Un procès pour génocide et crimes contre l'humanité a été ordonné à Paris contre un commerçant hutu rwandais, installé en France depuis 2009 et accusé d'avoir participé à l'exécution de civils tutsi à une barrière entre avril et juillet 1994 au Rwanda.
Madjaliwa Safari, 59 ans, sera jugé par la cour d'assises spéciale pour l'exécution de civils tutsi, dont des enfants, dans l'actuelle province rwandaise du Sud, en particulier dans les ex-préfectures de Gitarama et Butare, selon l'ordonnance de mise en accusation signée jeudi et consultée vendredi par l'AFP.
Il est soupçonné d'avoir été "l'un des gardiens de la barrière +Chez Premier+ dont il a été l'un des responsables en ordonnant la commission de crimes contre les personnes du groupe ethnique tutsi", précisent les juges d'instruction français.
Les barrières installées lors du génocide avaient pour objectif de contrôler l'ethnie des personnes via leurs papiers d'identité et d'exécuter les personnes issues de la minorité tutsi.
"M. Safari conteste catégoriquement les accusations de génocide et crimes contre l'humanité (...) et m'a chargé d'en relever appel", a annoncé à l'AFP son avocat, Me Philippe Meilhac, dénonçant selon lui "la dimension de plus en plus politique" du "traitement des dossiers de ressortissants rwandais poursuivis au titre de la compétence universelle" de la France.
"Je constate - sans surprise, car c'est une constante dans ces dossiers - que les juges d'instruction ont suivi religieusement les réquisitions qui se fondent pourtant sur des témoignages particulièrement peu crédibles, qui émanent pour l'essentiel de personnes condamnées pour des faits similaires à ceux reprochés à mon client", a-t-il estimé.
Le Parquet national antiterroriste français (Pnat) avait requis un procès pour génocide et crimes contre l'humanité à l'encontre de M. Safari le 29 octobre.
Les magistrats instructeurs ont en revanche ordonné un non-lieu pour participation à une entente établie dans le but de la préparation des crimes de génocide et de crimes contre l'humanité ainsi que pour d'autres séries de meurtres.
Selon les éléments de l'enquête, le tribunal populaire rwandais (gacaca) a condamné en 2007 Madjaliwa Safari, qui était commerçant à Nyanza, à 15 ans d'emprisonnement. Il n'a pas exécuté sa peine, selon une source proche du dossier.
En 2019, sur la base d'un mandat d'arrêt émis en juillet 2017 par le procureur général du Rwanda, les autorités rwandaises ont demandé à la justice française de l'extrader, ce qu'elle a refusé de faire.
Le Pnat, compétent pour les crimes contre l'humanité, a néanmoins confié des investigations à un juge d'instruction spécialisé en novembre 2019.
Madjaliwa Safari a été arrêté en juillet 2023, inculpé et incarcéré.
Il vivait depuis 2009 avec sa famille près de Tours (centre de la France), où il gérait un magasin et était titulaire du statut de réfugié depuis 2017.
- Fusil, gourdin, machette -
Lors de son premier interrogatoire, Madjaliwa Safari a admis avoir gardé la barrière de Bigega, dite "Chez Premier", "car c'était obligatoire à ce moment-là" pendant "2-3 semaines". Mais il conteste y avoir joué un rôle particulier, affirmant avoir dû s'occuper de son père, blessé, et ne pas avoir pu circuler librement dans la région.
Des témoins ont raconté l'avoir vu avec un fusil ou des "armes traditionnelles comme un gourdin, une machette, un bâton, une petite hache", selon l'ordonnance de mise en accusation. Ils affirment qu'il était l'adjoint du chef, aujourd'hui décédé.
"La mise en cause de Madjaliwa Safari comme gardien, responsable de la barrière +Chez Premier+ et donneur d'ordre par les nombreux témoins précités est constante", estiment les juges d'instruction, rappelant que "la tenue d'une barrière" avait pour objet "l'élimination des personnes Tutsi".
M. Safari est notamment accusé "d'avoir participé aux attaques meurtrières du clan des Abakano", composé de Tutsi, ce qu'il conteste.
Le génocide des Tutsi au Rwanda, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir, a fait près d'un million de morts entre avril et juillet 1994. Ce processus d'extermination systématique a visé sans distinction la minorité tutsi: voisins, amis, hommes, femmes, enfants, vieillards mais aussi des Hutu modérés.