La multiplication des poursuites pour apologie du terrorisme en France constitue "un véritable abus" et un "usage totalement dévoyé de la loi", dénonce mercredi l'ex juge antiterroriste Marc Trevidic, pourtant favorable dans les années 2010, à une répression plus sévère de cette infraction.
Depuis l'attaque sanglante du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, le nombre de signalements et plaintes pour "apologie du terrorisme" a explosé. Fin avril, le parquet de Paris, qui gère la majorité de ces affaires, comptait 386 saisines en lien avec ce conflit.
A titre de comparaison, pour l'année 2022, le pôle haine en ligne avait été saisi 500 fois, toutes affaires confondues.
"On voit pleuvoir les condamnations, parfois très lourdes, jusqu'à plusieurs années de prison ferme", constate le magistrat, désormais président de cour d'assises à Versailles, à l'ouest de Paris, dans les colonnes du quotidien l'Humanité.
"On est dans un véritable abus, un usage totalement dévoyé de la loi", ajoute-t-il.
Créée en 2006, l'infraction relevait du droit de la presse et donc de la liberté d'expression avant de passer en 2014 dans le droit commun pour être réprimée plus sévèrement. La peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement, sept en cas de publication en ligne.
M. Trevidic reconnaît avoir pourtant plaidé, lorsqu'il était juge d'instruction antiterroriste, auprès de Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur (gauche), pour changer la loi, constatant "l'influence croissante des sites islamistes dans le recrutement des jeunes".
Aujourd'hui, il porte un regard critique sur cette évolution. "Il aurait fallu laisser l'apologie du terrorisme dans la loi sur la presse et édicter un texte de répression spécialement consacré aux sites de propagande jihadiste", estime-t-il.
Aujourd'hui, "tous les tribunaux sont compétents", "tous les juges peuvent apprécier si une parole, un texte, une pancarte est un acte terroriste ou pas", remarque le magistrat. "Or, c'est une notion qu'il faut savoir manier. C'est dangereux de ne pas avoir de spécialiste là-dessus", estime-t-il.
L'apologie de crime de guerre, en revanche, est restée inscrite dans la loi sur la presse. "On peut aujourd'hui clamer que les bombardements sur Gaza sont légitimes sans être poursuivi", ou alors dans le cadre de la loi sur la presse, avec beaucoup de contraintes, avance-t-il. "Tandis qu'un simple tag en soutien à la Palestine vous fait encourir la prison."
"Il faudrait oser faire marche arrière. Tout cela m'a servi de leçon", conclut-il.