En Namibie, la robe Herero, enrobée de mystère, traverse le temps

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La grandiose robe traditionnelle des femmes Herero, inséparable de sa coiffe à cornes, a survécu à un génocide et l'usure du temps en Namibie. La tenue inspirée des premiers occupants allemands perdure grâce à des couturiers ravivant cette culture.

Une demi-douzaine de portraits de sa défunte mère parée d'autant de robes turquoises de sa confection ornent la maison appartenant désormais à McBright Kavari dans le quartier Herero de Katutura, le principal township de Windhoek, capitale de ce pays d'Afrique australe.

Au fond, est niché son atelier de quelques mètres carrés rognés par les piles de tissu à première vue quelconque qu'il métamorphose en trésor de raffinement qu'est ce vêtement nommé Ohorokova: magie laborieuse de l'artisanat.

"Étant moi-même Herero, j'ai senti que, pour garder la robe en vie, il fallait sortir des sentiers battus, la modifier et la rendre attrayante pour les jeunes", explique-t-il à l'AFP.

Styliste le plus renommé du pays, il a exposé ses créations lors de défilés en Chine, en Ethiopie, au Ghana et en Allemagne, l'ex-puissance coloniale ayant commis sur les Herero le premier génocide du XXe siècle selon un consensus d'historiens.

Au moins 60.000 Herero et 10.000 Nama sont morts entre 1904 et 1908 dans ce territoire d'Afrique australe, tués par les armes ou les camps de concentration. Soit 80% de la population Herero d'alors, selon certains historiens.

Où qu'il aille présenter ses collections, McBright Kavari emporte toujours une ou deux de ces robes traditionnelles: "Je veux les montrer au monde entier pour faire connaître notre peuple Herero. Car une fois qu'elles sont sur le podium, tout le monde est fasciné et veut en savoir plus, explique-t-il. C'est aussi très lié à l'histoire."

Celle de l'Ohorokova est enrobée de mystère. D'inspiration victorienne, elle aurait été transmise aux femmes Herero au contact des premiers missionnaires au début du XIXe siècle. Elles portaient auparavant des tabliers de cuir longs, avec déjà le souci comme Ohorokova de dissimuler le corps.

"Mais nous ne savons pas si c'était un choix d'adopter cette robe, ou si c'est arrivé par la force. Il y a deux écoles à ce sujet", résume à l'AFP Maria Caley, conférencière en mode à l'Université de Namibie.

Reste un paradoxe: que cette tenue au coeur de l'identité des Herero découle de ceux devenus leurs bourreaux. Mais pour cette experte, les robes sont désormais "complètement différentes" de celles des femmes des premiers missionnaires.

- Cornes pop -

"Quand on adopte quelque chose, on le décline à sa façon pour représenter une part de soi-même", décrypte-t-elle. "Même les traditions ont été inventées à un moment puis elles ont évolué au fil du temps."

C'est le cas de la coiffe traditionnelle massive, l'Otjikaiva, rappelant un bicorne ou tricorne, qui n'a pas toujours été aussi encombrante. "Elle était autrefois très ronde et épaisse, pas très large par rapport à la tête, mais elle est devenue très fine et très stylisée pour rappeler les cornes d'une vache", décrit Maria Caley.

"Nous sommes un peuple connu pour son bétail, ça en dit plus sur notre identité", défend McBright Kavari aux couvre-chefs monumentaux.

Ils sont loin d'être sa seule innovation, le couturier a taillé dans les jupons qui pouvaient compter jusqu'à six couches, dans les manches aussi, parfois tout simplement abandonnées.

Cliente à la trentaine de robes, Yamillah Vetarapi Katjirua, 50 ans et des exemplaires couleur chair, aigue-marine ou lapis lazuli dans son vestiaire, trouve l'"équilibre très bon entre la modernisation et le respect". Même si l'"exposition du corps" ou "le décolleté" restent "traditionnellement presque non négociables", selon elle.

La cible de "nombreuses critiques", entre autres pour un serpent inséré sur la coiffe de la représentante namibienne au concours Miss Univers, McBright Kavari rappelle que "les gens n'acceptent pas facilement le changement."

"Si tout le monde a l'impression qu'il faut se positionner, je pense que ça montre que la culture est vivace", observe Maria Caley alors que les Herero n'étaient que 179.000 en Namibie lors du recensement de 2023, soit moins de 6% de la population.

"Avec le temps", veut croire McBright Kavari, "ils comprendront que je suis quelqu'un faisant en sorte que les gens sachent qu'il y a une tribu en Namibie qui parle le Herero."