Au Pakistan, le Parlement adopte une réforme judiciaire controversée

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Le Parlement pakistanais a adopté lundi une réforme constitutionnelle élargissant ses pouvoirs sur la Cour suprême, un vote largement boycotté par l'opposition qui a dénoncé un moyen "d'étouffer" la justice.

Cette réforme, que le gouvernement tentait de faire passer depuis plusieurs semaines, a été votée quelques jours avant que le chef actuel de la Cour suprême, le juge Qazi Faez Isa, ne prenne sa retraite.

Avant la révision, le juge Mansoor Ali Shah aurait dû prendre la tête de la Cour suprême car il est le plus âgé des juges y siégeant. Ce magistrat a systématiquement émis des verdicts jugés favorables à l'ancien Premier ministre aujourd'hui emprisonné, l'ancien international de cricket de 72 ans, Imran Khan.

Le chef de la Cour suprême sera désormais désigné par une commission parlementaire pour un mandat de trois ans. Le sortant était jusqu'à présent automatiquement remplacé par le juge le plus âgé de la Cour.

"L'objectif de ces amendements est de bloquer les décisions de justice qui entravent (le fonctionnement) du Parlement", a expliqué samedi le ministre de la Défense Asif Khawaja. "Nous ne ferons pas de compromis sur la suprématie du Parlement", a-t-il souligné.

- "Face sombre" -

De son côté, le Tehreek-e-Insaf (TPI), le parti d'opposition de M. Khan, a boycotté le vote. Omar Ayoub Khan, son chef, a dénoncé des amendements "ayant pour effet d'étouffer un système judiciaire libre".

"Ils ne représentent pas le peuple pakistanais", a-t-il déclaré en séance. "Un gouvernement constitué par la fraude ne peut pas amender la Constitution", a-t-il martelé.

Le PTI arrivé en tête aux législatives de février, entachées d'allégations de fraude, ne cesse de répéter qu'il aurait de fait dû former le cabinet, actuellement tenu par une coalition emmenée par Shehbaz Sharif.

Les tensions se sont récemment accrues entre le gouvernement et les institutions judiciaires.

En juillet, la Cour suprême avait affirmé que la commission électorale avait eu tort de forcer les candidats du PTI à concourir comme indépendants aux législatives.

Elle avait également accordé au parti de M. Khan une vingtaine de sièges au Parlement non soumis au suffrage et réservés aux femmes et aux minorités religieuses.

Bilal Gilani, qui dirige le principal institut de sondage du pays, dit à l'AFP voir dans ces amendements des "gains" --notamment un rééquilibrage empêchant la partialité des juges.

"La réforme a une autre face, sombre: elle crée un système judiciaire plus réceptive aux préoccupations du pouvoir", ajoute-t-il.

Le journal de référence en anglais, Dawn, anticipe un nouveau bras de fer.

"Au vu des anciens différends (...) ces changements pourraient déclencher une nouvelle confrontation entre le clan de la justice et le gouvernement", affirme son éditorial.

Un nouveau Conseil constitutionnel sera également formé, selon le nouvel amendement adopté à l'aube.

- Courte majorité -

Le parti du Premier ministre Shehbaz Sharif, le Pakistan Muslim League-Nawaz (PML-N), est parvenu à rassembler la majorité de deux-tiers nécessaire pour l'adoption de ce texte grâce au soutien de son rival historique, le Parti du peuple pakistanais (PPP).

Il a aussi eu les votes d'une poignée de députés affiliés au PTI après la décision quelques semaines plus tôt de la justice d'autoriser les députés à passer outre les consignes de vote de leur groupe pour certains textes majeurs.

De ce fait, la coalition gouvernementale qui devait obtenir 224 votes en a obtenu tout juste 225, selon la retransmission de la séance sur la télévision d'Etat.

M. Sharif a salué "un jour historique qui affirme la suprématie du Parlement".

Depuis la partition du Pakistan et de l'Inde en 1947, Islamabad a voté 22 amendements à sa Constitution.

M. Khan a vu ses affaires judiciaires, souvent liées à des allégations de corruption, passer devant différents tribunaux, dont l'un a ouvertement fait état d'intimidations de la part des services de renseignement pakistanais.

En juillet, un panel d'experts de l'ONU avait qualifié sa détention d'"arbitraire", appelant "immédiatement" à sa libération.

Les partisans d'Imran Khan s'étaient massivement mobilisés lors de son arrestation, il y a plus d'un an, et continuent à manifester régulièrement.

Récemment, les autorités ont imposé de nouvelles restrictions aux rassemblements à Islamabad. Dix députés du PTI avaient été arrêtés et présentés à un juge anti-terroriste quelques jours après l'adoption de cette loi.

Arrivé au pouvoir en 2018, M. Khan a été renversé par une motion de censure en 2022 après avoir perdu le soutien de la toute puissante armée, selon les experts.