La 29e Conférence des parties (COP29) s’ouvre le 11 novembre 2024 à Bakou en Azerbaïdjan, sur le thème « Investir dans une planète vivable pour tous ». « La COP29 sera principalement axée sur le financement », précisent les organisateurs, « car des milliers de milliards de dollars sont nécessaires pour que les pays (…) protègent les vies et les moyens de subsistance contre l’aggravation des effets des changements climatiques ». La COP29 sur le climat « sera également un moment clé durant lequel les pays présenteront leurs plans d’action nationaux actualisés sur le climat ». Afin de respecter le cadre de l’Accord de Paris signé lors de la COP21 en 2015, ces trajectoires de réduction d’émissions de gaz à effet de serre doivent permettre de « limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
Multiplication des condamnations d’États
Dans quelle mesure les États sont-ils contraints par le droit ? Depuis le premier recours victorieux de l’ONG néerlandaise Urgenda contre l’inaction climatique des Pays-Bas en 2015, les décisions de tribunaux nationaux se sont multipliées pour forcer les États à accélérer la baisse de leurs émissions de gaz à effet de serre, principalement dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
En Europe, on peut recenser les jugements suivants, qui se sont conclus par une sanction des États concernés : Friends of the Irish Environment vs Irlande (Cour suprême, 2020), Notre affaire à tous vs France (première instance, 2021), Neubauer vs Allemagne (première instance, 2021), VZW Klimatzaak vs Belgique (cour d’appel, 2023)… Aux États-Unis, où les recours climat se comptent par milliers, quelques rares victoires juridiques sont enregistrées, à l’échelle des États, notamment celle de jeunes plaignants ayant obtenu la révision à la baisse des projets d’extraction d’énergies fossiles dans le Montana (Held vs Montana, 2023).
Tout récemment, la Cour suprême de Corée du Sud, saisie par une soixantaine de plaignants mineurs appuyés par leurs parents, a enjoint l’État à modifier la loi en créant des objectifs annuels de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (Do-Hyun Kim vs Corée du Sud, août 2024). Des jugements similaires ont aussi été rendus dans des pays du ‘Sud’ : Leghari vs Pakistan (2015), DeJusticia vs Colombie (2018).
« Près de 250.000 décès supplémentaires par an »
À chaque fois, les juges expriment deux arguments principaux : les droits fondamentaux des plaignants, garantis par les constitutions nationales ou par des chartes continentales de droits humains, sont mis en danger par les conséquences du changement climatique, notamment leur droit à la vie et celui de vivre dans un environnement sain ; les États sont par ailleurs engagés dans des accords internationaux qu’ils sont tenus de respecter.
Il y a un an, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappelait que le changement climatique se traduit chaque année par des dizaines de milliers de morts, avec des « estimations prudentes » se montant entre 2030 et 2050 à « près de 250.000 décès supplémentaires par an ». « Le coût des dommages directs pour la santé se situe entre 2 et 4 milliards de dollars US par an d’ici 2030 », selon l’OMS. Cela souligne le lien effectif entre changements climatiques et remise en cause du droit humain à la vie, et fait écho à la question du financement de la nécessaire adaptation aux changements climatiques posée par la COP29 – notamment dans les pays du Sud les plus pauvres et les plus impactés, alors que les pays du Nord restent les plus responsables du fait de leurs émissions historiques de gaz à effet de serre. Ce déséquilibre des responsabilités reste au cœur des négociations.
Les juridictions internationales au chevet du climat
Lorsque les plaignants des recours climat sont déboutés à l’échelle nationale, ils peuvent se tourner vers des juridictions supranationales. C’est ce qu’a fait, avec succès, l’association des Aînées pour le climat suisse avec un jugement historique (KlimaSeniorinnen vs Suisse, 2024). En avril 2024, elle a obtenu devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ce que la justice suisse lui a refusé par trois fois entre 2017 et 2020 : la reconnaissance que les objectifs nationaux de réduction des émissions devraient être quantifiés de façon plus ambitieuse et plus précise, incluant des « limites nationales » et un « budget carbone ».
