Un procès pour génocide et crimes contre l'humanité au préjudice de la minorité religieuse yézidie a été ordonné à Paris contre le jihadiste français Sabri Essi, présumé mort en Syrie, offrant ainsi à ses victimes, quatre femmes et leurs sept enfants, "un espace de justice".
Deux juges d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal de Paris ont ordonné mardi que Sabri Essid, né en 1984 à Toulouse, soit jugé pour génocide, crimes contre l'humanité et complicité de ces crimes commis en Syrie entre août 2014 et courant 2016 au préjudice notamment de quatre femmes yézidies et de leurs sept enfants.
"Les actes matériels que Sabri Essid a commis étaient en cohérence totale avec son adhésion à la politique génocidaire de l'(organisation) Etat islamique qui légitimait l'achat et la revente de femmes et d'enfants yézidis, leur enfermement, leur réduction à un statut servile et les nombreux viols commis à leur encontre", notent les deux magistrates dans leur ordonnance de mise en accusation consultée mercredi par l'AFP.
Le jihadiste français est présumé mort depuis 2018. Aucune preuve officielle de son décès n'ayant été apportée, la justice française reste compétente pour le juger par défaut.
"En l'absence d'enquête devant la Cour pénale internationale, les justices nationales, dont la justice française, sont aujourd'hui le seul espace de justice disponible pour les victimes yézidies qui ont subi l'horreur aux mains de jihadistes de Daesh, dont des ressortissants français", a considéré dans un communiqué Bahzad Fahran, fondateur de l'ONG Kinyat qui dit avoir "recueilli des milliers de témoignages de victimes yézidies rescapées".
Pour Me Clémence Bectarte, avocate des parties civiles, "cette décision marque l'aboutissement d'un travail judiciaire entamé en 2016 par la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme) et Kinyat pour que les crimes commis par les membres de l'État islamique à l'encontre de la population yézidie soient qualifiés de crimes internationaux et non uniquement de terrorisme".
Une enquête préliminaire avait été ouverte en juin 2019 à l'encontre du jihadiste originaire de Toulouse (sud de la France), soupçonné de "viols et sévices" sur des femmes yézidies, des faits qui pouvaient "s'analyser comme des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique constitutives du crime de génocide", avait précisé le Parquet national antiterroriste (Pnat).
Puis, pour la première fois, le pôle crimes contre l'humanité du Pnat, qui enquêtait depuis plusieurs années sur les crimes subis par cette minorité religieuse, avait ouvert en octobre 2019 une information judiciaire pour "génocide et crimes contre l'humanité" contre Sabri Essid.
Jusqu'alors, les jihadistes français faisaient uniquement l'objet de poursuites pour des infractions à caractère terroriste.
- "Droit de propriété" -
Sabri Essid s'est rendu en zone irako-syrienne début 2014, où il a été rejoint par sa femme, leurs trois enfants et le fils de cette dernière, né d'une précédente union.
Il figure dans une vidéo de propagande de l'EI diffusée le 10 mars 2015 dans laquelle il poussait son beau-fils, âgé de 12 ans, à exécuter un otage palestinien d'une balle dans la tête.
Appelé Abou Dojanah al Faransi, il a d'abord été le garde du corps d'un haut cadre de l'EI avant de devenir membre de l'Amni ou Amniyat, la branche de l'EI chargée notamment de la sécurité intérieure et du renseignement.
Les investigations ont révélé qu'il "a acheté plusieurs captives yézidies" avec leurs enfants "à des membres de l'Etat islamique afin d'exercer sur eux des pouvoirs associés au droit de propriété, notamment en vue, s'agissant des femmes, d'en disposer sexuellement", relatent les juges d'instruction.
Sabri Essid a "gravement et intentionnellement privé" les femmes et leurs enfants "de leurs droits fondamentaux" en raison de leur appartenance à la communauté yézidie, estiment les magistrates.
Les Yézidies, privées d'eau, de nourriture, de soins et de liberté comme leurs enfants, ont raconté "les viols répétés" commis avec "violence et brutalité" par Sabri Essid qui les traitait "comme une marchandise sexuelle".
Deux autres personnes, Abdelnasser Benyoucef, émir de l'EI aussi présumé mort, et son ex-compagne Sonia Mejri, revenue en France, doivent également être jugées pour génocide et crimes contre l'humanité au préjudice d'une adolescente yézidie en 2015 en Syrie.
Les Yézidis, une minorité kurdophone adepte d'une religion pré-islamique, présente dans le nord de l'Irak et de la Syrie, ont été victimes de terribles exactions dans les zones contrôlées par les jihadistes de l'EI, telles que des viols, enlèvements, esclavage et traitements inhumains.