« Pour la première fois dans l’histoire de la République centrafricaine, une mesure de réparation ordonnée par une juridiction a été mise en œuvre au bénéfice direct des victimes parties civiles », écrit l’unité d’information de la Cour pénale spéciale (CPS) dans un communiqué publié le 16 septembre, à Bangui. Le 31 août, l’équipe du Service d’aide aux victimes et à la défense (SAVD), unité chargée de l’exécution des réparations prononcées par la CPS, s’est en effet rendue à Paoua, dans l’extrême nord-ouest du pays, pour remettre aux victimes et aux ayants droits la somme symbolique qui leur est due. Charles Mugaruka Mupenda, chef du SAVD, précise qu’au total, « 41 personnes ont perçu les réparations. Ces personnes représentent 32 familles de 9 parties civiles, dont 13 familles de Koundjili et 19 familles de Lémouna. En termes de réparations individuelles, 5 femmes victimes de violences sexuelles, 3 victimes de tentatives de meurtre et une victime de séquestration ont reçu des compensations financières ».
Koundjili et Lémouna sont deux villages situés à 45 et 50 km de Paoua. Ces localités ont été la cible d’attaques coordonnées des hommes armés du mouvement 3R, le 21 mai 2019. Ces attaques ont fait 36 morts dans ces deux villages. Le leader des 3R à l’époque, Abass Sidiki, avait fini par livrer trois de ses lieutenants à la justice : Issa Sallet Adoum alias Bozizé, Ousman Yaouba et Mahamat Tahir. Ils ont été condamnés définitivement après un procès en appel devant la CPS à des peines de prisons allant de 20 à 30 ans.
L’exécution des mesures de réparations est financée par les États-Unis via la Minusca, la mission des Nations-unies en République centrafricaine. Cela représente un montant de 30.000 dollars américains. « Les condamnés étant indigents, il appartenait à la cour de solliciter le financement de ses partenaires », indique Mugaruka. Selon la CPS, l’ensemble des réparations financières accordées, individuelles et collectives, remises le 31 août 2024, s’élève à 18.855.000 de francs CFA (environ 31.000 dollars). En plus de réparations financières, les victimes de violences sexuelles bénéficient d’une prise en charge du Projet Nengo, qui leur offre un appui psychosocial.
Une réparation symbolique mais insuffisante
La mission arrivée à Paoua a discrètement rassemblé les victimes pour la remise des réparations financières en présence des autorités locales et des responsables de la Minusca. Toutes les victimes contactées par Justice Info confirment avoir reçu leur dû. Conformément à l’arrêt de la Chambre d’appel de la CPS, 32 ayants droits, représentant les 32 personnes tuées dans le massacre de Koundjili et Lémouna, ont reçu chacun la somme de 350.000 francs CFA (environ 580 dollars). Deux victimes de viol, mineures au moment des faits, ont reçu chacune un million de francs CFA (environ 1.660 dollars). Les trois autres ont touché individuellement 700.000 francs (1.160 dollars). Trois victimes de tentative de meurtre, venues de Koundjili, ont reçu 600.000 francs chacune (1.000 dollars), tandis qu’un jeune de Lémouna, ligoté pendant l’attaque de son village, a reçu 200.000 CFA.
« En tout cas, les victimes étaient contentes de nous voir arriver à Paoua. Elles ont exprimé leur joie de ce qu’elles ont reçu comme réparation symbolique », a fait savoir Mugaruka.
À Paoua, Simplice Bissi, un des ayants droits, confirme la réception d’une somme de 350.000 francs CFA, versée comme dommages et intérêts après la mort à Koundjili de son frère Florentin Bissi, ancien député-suppléant de Paoua. « Enfin la promesse de la CPS s’est concrétisée. Je remercie la Cour pour ce geste mais mon défunt grand frère a laissé à ma charge 12 orphelins. A elle seule, leur scolarité dépasse les 350.000 francs », dit-il. Bissi suggère que l’argent proposé pour la construction d’un mémorial pour les victimes du massacre du 21 mai soit réorienté vers les victimes et ayants droits, car cette idée de mémorial a été rejetée par les victimes.
