité et l’histoire que la JEP doit reconstruire pour ce pays, pour le respect des victimes et la dignité des institutions, je n’accepte pas les charges retenues contre moi. Je ne peux pas accepter ce que je n’ai jamais fait. »

Pour la plupart des Colombiens, Mejía est une figure emblématique de l’affaire des « faux positifs ». L’un des officiers les plus décorés de l’armée, titulaire de cinq médailles militaires, Mejía a été relevé de ses fonctions en janvier 2007 par le ministre de la Défense Juan Manuel Santos, sous l’administration d’Álvaro Uribe, dans le cadre de l’une des premières mesures correctives prises avant que le scandale n’éclate au grand jour. C’était également la première fois dans l’histoire qu’un ministre de la Défense reconnaissait publiquement les liens d’un officier supérieur avec les paramilitaires.

Son cas a été transmis au bureau du procureur général à la suite d’une plainte déposée par l’un de ses subordonnés, selon ce qu’a expliqué Santos, concernant d’éventuels « liens avec les paramilitaires, des violations des droits humains, des pertes humaines qui pourraient ne pas être le résultat d’opérations militaires, et des actes de corruption ». Six ans plus tard, il a été condamné par la justice ordinaire à 19 ans de prison pour ses liens avec les paramilitaires. Des années après, la faction politique dirigée par Uribe a commencé à l’utiliser pour s’opposer aux négociations de paix avec les FARC, faisant circuler la théorie selon laquelle il aurait été victime d’un complot ourdi par le président de l’époque, Santos, et son commissaire à la paix, Sergio Jaramillo, ou que les guérilleros disposaient d’un « secrétariat spécial » qui contrôlait secrètement l’État et même l’Église et les grandes entreprises.

Mejía, l’homme qui aurait conçu le plan criminel

Le colonel Mejía est accusé d’avoir « conçu, élaboré et exécuté, par l’intermédiaire d’un appareil de pouvoir organisé de manière illégale, un plan criminel consistant à assassiner des civils et à les présenter comme des combattants, dans le but de donner à la société une fausse impression de sécurité et de consolider son image d’officier d’excellence au sein de l’armée nationale », selon l’acte d’accusation établi par l’unité en charge des enquêtes et des poursuites de la JEP. Il s’agit de l’organe chargé d’accuser les personnes qui, à l’issue des enquêtes menées dans un premier temps par la chambre de reconnaissance du tribunal, refusent d’admettre leur rôle, de clarifier la vérité et d’indemniser les victimes.

Selon le procureur de Valledupar Samuel Serrano, il existe « d’abondantes preuves » que Mejía était au courant et a participé à 72 des 75 exécutions extrajudiciaires attribuées au bataillon La Popa sous son commandement entre janvier 2002 et novembre 2003. Selon le procureur, ces crimes ont été commis selon trois modalités. Dans un premier temps, les militaires se sont associés aux paramilitaires, qui ont ciblé ou tué des personnes présentées comme de faux morts au combat, dans le cadre de ce qu’il décrit comme une alliance « mutuellement bénéfique ». Ils ont ensuite assassiné personnellement des civils. Parallèlement, ils ont exécuté des combattants qui s’étaient rendus ou qui étaient hors de combat afin de gonfler le nombre de leurs victimes.

Appel à la condamnation la plus sévère en matière de justice transitionnelle

« Il importe peu que Mejía ait été présent ou non à l’endroit où les événements se sont déroulés. Chaque membre du réseau de pouvoir organisé et illégal qu’il a conçu, créé et dirigé savaient quelles tâches leur avaient été confiées [et] le cycle de la criminalité a été activé », ajoute le procureur. L’un d’eux était informé par des paramilitaires de l’endroit où ils trouveraient de faux blessés et simuleraient un combat, un autre les emmenait à la morgue de Valledupar et accompagnait les fonctionnaires qui procéderaient à l’autopsie, un autre rédigeait le rapport de patrouille et le faux ordre d’opération légalisant le prétendu combat, et tous s’accordaient sur le récit qu’ils feraient ensuite à la justice ». Selon le procureur Serrano, « le train était en marche : il suffisait de monter dedans pour commettre ces crimes ».

