Le parcours militaire contrarié de Taras F. débute le 19 février 2022, lorsqu’il reçoit sa convocation. Trois jours avant l’invasion militaire généralisée de l’Ukraine par la Russie, l’auto-proclamée République populaire de Donetsk (DNR) annonce la « mobilisation ».
Taras est né dans la ville de Zuhresa, dans la région de Donetsk. Une ville contrôlée par les occupants russes depuis 2014, comme l’accusé le confirme au tribunal de district de Kostopil chargé de le juger, dans la région de Rivne (nord-ouest de l’Ukraine).
Taras se présente au centre de recrutement le jour même et se voit remettre un uniforme et des munitions. Il est envoyé dans la ville occupée de Horlivka, où il rejoint le 101e régiment de fusiliers du 1er corps d’armée de la DNR. Puis, du 1er au 10 mars 2022, Taras est formé dans une base d’entraînement de la région russe de Belgorod.
Désertion des armées de la DNR et de l’Ukraine
Ensuite, il est envoyé se battre en Ukraine. Selon l’enquête, son travail consistait à mettre en place des points de contrôle, à inspecter les véhicules, à contrôler les habitants et à exécuter les ordres de son commandant.
L’accusé raconte que, le 30 mai 2022, il est blessé et hospitalisé. Après avoir été soigné, il décide de ne pas reprendre le service. Au lieu de cela, il se rend en Russie, en Estonie et en Pologne, à la recherche d’un emploi.
Le 29 septembre 2023, Taras s’installe à Kyiv.
Cependant, en novembre 2023, en raison de la mobilisation en Ukraine, il décide de quitter le pays pour la Pologne. Mais il est arrêté à la frontière, où il reçoit une carte d’identité militaire, et est envoyé à la base d’entraînement de Rivne.
Le 13 mars 2024, Taras quitte l’unité militaire sans autorisation : comme il l’a déclaré à la barre, il voulait se rendre en Biélorussie et, de là, retourner auprès de sa mère dans la partie occupée de la région de Donetsk, car celle-ci est malade et a besoin d’être soignée.
Le même jour, il est arrêté par la police militaire ukrainienne. Taras est accusé d’avoir violé deux articles du code pénal ukrainien, qui sanctionnent la haute trahison et la désertion.
Déclarations de témoins et relevés téléphoniques
Les preuves présentées au tribunal incluent le témoignage d’un employé de l’administration du district de Novooleksandrivka, dans la région de Kharkiv, ainsi que les déclarations du chef du district et d’un employé d’une entreprise locale de service public. Ils ont reconnu Taras et ont déclaré qu’au printemps 2022, ils l’avaient vu armé, aux postes de contrôle de Novooleksandrivka qui était tenus par les occupants à l’époque, en train d’inspecter des véhicules.
Une liste des militaires du 101e régiment de fusiliers de la DNR et un tableau manuscrit avec les noms des soldats, comprenant le nom de l’accusé, ont également été apportés comme éléments de preuves. Des photos de Taras ont permis par ailleurs d’identifier plusieurs autres militaires ayant combattu aux côtés de la Fédération de Russie.
Le programme « On vous attend à la maison »
Les enquêteurs ont analysé les recherches effectuées par l’accusé sur son téléphone : « franchir la frontière dans des circonstances familiales » ; « centrale thermique de Zaporizhzhia » ; « usines militaires à Kyiv » ; « vivre dans le territoire occupé ». En outre, Taras cherchait des informations sur un programme intitulé « On vous attend à la maison ».
Ce programme a été lancé par le service de sécurité de l’Ukraine en août 2015. Son objectif est de ramener sur le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien ceux qui ont refusé de collaborer avec les Républiques populaires de Louhansk (LNR) ou de Donetsk (DNR). Le programme a été élaboré pour ceux qui, sans se rendre compte de l’illégalité de leurs actes, sont allées « servir » dans les armées de la « DNR » ou de la « LNR », n’ont pas commis de crimes graves (meurtre, torture, viol, etc.), et qui plaident coupables.
« Circonstances difficiles »
Au cours du procès, Taras s’est repenti et il a déclaré qu’il avait servi dans l’armée de la DNR en raison de « circonstances difficiles », car il vivait dans le territoire temporairement occupé depuis 2014. Il a aussi demandé au tribunal de ne pas confisquer ses biens. Mais les enquêteurs ont eu accès à une correspondance Skype entre Taras et sa mère, dans laquelle il écrivait qu’il voulait quitter le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien.
C’est ainsi que, le 15 novembre 2024, Taras a été reconnu coupable de haute trahison et de désertion par le tribunal de district de Kostopil, qui l’a condamné à 12 ans de prison. L’accusé a également été condamné à une amende de près de 8.000 UAH pour couvrir les frais d’enquête. Au 30 novembre, aucun recours n’avait été déposé ni par l’accusé ni par son avocat, qui a participé aux audiences par vidéoconférence.
Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Free Radio ».