Conseil de famille chez les Bissi
Un mois après la mission du SAVD, certaines victimes ont confié à Justice Info la façon dont elles utilisent ou ont utilisé l’argent qui leur a été donné. « J’ai reçu 350.000 francs en présence de tous les autres membres de la famille. On a fait une cérémonie. J’ai appelé la maman de mon défunt frère Florentin. On a dégagé 20.000 francs pour la fête symbolique et on a partagé 30.000 francs avec une cinquantaine de proches parents. Pour que chacun se souvienne toujours du disparu et qu’il prenne soin de ses enfants. Vous savez, c’est la famille africaine. Le reste, 300.000, on l’a donné aux trois premiers garçons de Florentin », explique Simplice Bissi, représentant de l’Observatoire centrafricain des droits de l’homme à Paoua, qui a introduit la plainte auprès de la CPS au sujet du massacre de Koundjili et Lémouna. Il indique qu’il n’a pas été plus tenu compte de la scolarité des enfants : « Cette somme ne peut pas suffire à leur scolarité. Puisqu’ils continuent d’étudier, cela sera toujours à ma charge. Nous ne voulons pas dépenser l’argent sur quelque chose qui ne restera pas comme souvenir. On a payé quelques fournitures scolaires seulement pour cette année qui commence. Mais nous avons recommandé aux trois premiers garçons de plutôt acquérir des parcelles. Ce qui a été fait. »
Koundjili ne semble plus attirer les enfants de feu Florentin. Emery Bissi, deuxième garçon de Florentin, 16 ans et en classe de 4ème, a acheté une parcelle de deux lots à Paoua. Depuis le drame de 2019, il n’a plus envie de rester à Koundjili. Il est hébergé par son oncle paternel, à Paoua. « Si Dieu me garde en vie, quand je serai grand, je construirai une maison sur ce terrain », dit-il. Apollinaire, le fils-aîné, trafique régulièrement entre Bocaranga et Paoua. Il a acheté sa parcelle à Bocaranga, grâce à cette réparation. Et le troisième garçon a préféré s’installer à Ndim, non loin de Koundjili.
Cabris, veaux, taureaux
D’autres victimes investissent leurs réparations dans la scolarité, l’agriculture ou l’élevage. « J’ai payé la scolarité de mes deux enfants pour cette année. J’ai aussi acheté trois cabris et deux veaux pour l’élevage. Et pour relancer mes activités champêtres, j’ai payé cinq sacs d’arachide pour la semence », explique Reine, victime de viol alors qu’elle était mineure, et qui a été dédommagée pour un million de francs CFA. Mais elle devra trouver d’autre moyens pour payer le défrichage de son champ.
Patiente, une autre victime de viol, a quant à elle payé des balles de coton et espère que le gouvernement lancera vite la nouvelle compagne pour le coton afin d’écouler ses produits. Grâce aux 700.000 CFA reçus, elle a payé la scolarité et l’assurance scolaire de ses dix enfants et des huit orphelins laissés par sa sœur.
Un autre investissement dans l’agriculture a été réalisé dans la grande famille Houtia, où on dénombre trois victimes décédées lors du massacre de Koundjili. La succession de Mitterrand Houtia, qui a bénéficié de 350.000 CFA, s’est offert une paire de taureaux et une charrue pour la culture attelée. Elle compte intégrer la coopérative des producteurs de haricots blancs de la sous-préfecture de Paoua qui a produit cette année 230.000 tonnes de haricots.
Des besoins énormes en ligne de mire
De manière générale, la plupart des victimes ont profité de cette réparation financière pour relancer leur commerce, leur champs ou leur cheptel ou répondre à des besoins vitaux. Ils offrent des témoignages de satisfaction, une expression de joie qui leur permet d’oublier pour un temps leur passé meurtri. Satisfaction raisonnable aussi du côté de Me Olivier Manguereka, un des avocats des victimes, même s’il n’a pas été associé au déplacement de Paoua. : « Je suis satisfait en partie », dit-il. Les montants sont certes « infimes et symboliques, mais ce qui est très important à relever, c’est que toutes les victimes ont reçu quelque chose », se réjouit l’avocat.
Le combat n’est pas encore fini pour la CPS qui doit se préparer à d’autres défis pour les réparations. Si les 30.000 dollars octroyés par les États-Unis ont été épuisés par les victimes de Paoua, « la question des réparations ne doit pas être abandonnée à la seule Cour pénale spéciale. C’est une question qui concerne tout le monde : État, ONG, partenaires, société civile », selon Mugaruka. « Dans le procès de Paoua, on a constaté qu’il y avait peu de victimes. Mais il n’est pas sûr que ce sera le cas pour les procès à venir. J’imagine que si on a un millier de victimes, on aura des besoins multipliés par 20 ou par 30 peut-être. Alors d’où viendront ces fonds ? Je crois qu’ils viendront d’un effort collectif. Du côté de la cour, on continue le dialogue avec nos partenaires et avec le gouvernement pour un accroissement de l’appui en réparations. A côté de ça, on reste créatif pour voir d’autres pistes à explorer et tenter de voir comment tenir en ligne de compte les besoins qui seront énormes à l’avenir », conclut le chef du Service d’aide aux victimes et à la défense de la CPS.