Jimmy Carter laisse en legs une paix solide mais sans chaleur entre Israël et l'Egypte

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Une paix solide, quoique sans amitié, entre Israël et l'Egypte est le principal legs laissé par l'ancien président américain Jimmy Carter, décédé dimanche près d'un demi-siècle après avoir négocié un traité historique entre les deux pays.

"Depuis 45 ans, nous n'avons pas eu de guerre mais je n'irai pas jusqu'à dire que c'est une paix", affirme à l'AFP Ruth Wasserman Lande, une ancienne diplomate israélienne au Caire.

Depuis des décennies, les anciens belligérants entretiennent des échanges commerciaux et énergétiques, une collaboration en matière de sécurité et des relations diplomatiques.

Pour la majorité des habitants du pays le plus peuplé du monde arabe, Israël reste toutefois l'ennemi, et la solidarité avec les Palestiniens a été galvanisée par la guerre à Gaza.

Les responsables gouvernementaux égyptiens évitent pour leur part de faire clairement référence à Israël dans leurs interventions.

Et le flux de vacanciers israéliens vers la péninsule du Sinaï - que le traité a restituée à l'Égypte - s'est tari en octobre 2023, avec l'attaque du mouvement islamiste palestinien Hamas contre Israël et le début de la guerre dans la bande de Gaza.

Mais bon an mal an, l'accord de 1979, qui a fait de l'Égypte le premier pays arabe à reconnaître Israël, survit toujours comme le traité de paix le plus important de la région.

D'autant qu'à la clé, l'Egypte bénéficie d'une aide militaire américaine de 1,3 milliard de dollars par an.

Lundi, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ont tous deux rendu hommage à l'héritage diplomatique du défunt lauréat du Nobel de la paix.

- "Biaisé" ou "juste"? -

Même si les analystes s'accordent à dire que la remise en cause du traité n'est pas à l'ordre du jour, la paix ne s'est pourtant jamais mue en amitié.

Un demi-siècle après avoir marqué l'histoire en serrant la main, en septembre 1978 à Camp David, du président égyptien Anouar al-Sadate et du Premier ministre israélien Menahem Begin, M. Carter est perçu différemment de chaque côté de la frontière.

Le 6 octobre 1981, Anouar al-Sadate était assassiné par des islamistes égyptiens, pour qui il avait commis une trahison méritant la mort.

Côté israélien, "ces dernières décennies, les critiques de Carter de la politique israélienne ont conduit une partie importante de l'opinion publique à considérer son attitude comme partiale et déséquilibrée vis-à-vis d'Israël", estime Ofir Winter, chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale de l'Université de Tel Aviv.

L'ex-président américain s'était fortement opposé à l'essor des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, et accusé Israël d'y mener une politique d'apartheid. Il avait publié en 2006, un livre intitulé "Palestine: Peace Not Apartheid" (La paix pas l'apartheid).

En 2015, Benjamin Netanyahu avait refusé de le rencontrer lors d'une visite en Israël.

A l'inverse, Mustapha Kamel al-Sayyid, professeur de sciences politiques à l'université du Caire, pense qu'il restera dans les mémoires comme "le président américain qui s'est montré le plus juste envers les Arabes".

- "Personne ne veut la guerre" -

Au Caire, aucun drapeau israélien ne flotte plus, depuis que des manifestants ont pris d'assaut l'ambassade israélienne dans le sillage du soulèvement égyptien de 2011.

A son retour en 2015, la mission diplomatique israélienne a commencé à opérer depuis la résidence de l'ambassadeur dans le quartier chic de Maadi, au sud du Caire.

Près d'une décennie plus tard, les autorités israéliennes n'ont pas d'adresse officielle dans la capitale égyptienne, mais un coin de rues de Maadi est bloqué par un cordon de sécurité depuis des années.

Un policier ordonne aux passants de faire le tour du pâté de maisons, où seul un petit panneau en hébreu dépasse des arbres.

Selon M. Winter, Le Caire retarde aussi, depuis 2024, l'accréditation du nouvel ambassadeur d'Israël, dans l'attente d'"un climat politique qui permettrait au président égyptien de le recevoir en public".

L'Egypte, elle-même alliée clé des États-Unis et parmi les principaux récipiendaires de l'aide militaire de Washington, marche sur une corde raide diplomatique depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.

Elle a accusé à plusieurs reprises Israël de crimes de guerre à Gaza, tout en cherchant à maintenir son rôle de médiateur en vue d'un cessez-le-feu.

Selon l'historien Tewfick Aclimandos, du Centre égyptien d'études stratégiques, "l'Egypte tient fermement au traité de paix comme à un choix stratégique". "Ce n'est pas par amour pour Israël... mais personne ne veut une guerre", dit-il à l'AFP.