Un officier russe jugé pour meurtre à Boucha

Le 20 novembre 2024, s’est ouvert devant le tribunal d’Irpin le procès d’un jeune officier russe dont l’unité a ouvert le feu et tué un agent de sécurité d’un magasin de proximité à Boucha, dans la région de Kyiv, capitale de l’Ukraine, en février 2022. Un supérieur leur avait ordonné de tirer dans la rue sur toutes les personnes habillées en noir. L’accusé risque de 15 ans de prison à la réclusion à perpétuité.

Un officier russe jugé pour meurtre à Boucha
Le procès de Nikolai Kartashov, 22 ans, artilleur russe accusé de crime de guerre commis dans la ville de Boucha (Ukraine), s'est ouvert le 20 novembre dernier.
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Le procureur Mykhailo Nechatylyuk fait la lecture de l’acte d’accusation, alléguant de violations des lois et coutumes de la guerre, combinée au meurtre prémédité d’un civil. Le 20 novembre 2024, le tribunal municipal d’Irpin, commune située au nord-ouest de Kyiv, la capitale de l’Ukraine, a commencé à juger un prisonnier de guerre russe, l’officier Nikolai Kartashov, capturé par les forces armées ukrainiennes un an après le crime présumé

Kartashov est né en 2002 dans le village de Gukovo, dans l’oblast de Rostov, dans l’ouest de la Russie. Lors de l’invasion de la région de Kyiv, il était artilleur principal dans l’armée russe. Entre le 27 février 2022 et le 30 mars 2022, lui et d’autres militaires de la 76e division d’assaut aérien des forces aéroportées de la Fédération de Russie stationnées à Pskov, en Russie, ont été déployés à Boucha, une ville située à cinq kilomètres d’Irpin. 

Selon un media russe, en décembre 2022, Kartashov a été condamné à une peine avec sursis pour désertion. Il a ensuite été renvoyé combattre en Ukraine. Le jeune homme était revenu de la zone de combat sans autorisation, chez lui, dans la région de Rostov.

Tirez sur ceux vêtus de noir

Le 27 février 2022, entre 8 heures du matin et midi, le convoi de véhicules blindés de Kartashov et d’autres soldats roule dans la rue Vokzalna à Boucha, en direction de l’intersection avec la rue Nove Shosse. Kartashov est positionné au milieu du convoi, à environ 500 mètres du véhicule de tête. En tant qu’artilleur armé d’un fusil d’assaut, un canon d’artillerie automoteur 2S9 Nona-S, il est chargé de surveiller le périmètre.

L’officier supérieur, Vadim Tsvetkov, donne l’ordre par radio que toutes les personnes habillées en noir soient considérées comme des ennemis, bien que de nombreux civils ordinaires aient pu porter des vêtements noirs.

Selon l’acte d’accusation, l’ordre de l’officier Tsvetkov n’était pas conforme au droit international humanitaire car il ne respectait pas le principe de distinction et aurait pu faire des victimes civiles. Cependant, Kartashov et ses collègues officiers - le commandant d’artillerie Dmitry Antonnikov, le spécialiste du renseignement et télémètre Ruslan Gorshkov, le commandant adjoint du peloton Denis Monakhov et l’artilleur principal Artem Derkach - ont conjointement accepté d’exécuter l’ordre, après « être parvenus à un accord tacite basé sur la confiance mutuelle et la loyauté au sein de la formation militaire ».

Exécution d’un agent de sécurité non armé 

Environ trois minutes après que Tsvetkov eut communiqué l’ordre, Kartashov et ses collègues ont remarqué un homme en uniforme noir dans l’allée de la rue Vokzalna, près du magasin Novus. Il s’agissait d’un agent de sécurité du supermarché, Valeriy K., né en 1996, un civil qui ne participait pas aux hostilités et qui n’était pas armé. Il se tenait bien en vue entre l’arrière du magasin Novus et un immeuble résidentiel.

Entre 10h30 et 10h40, Kartashov, Monakhov, Derkach, Antonnikov et Gorshkov ont ouvert le feu avec des fusils d’assaut. L’un des tirs a infligé une blessure à la poitrine du garde, perforant son poumon droit. La victime est décédée entre 10h40 et midi dans le sous-sol du magasin Novus. Les Russes ont continué à rouler en formation de convoi. 

Après le départ des Russes de Boucha, un charnier a été exhumé sur le terrain de l’église orthodoxe ukrainienne. Parmi ces corps, se trouvait celui de Valeriy K. L’identification de la victime a permis de découvrir qu’il avait réussi à appeler une ambulance à l’aide de son téléphone portable avant de se rendre dans le sous-sol du magasin, où d’autres employés ont tenté de l’aider avant qu’il ne meure.

L’officier qui a donné l’ordre SERAIT mort

L’identité des assassins est restée inconnue jusqu’à ce que Kartashov soit fait prisonnier près de la ville de Kreminna, dans la région de Luhansk, à l’Est de l’Ukraine, au début de l’année 2023. Il aurait alors avoué ce qui s’était passé. 

L’accusé Nikolai Kartashov, lors de la reconstitution de la scène de crime organisée par les enquêteurs ukrainiens.

La police a mené l’enquête, notamment en organisant une reconstitution de la scène du crime en présence de Kartashov, avant de publier un communiqué de presse indiquant que le prisonnier de guerre confirmait les crimes commis par les soldats de son unité.

Lorsque les audiences préliminaires ont commencé en septembre 2023, les quatre autres soldats - Monakhov, Derkach, Antonnikov et Gorshkov – ont fait l’objet de notifications de suspicion par contumace pour le meurtre de l’agent de sécurité du supermarché de Boucha. Quant à Tsvetkov, qui aurait donné l’ordre criminel, les médias russes ont rapporté en janvier 2023 que l’officier était « mort dans la zone de l’opération spéciale en Ukraine ».

Kartashov plaide coupable

Kartashov plaide coupable, mais refuse de témoigner devant le tribunal. Il est représenté par son avocat, Mykola Motruk, au titre de l’aide juridictionnelle. L’accusé risque de 15 ans de prison à la réclusion à perpétuité pour avoir violé les lois et coutumes de la guerre. 

Malgré la coopération de Kartashov à l’enquête, le procureur a déclaré au tribunal qu’il ne considérait pas de circonstances atténuantes. Le procureur disposerait de sept témoins : des habitants de Boucha, dont des collègues du défunt qui se trouvaient à proximité au moment de la fusillade, des habitants des maisons voisines et un homme qui a identifié le corps de la victime. Mais aucun d’entre eux n’est un témoin oculaire du crime.

Le procès doit reprendre à la fin du mois de décembre. Le tribunal commencera par examiner les preuves écrites. Ensuite, une vidéo de la reconstitution de la scène du crime et une vidéo de 15 minutes des véhicules militaires roulant dans la rue, filmée le jour du crime présumé par un habitant de Boucha depuis son balcon, seront examinées. Le juge a expliqué à Kartashov qu’il pouvait s’exprimer à tout moment durant le procès s’il le souhaitait. Il lui a aussi rappelé qu’il avait le droit de ne pas témoigner contre lui-même. 

Fin août 2023, le même tribunal municipal d’Irpin avait déclaré neuf militaires russes coupables de crimes de guerre commis à Boucha, en mars 2022. Ce premier procès par contumace était le premier à avoir eu lieu à la suite des enquêtes menées en Ukraine sur les crimes infâmes perpétrés à Boucha, qui ont choqué le monde entier. 


Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».