Les victimes du bataillon, a expliqué le procureur, étaient des hommes jeunes et souvent en « position de vulnérabilité ». Sur un total de 129 victimes, 39 étaient des agriculteurs et 30 des travailleurs informels, un tiers n’avait jamais terminé l’école et cinq étaient des enfants. Treize étaient des indigènes Kankuamos ou Wiwas de la Sierra Nevada. « J’aimerais que vous pensiez à ce qui s’est passé dans votre vie au cours des 22 dernières années : beaucoup ont terminé leurs études, ont construit une maison, ont dit au revoir à des êtres chers et en ont accueilli d’autres, ont vu ou vécu dans différents endroits. Tout cela a été refusé à ces 72 personnes, ainsi qu’à leurs parents, frères et sœurs, enfants et épouses ». Affirmant que Mejía « a eu de multiples occasions (...) de reconnaître sa responsabilité » mais qu’il les a « rejetées », il réclame la peine de justice transitionnelle la plus sévère, à savoir 20 ans d’emprisonnement.

« Ce train meurtrier n’a pas été créé par mon client »

De son côté, la défense présente Mejía comme un militaire exemplaire qui a « sauvé Cesar [le département dont la capitale est Valledupar] des fléaux qui le ravageaient » et qui a reçu le commandement du bataillon dans une période trouble, trois mois après l’enlèvement et l’assassinat par les FARC de Consuelo Araújo, la marraine du célèbre festival de musique vallenato de Valledupar, qui était encore la ministre de la Culture du pays six mois avant.

« Ce train meurtrier n’a pas été créé par mon client », lance l’avocat de la défense, Germán Navarrete, reprenant la métaphore du procureur – dans un pays où le transport ferroviaire n’existe pas. La défense ne nie pas que des crimes ont été commis par le bataillon, mais elle cherche à en distancier le colonel Mejía, insistant sur le fait qu’il n’a jamais donné d’ordre illégal. « Il y a eu des soldats qui ont tué et des officiers qui ont encouragé des crimes au sein du bataillon. Il y en a dans la police et partout dans ce pays, en raison du grand pouvoir de corruption du trafic de drogue et de la criminalité. Mais nous ne pouvons pas blâmer les commandants pour tout ce que font certains de leurs subordonnés », argumente-t-il.

500 opérations militaires réussies en deux ans

Selon la défense, le commandement de Mejía a mené 500 opérations militaires réussies en deux ans et poursuivi les soldats qui détournaient des armes au profit des paramilitaires, « en respectant toujours les règles militaires en vigueur à l’époque ». Il avait 2 000 soldats sous ses ordres dans « un bataillon de la taille d’une brigade », et ce contexte impliquerait que sa position ne doit pas être considérée comme preuve suffisante pour le condamner.

« Aujourd’hui, nous le poursuivons pour ce qu’ont fait certains lieutenants, officiers et un colonel », déclare Me Navarrete, faisant référence aux 12 officiers qui, après avoir été inculpés aux côtés de Mejía en juillet 2021, ont reconnu leur responsabilité et attendent toujours de voir prononcée leur peine amoindrie – de 5 à 8 ans dans un cadre non carcéral. Deux ont déjà témoigné contre Mejia et huit autres devraient le faire lors des trois audiences restantes d’ici à la fin de l’année. L’avocat de la défense les décrit comme « une bande de tueurs à gages recrutés par des paramilitaires et des guérilleros qui vont maintenant servir de témoins » et avec lesquels l’accusation « a conclu une alliance commode » qui leur permet de bénéficier d’un traitement pénal favorable. « Il est étrange que [Mejía] ait créé un train de la mort et qu’il n’ait fonctionné qu’à Valledupar ! Ce train était déjà là », a-t-il conclu.

