"La présomption d'innocence est un principe supérieur à la liberté d'expression car elle concourt à la liberté de la défense. La liberté d'expression et d'information autorisent à faire état d'une mise en cause, d'une mise en examen ou de poursuites, à condition de ne pas présenter la personne comme coupable avant que les juges ne se soient prononcés dans une décision irrévocable sur cette culpabilité", a estimé mardi le tribunal de grande instance de Bordeaux, saisi d'une plainte par le docteur Sosthène Munyemana.
Le Rwandais s'estimait victime d'une "campagne de calomnies" et d'un "véritable harcèlement de la part de certaines associations" qui avaient manifesté, le 30 janvier 2010 devant son lieu de travail avec des slogans accusatoires. "Pas d'impunité pour les génocidaires", exigeait une des pancartes brandies par les manifestants.
"Pour les mêmes motifs que ceux qui ont conduit le tribunal a considérer que la pancarte 'pas d'asile pour les génocidaires' constituait une atteinte à la présomption d'innocence, les termes 'pas d'impunité pour les génocidaires' relèvent de la même intention de désigner un coupable avant toute décision judiciaire", précise dans sa décision le président du tribunal de Bordeaux, Ollivier Joulin.
Celui-ci rappelle que M. Munyemana s'est vu refuser le droit d'asile en France "au motif qu'il existe au vu de l'ensemble des éléments du dossier des raisons sérieuses de penser qu'il s'est rendu coupable d'un crime contre l'humanité" ; qu'il est cité dans l'ouvrage "Aucun témoin ne doit survivre" publié par la FIDH et Human Rights Watch et dans celui d'André Guichaoua "Rwanda 1994. Les politiques du génocide à Butare" ; et qu'il a été condamné à la perpétuité le 5 novembre 2008 par le tribunal gacaca de Tumba au Rwanda.
Cependant, indique le jugement, aucune de ces mises en causes ne peuvent être considérées comme "une condamnation définitive", la peine infligée par le tribunal gacaca ayant notamment été prononcée en l'absence de l'accusé, et les voies de recours éventuelles n'étant pas connues.
"Les publications au sujet des faits, exceptionnels par leur horreur, qui se sont déroulés au Rwanda, restent soumises au principe de la présomption d'innocence alors même que les exigences de vérité et celles des historiens justifieraient que la justice puisse enfin se prononcer sur l'imputabilité de ces faits", conclut le tribunal, qui condamne l'association Cauri à publier à ses frais cette décision dans le journal local Sud-Ouest.
Le Collectif girondin a déposé une plainte en France contre Munyemana le 18 octobre 1995, à laquelle se sont joints par la suite la FIDH, l'association Survie et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). 16 ans après, il comparaît comme témoin assisté dans l'information judiciaire ouverte à Paris, pour laquelle il n'a pas été mis en examen, rappelle son avocate Me Florence Bourg.
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