Que la récente visite du roi Charles en Australie – sa première en tant que souverain du pays – ait suscité des protestations n'a surpris que très peu de monde.
La presse britannique de droite s'attendait à ce que Charles essuie une sorte de rebuffade de la part des républicains et des « gauchistes woke » australiens. Le palais avait préparé le terrain pour la visite en envoyant une lettre au groupe indépendantiste non partisan Australian Republican Movement (Mouvement républicain australien) où il réaffirmait sa position de longue date, selon laquelle, comme pour tous les autres pays du Commonwealth, la question de savoir si le pays devenait une république était « un sujet sur lequel il revenait au public australien de décider ».
Mais le message envoyé par la plus éminente des contestataires était peut-être moins attendu. Le 21 octobre, à la fin de son discours prononcé au Parlement de Canberra, le roi a été chahuté par Lidia Thorpe, une sénatrice indépendante d'origine aborigène (Djab Wurrung, Gunnai et Gunditjmara).
« Vous avez commis un génocide contre notre peuple. Rendez-nous nos terres. Rendez-nous ce que vous nous avez volé – nos os, nos crânes, nos bébés, notre peuple », a-t-elle déclaré.
Plus tôt dans la journée, Mme Thorpe avait publié une déclaration dans laquelle elle exposait sa position. Elle y affirmait : « En tant que Peuples premiers, nous n'avons jamais cédé notre souveraineté sur cette terre. La Couronne a envahi ce pays, n'a pas cherché à conclure de traité avec les Peuples premiers et a commis un génocide à l'encontre de notre peuple. Le roi Charles n'est pas le souverain légitime de ces terres. Toute évolution vers une république ne doit pas perpétuer cette injustice », poursuivait-elle. « Un traité doit jouer un rôle central dans la création d'une nation indépendante. Il ne doit pas y avoir de république sans traité. »
Traités historiques en Nouvelle-Zélande et au Canada
Cela fait des décennies que la reconnaissance des droits des peuples aborigènes par le biais d'un traité officiel est une revendication des militants australiens des droits des autochtones. En effet, l'Australie est un cas unique parmi les colonies de peuplement britanniques, la Couronne n'ayant pas conclu de traité avec les peuples autochtones au cours du processus d'occupation impériale. En Nouvelle-Zélande et au Canada, ces traités continuent d'être invoqués comme fondement historique des droits des autochtones.
Le traité de Waitangi de 1840 entre les chefs Maori et la Couronne, ainsi que les droits et principes qui en découlent, sont certainement controversés sur le plan politique en Nouvelle-Zélande. Pourtant, le traité est encore largement considéré comme le document fondateur du pays et comme une base symbolique essentielle pour l'inclusion et la réconciliation.
Au Canada, les traités signés par la Couronne avec les peuples des Premières nations sont explicitement mentionnés dans la constitution de 1982 du pays et sont cités par le gouvernement canadien comme « un cadre pour vivre ensemble et partager les terres que les peuples indigènes occupaient traditionnellement ».
Cela ne devrait pas trop surprendre que la question de l'absence de traité similaire en Australie ait été soulevée au cours de la visite du roi. Les itinéraires plutôt ennuyeux des visites royales offrent aux militants une occasion parfaite de se faire entendre par des journalistes désespérés de trouver quelque chose d'intéressant à écrire. Historiquement, les manifestants aborigènes ont l'habitude d'utiliser ainsi ces visites.
En 1972, le peuple Larrakia, propriétaires ancestraux de la région de Darwin dans le Territoire du Nord, a profité de la visite de la princesse Margaret pour attirer l'attention sur une pétition qui appelait la reine Élisabeth II à les aider dans leur revendication sur le droit foncier et la représentation politique.
Le palais et les gouvernements des pays du Commonwealth sont parfaitement conscients de la sensibilité de ces lieux et organisent les visites royales en conséquence. Lors de sa visite au Canada en 2022, par exemple, alors qu'il était encore prince de Galles, Charles a tenu à rencontrer les rescapés des pensionnats tristement célèbres du pays, où des milliers d'enfants autochtones ont subi des sévices.
L'ironie réside dans le fait que les traités conclus par les autochtones avec la Couronne ont compliqué la question républicaine, obligeant les partisans d'une république en Nouvelle-Zélande et au Canada à promettre que les droits et obligations prévus par ces traités ne seraient pas perdus en cas d'abolition de la monarchie.
La question des réparations
Après sa visite en Australie, Charles s'est envolé pour Samoa afin d'assister au sommet des chefs de gouvernement du Commonwealth. Là encore, la presse britannique a pressenti des soucis et prédit qu'en tant que chef du Commonwealth, Charles pourrait être pris dans une querelle entre le gouvernement britannique et les nations des Caraïbes au sujet de leur demande de réparations pour l'esclavage.
Le Royaume-Uni n'est pas le seul gouvernement du Commonwealth à être confronté à des problèmes liés à l'héritage colonial. Mais il est impossible de les éviter.
La Grande-Bretagne a une monarchie imprégnée d'histoire impériale, avec un roi qui est indépendamment souverain de 14 autres royaumes. Son gouvernement continue de professer sa foi dans la valeur du Commonwealth, alors que ses membres ont peu en commun, si ce n'est que la plupart d'entre eux ont été colonisés par la Grande-Bretagne.
Un récent rapport du groupe de réflexion britannique Policy Exchange, qui a imaginé un rôle plus important du Commonwealth dans la politique diplomatique, militaire et commerciale britannique, semblait ignorer allègrement les tensions au sein de l'organisation du Commonwealth et les obstacles à une action collective.
Dans le même ordre d'idées, le premier ministre britannique Keir Starmer a déclaré vouloir « aller de l'avant » et se concentrer sur des questions telles que le changement climatique et soutenir la prospérité, plutôt que sur les réparations.
Mais le Commonwealth n'est tout simplement pas un cadre logique pour discuter de ces questions. En revanche, il est particulièrement qualifié pour débattre de l'impact du colonialisme et de la question de la justice réparatrice. Et même si la Grande-Bretagne ne souhaite pas avoir cette conversation, d'autres pays du Commonwealth le souhaitent certainement.
Cet article, légèrement modifié et traduit par Justice Info, est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
PHILIP MURPHY
Philip Murphy est directeur du département History & Policy à l'Institut de recherche historique et professeur d'histoire britannique et du Commonwealth à la School of Advanced Study de l'université de Londres. Ses recherches portent sur l'histoire du Royaume-Uni et du Commonwealth au XXe siècle, notamment sur la décolonisation britannique d'après-guerre, en particulier en Afrique, et sur la politique africaine d'après-guerre.