Le commandant vu par ses subordonnés

Parmi le premier groupe de 63 témoins sollicités par l’accusation, trois de ceux qui ont servi sous les ordres de Mejía à Valledupar racontent des crimes dans lesquels ils ont été directement impliqués.

Le colonel, Gómez Naranjo, explique que Mejía lui a demandé de se rendre la nuit avec un groupe de soldats sur une route rurale près de Valledupar, où il avait repéré un feu de joie. En arrivant, il voit une voiture s’enfuir en tirant des coups de feu en l’air, après quoi ils ont trouvé un cadavre en uniforme dans la brousse, qu’ils ont ensuite présenté comme un mort au combat. « Il n’y a pas eu de combat, le mort était déjà là », dit-il, ajoutant qu’il en avait fait part à Mejía, qui lui a dit « de ne pas s’inquiéter, car il s’agissait d’un bandit ». Gómez Naranjo, qui était major à l’époque, a déclaré avoir reçu d’autres instructions orales similaires de Mejía, de ramasser des cadavres sans même tirer un coup de feu et de les enregistrer comme morts au combat. Personne ne m’a forcé, souligne-t-il à plusieurs reprises.

Le lieutenant Nelson Llanos – qui a été détenu pendant huit ans bien qu’il ne soit pas considéré comme responsable principal de ces crimes – raconte ensuite comment, à une autre occasion, il est arrivé à un endroit désigné, à Patillal, où quatre corps ont été trouvés. Gómez Naranjo lui a ordonné de préparer l’ordre d’opération décrivant un « combat » et, après le refus du jeune homme de 21 ans, il l’a envoyé parler à Mejía. « Il y a toujours des choses dans la vie dont on se souvient très bien », déclare-t-il, la main serrant un chapelet en or. Selon son récit, le colonel lui a alors dit : « C’étaient des bandits et ils devaient mourir, d’accord ? » Il a obéi parce que, ajoute-t-il, « quand le commandant du bataillon vous parle en ces termes, vous ne pouvez pas dire un mot ».

Manuel Valentín Padilla, que l’on voyait souvent dans le bataillon habillé en civil mais qui était en fait – à l’insu des autres – un sergent chargé du contre-espionnage, a livré un récit plus sibyllin. Padilla raconte comment, caché derrière son pseudonyme « Hugo » et son déguisement de vendeur de bananes sur le marché, il était devenu messager entre les paramilitaires et Mejía, lui transmettant directement des messages détaillant les endroits où ils trouveraient les corps de nouvelles victimes. C’est pour ce rôle qu’il a été inculpé par la JEP et qu’il a accepté les charges qui pesaient sur lui.

Le lieutenant Nelson Llanos témoigne au procès de Mejía devant la JEP en Colombie.
Selon le lieutenant Nelson Llanos, le colonel Mejía, suite à son refus de rendre compte d’un combat qui n’avait pas eu lieu, lui a expliqué : « C’étaient des bandits, ils devaient mourir, d’accord ? ». Photo : © JEP

« L’image que je me faisais de l’officier honorable s’est effondrée »

Les noms de leurs victimes sont étonnamment absents des témoignages. A la question de savoir s’il n’avait jamais connu leurs noms, le colonel Gómez Naranjo a répondu : « Jamais ».

Leur émotion était plus évidente lorsqu’ils ont raconté le moment où ils ont décidé de rompre avec leur ancien patron. Pour Gómez Naranjo, cela s’est produit lorsque, alors qu’ils étaient tous deux détenus, il a posé des questions sur des soldats innocents qui avaient été inculpés et que Mejía lui aurait dit de ne pas s’inquiéter à leur sujet. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le chef que nous avions défendu pendant si longtemps n’était pas celui que nous pensions. L’image que j’avais de l’officier honorable et proche de ses troupes s’est effondrée », a-t-il déclaré.