Pour la première fois, la CEDH condamne un État, la Suisse, pour inaction climatique. Et cet arrêt est juridiquement contraignant : il fait l’objet d’un suivi par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, lequel peut exiger de la Suisse une application rigoureuse, avant de classer le dossier. Surtout, au-delà de la seule Suisse, il devrait faire jurisprudence pour les 46 États membres du Conseil de l’Europe, soit près du quart des participants à la COP29.
D’autres juridictions internationales s’intéressent aux changements climatiques. Le 21 mai dernier, saisi par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (situés essentiellement dans l’océan Pacifique et la mer des Caraïbes), le Tribunal international sur le droit de la mer a rendu un avis reconnaissant les émissions de gaz à effet de serre comme une pollution massive des milieux marins. Selon lui, les États ont obligation de réduire leurs émissions afin de maîtriser leur impact sur ces milieux. Il souligne l’obligation d’assistance technique et financière des États les plus responsables des changements climatiques envers les États en développement, en vue de protéger et restaurer les écosystèmes marins.
L’avis du tribunal de la mer, qui demeure consultatif, concerne les 170 États parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, soit la très grande majorité des États parties aux Nations unies, à l’exception notable des États-Unis, première puissance maritime mondiale. D’autres juridictions internationales statuent sur des recours climatiques : notamment la Cour internationale de justice, saisie en mars 2023 par l’Assemblée générale de l’Onu sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques ; et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, saisie en janvier 2023 par le Chili et la Colombie pour un avis consultatif concernant l’urgence climatique et les droits humains.
Impact et effet d’entraînement sur la COP
Ces recours et décisions juridiques peuvent-ils avoir un impact sur les négociations qui débutent à la COP29 ? « L’arrêt de la CEDH dans l’affaire des Aînées pour le climat suisse est une décision politique », estime un diplomate européen qui suit les décisions de l’institution strasbourgeoise. « Parce que les politiques sont tenus par la compétition économique internationale, ils ne peuvent pas prendre les décisions radicales qui s’imposeraient pour lutter efficacement contre les changements climatiques : ces décisions auraient des conséquences trop impopulaires. »
« Les juges assistent donc les politiques dans cette lutte devenue impérative, et ceux de la CEDH l’ont fait de façon astucieuse », poursuit-il. « En condamnant la Suisse, un relativement bon élève, aussi bien en matière climatique qu’en matière de respect du droit, ils savaient que leur décision serait respectée par cet État, avec un effet d’entraînement sur les 46 États membres du Conseil de l’Europe ».
« Cet arrêt de la CEDH est intéressant parce qu’il est contraignant, à l’inverse des avis consultatifs des autres juridictions internationales actuellement saisies. Ces dernières ont toutefois une importance : par leurs avis, elles informent les justices nationales qui ont à statuer sur les obligations climatiques des États en matière de droits humains », renchérit Sarah Mead, co-directrice du Climate Litigation Network, principal réseau d’ONG engagées dans les recours climat. « Si les États européens veulent mettre en œuvre l’arrêt de la CEDH dans l’affaire des Aînées pour le climat suisse, ils ont une bonne occasion de le faire en présentant des plans d’action nationaux ambitieux et chiffrés à la COP29. »
La conférence annuelle de l’Onu sur le climat qui s’achèvera le 22 novembre doit se conclure par un nouvel objectif d’aide financière aux pays en développement, qui remplacera celui de 100 milliards par an, fixé en 2009 et atteint en 2022... Alors que cette question du financement Nord-Sud avait empêché les négociateurs de la COP16 sur la biodiversité de parvenir à un accord en novembre, ceux de la COP29 devront compter avec une nouvelle donne : l’élection de Donald Trump, un climatosceptique de longue date, à la présidence des États-Unis, deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine.