Avec "Opération Sabre", la Serbie scotchée devant sa TV, et son passé

2 min 55Temps de lecture approximatif

Le 2 novembre plus d'un million de personnes à travers la Serbie étaient devant leur écran pour voir s'effondrer, abattu par un tir de sniper, le Premier ministre Zoran Djindjic. Épilogue du premier épisode d'"Opération Sabre", qui a tenu le pays en haleine jusqu'à dimanche.

Le 12 mars 2003, Zvezdan Jovanovic, membre de l'unité pour les opérations spéciales (JSO) - véritable garde prétorienne de Slobodan Milosevic - abat le Premier ministre en plein coeur de Belgrade. Zoran Djindjinc, le réformiste qui a remis deux ans plus tôt Milosevic à la justice internationale, s'effondre sur le coup. Il est déclaré mort quelques heures plus tard, à l'hôpital.

Lancée dans les heures suivant sa mort, l'Opération Sabre qui donne son nom à la série, débouchera sur l'arrestation de 11.000 personnes - mafieux, criminels, hommes politiques, policiers, juges, journalistes, procureurs...

Plusieurs hommes seront condamnées pour l'assassinat, dont Jovanovic et Milorad Ulemek dit "Legija", ancien commandant des JSO.

"Je peux dire sans mentir que cela a été l'un des rôles les plus difficiles de ma carrière", explique à l'AFP Dragan Micanovic, qui joue Djindjic dans la série.

"Ce n'était pas il y a si longtemps", ajoute cet acteur extrêmement connu en Serbie, "il n'est pas simple de jouer quelqu'un qui, de son vivant et après son assassinat, n'a jamais laissé personne indifférent. Nous avons travaillé d'arrache-pied. Je n'ai souvenir d'aucun tournage avec autant de répétitions".

Résultat : la série et les interprètes sont saisissants de réalisme - au point que les vidéos d'époques enserrées dans la réalisation sont difficiles à distinguer.

- 'Décadence morale' -

"Je me souviens parfaitement de cette période", ajoute l'acteur principal d'Opération Sabre qui, comme le reste du casting, a été primé au festival Cannes Séries au printemps.

"Le 12 mars [2003] je rendais visite à ma mère quand une voisine est arrivé en criant +Ils ont tué le Premier ministre !+. Le lendemain, je suis rentré à Belgrade, et je me rappelle encore de l'incroyable silence d'une ville plongée dans l'inquiétude. Vous pouviez sentir la peur partout. La peur suscitée par ce qui venait de nous arriver, et la peur d'un avenir encore plus incertain. Pour moi, c'est comme s'ils avaient tiré sur l'avenir de la Serbie".

En huit épisodes nerveux et denses, la série diffusée par RTS et HBO Max à l'international plonge le téléspectateur tout entier dans cette ambiance pesante, lourde et incertaine. Du premier plan, images d'archives de la manifestation du 5 octobre 2000 qui fit tomber Milosevic, au dernier, images d'archives, encore, de Zoran Djindjic appelant la Serbie à affronter son histoire.

Pour ressusciter l'époque, les créateurs de la série se sont plongés dans les archives, ont relu les rapports d'enquêtes, les reportages, sans s'épargner aucun détail.

"On a plongé dans un monde de décadence morale totale, d'individus prêts à commettre les pires des crimes. Lire leurs témoignages, souvent dénués de la moindre empathie, a été profondément dérangeant. Nous avons aussi découvert qu'une grande partie de la société ne connaissait qu'une version de l'histoire", explique Goran Stankovic, l'un des auteurs.

"On voulait montrer une version des évènements fondés sur des faits. Mais aussi offrir une métaphore de la société dans laquelle nous vivons", ajoute-t-il.

Pas encore né en 2003, Vuk Randjic, 21 ans, a dévoré tous les épisodes. "Cela décrit un moment dans l'histoire, surtout pour nous qui n'avons aucune idée de la vie à l'époque". De Djindjic, il retiendra grâce a la série l'image d'un "homme qui essayait d'arranger les choses, mais qui, à cause de tout un système, n'a pas pu mettre en oeuvre sa vision".

Un portrait relativement flatteur d'un Premier ministre qui, élu sur la promesse de mettre fin à une décennie de guerre, de violence, de corruption et de mise au ban de la communauté internationale, a rapidement dégringolé dans les sondages d'opinion.

Il était à la fois conspué par ceux qui l'accusaient d'avoir livré Milosevic au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, et par ceux qui lui reprochaient de ne pas nettoyer assez vite un appareil d'Etat gangréné par les groupes mafieux.

Biljana Cubrilo, 70 ans, n'a pourtant pas pu se résoudre regarder. "C'était trop dur pour moi... Je ne peux pas me résoudre à revivre ces moments", explique la retraitée.

Quant à Djindjic, son portait en plein coeur de Belgrade est régulièrement vandalisé - aspergé de rouge par ses contempteurs. Puis nettoyé par ses partisans.