Le lieutenant Llanos, qui décrit Mejía comme « la personne que nous voulions tous devenir un jour », précise pour sa part qu’il a changé d’avis lorsque, après avoir été privé de liberté pendant quatre ans, il l’a fait venir pour lui dire qu’« il n’y a rien dans ces affaires [criminelles] ». C’est à ce moment-là que Llanos a décidé, selon son récit, qu’« après avoir lu les dossiers et réalisé ce que nous avions fait, il ne pouvait pas continuer à me manipuler ».

Les politiques qui l’ont défendu se taisent aujourd’hui

Outre l’inculpation, un autre changement important s’est produit au cours des six années d’enquête de la JEP. Malgré son air combatif, Mejía ne semble plus jouir aujourd’hui de l’ascendant et du magnétisme du passé, lorsque les politiques les plus critiques à l’égard des négociations de paix avec les FARC le décrivait comme une « victime de l’infamie » et un « grand héros ».

De nombreux hommes politiques qui l’ont farouchement défendu il y a dix ans sont aujourd’hui silencieux. L’ancien président Uribe, qui a propagé la thèse d’un prétendu complot contre lui, a tweeté pour la dernière fois à son sujet en 2018, l’année où Mejía a flirté avec la candidature à l’élection présidentielle. On ne sait pas encore si Uribe témoignera en faveur de Mejía, comme le demande sa défense.

Le parti d’Uribe, le Centre démocratique, n’a pas non plus parlé de lui depuis 2016. Plusieurs de ses sénateurs les plus en vue, comme Paola Holguín et Paloma Valencia, ont également cessé de le défendre à cette époque. Seule María Fernanda Cabal, actuellement pré-candidate à la présidence et appartenant à l’extrême droite du parti, a continué à le faire, même depuis la salle d’audience.

L'ancien président Uribe partage la citation de Mejía selon laquelle le système judiciaire colombien est de connivence avec les terroristes pour persécuter des soldats comme lui.

« Mon repos viendra quand il dira que mon fils n’était pas un rebelle »

Pour la douzaine de victimes qui ont assisté au procès, se confronter physiquement avec Mejía a été difficile – surtout à des moments comme celui de la première pause déjeuner, lorsque toutes les parties se sont retrouvé au pied de l’ascenseur – mais satisfaisant.

« Je ressens un sentiment d’apaisement parce que la vérité émerge sur ce qu’il n’était pas », confie Carmen Ruidíaz, venue là pour son fils Jaider Valderrama, assassiné le 22 mars 2003 et présenté comme un paramilitaire. Le procès a été également réconfortant pour des victimes, comme Mara Nieto, qui n’y ont pas participé. Son frère José Luis a disparu en 2003 alors qu’il se rendait à la gare routière de Valledupar où il vendait du café et a été retrouvé assassiné cinq ans plus tard. « C’est comme lorsque vous êtes très malade, que vous avez consulté toutes sortes de médecins et que soudain l’un d’eux vous appelle pour vous annoncer que vous avez un cancer mais qu’il est à un stade où l’on peut faire quelque chose. C’est ce que j’ai ressenti », dit-elle.

Armando Pumarejo, dont le fils Carlos Alberto a été tué au sein du bataillon le 22 juin 2002 et présenté dans les médias comme un milicien des FARC, exprime un sentiment similaire. Il a assisté aux trois jours du procès, prenant des notes sur son carnet. Il était accompagné de sa belle-fille Gelka Hinojosa, qui était enceinte de jumeaux d’un mois lorsqu’elle a perdu son mari, et qui a pu profiter de ses vacances pour assister au procès. « Mon repos viendra quand cet homme, après avoir terni la réputation de Carlos Alberto, dira que mon fils n’était pas un rebelle, dit Pumarejo. Ou du moins que la justice transitionnelle le dise ».

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