France: procès ordonné contre le cimentier Lafarge pour financement du terrorisme en Syrie

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Le groupe Lafarge et huit personnes, dont des anciens responsables, seront jugés fin 2025 en France pour financement du terrorisme : ils sont accusés d'avoir payé des groupes terroristes pour pouvoir maintenir l'activité d'une cimenterie en Syrie jusqu'en 2014 dans le contexte de guerre civile.

Trois juges d'instruction ont ordonné mercredi que Lafarge, désormais filiale du groupe suisse Holcim, et les huit prévenus soient jugés devant le tribunal correctionnel de Paris pour financement d'entreprises terroristes et, pour certains, non-respect de sanctions financières internationales, du 4 novembre au 9 décembre 2025, selon un calendrier prévisionnel.

Les mis en cause sont des membres de la chaîne opérationnelle ou de la chaine de sûreté, des intermédiaires syriens, ainsi que le directeur général de Lafarge SA d'alors, Bruno Lafont.

Eux et le cimentier "ont, dans une logique de recherche de profits pour l'entité économique qu'ils servaient, ou pour certains de profit personnel direct, organisé, validé, facilité ou mis en oeuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie" à Jalabiya (Syrie), selon l'ordonnance de renvoi consultée par l'AFP.

Les avocats en défense contactés par l'AFP n'ont pas souhaité réagir ou n'ont pas répondu dans l'immédiat.

Les juges d'instruction ont en revanche ordonné un non-lieu pour l'ancien directeur de la sûreté Jean-Claude Veillard, mis en examen dans cette affaire depuis fin 2017.

Le groupe est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), 5 millions d'euros à des groupes jihadistes, dont l'organisation Etat islamique (EI), et à des intermédiaires afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, alors même que le pays s'enfonçait dans la guerre.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en juin 2017 après deux plaintes, l'une du ministère de l'Economie en septembre 2016 sur le non-respect de sanctions financières internationales, et l'autre deux mois plus tard déposée par les associations Sherpa, Centre européen pour les droits constitutionnels (ECCHR) ainsi que onze anciens salariés de LCS.

- "Contreparties" -

Entre 2013 et 2014, "la société conservait son autonomie décisionnelle, et aurait pu à tout moment mettre fin à l'exploitation de l'usine, notamment au moment où ses dirigeants avaient pris connaissance des exigences financières des entités terroristes", écrivent les juges d'instruction français.

"En acceptant de payer ces entités, la société évaluait les contreparties qu'elle pourrait en retirer, telles que le déblocage des routes, la libre circulation des camions et des salariés de l'usine grâce à la délivrance de laissez-passer", ajoutent les magistrats.

Les flux financiers incriminés concernent "la rémunération d'intermédiaires permettant l'approvisionnement de l'usine en matières premières (pétrole, pouzzolane, calcaire et sable) par l'organisation Etat islamique ou tout autre groupe terroriste présent en zone irako-syrienne" et "la circulation des employés et des marchandises sur les territoires occupés par lesdites organisations terroristes", selon l'ordonnance de 265 pages.

Les magistrats instructeurs ont écarté toute incitation des autorités françaises auprès du cimentier à se maintenir en Syrie dans le contexte de la guerre civile, comme l'avait fait le parquet national antiterroriste (Pnat) dans ses réquisitions en février.

L'existence de communications "entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets français ne démontre absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie", estiment les trois juges d'instruction.

Par ailleurs, soulignent-ils, "absolument aucun des mis en examen n'est suspecté d'avoir eu la moindre sympathie pour les causes défendues par ces organisations (terroristes) ou spécifiquement souhaité soutenir leurs objectifs, et plusieurs d'entre eux ont laissé des traces écrites de leur hostilité personnelle à leur encontre".

En juin 2023, les juges d'instruction ont disjoint et clôturé la partie financement du terrorisme pour continuer l'enquête sur l'autre volet, portant sur des soupçons de complicité de crimes contre l'humanité de la société.

La Cour de cassation, plus haute juridiction de l'ordre judiciaire du pays, a définitivement validé en janvier cette rarissime mise en examen, rendant possible un autre procès, cette fois devant les assises.

Elle a en revanche annulé les poursuites pour mise en danger des salariés de la cimenterie.