« La semaine prochaine, nous présenterons une loi bipartisane qui interdira aux pays coopérant avec la Cour [pénale internationale] de faire des affaires avec l'Amérique. Cela modifiera fondamentalement le paradigme existant, et je suis insensible à toute pression internationale », a déclaré le sénateur américain Lindsey Graham, dans un entretien au journal Israel Hayom, publié le 19 janvier 2025.
Les sanctions sont officiellement conçues pour modifier un comportement, explique Adam Keith, aujourd'hui directeur des questions de justice à Human Rights First, une ONG, et précédemment conseiller politique principal au Bureau de la justice pénale internationale du département d'État américain. En ce qui concerne la Cour pénale internationale (CPI), explique-t-il, « l'un des objectifs des sanctions est de rendre la CPI ou ses représentants radioactifs ». Les sanctions américaines fonctionnent précisément parce qu'elles ont un grand pouvoir financier : « Si vous ciblez des individus ou une entité, une institution basée en Europe occidentale, profondément intégrée dans les économies occidentales, les sanctions peuvent être assez puissantes pour convaincre les banques ou d'autres institutions de ne pas faire d'affaires avec une institution ou un établissement qui compte des individus figurant sur la liste des sanctions américaines. »
« Si des sanctions sont imposées contre vous, tous vos actifs, toutes vos transactions financières en dollars américains sont gelés. Or, environ 90 % des transactions financières mondiales sont effectuées en dollars », fait remarquer Milena Sterio, professeure de droit à l'Université d'État de Cleveland et directrice du Public International Law and Policy Group (PILPG), une ONG juridique. « Ainsi, lorsqu'ils parlent de sanctions, les experts en la matière parlent d'une mort civile pour la personne sanctionnée en raison des charges qui lui sont imposées », ajoute-t-elle.
Cela fait partie de l'intention, selon Todd Buchwald, ancien ambassadeur américain pour la justice internationale au cours de la dernière année de la présidence d'Obama et des six premiers mois du premier mandat de Trump. « Les institutions financières peuvent être réticentes à faire des affaires avec les personnes soumises à des sanctions, même si ces affaires ne sont pas réellement couvertes par les sanctions », explique-t-il. « En d'autres termes, les institutions financières – par simple prudence commerciale – ont intérêt à ne pas s'approcher de cette ligne et à simplement couper les relations avec la CPI. »
Ce qui change par rapport à 2020
Un certain nombre d'éléments font que les sanctions attendues de la part de la nouvelle administration Trump sont différentes de celles que Trump a émises en 2020 dans un décret. [A l'heure où nous publions, Trump a déjà rétabli son décret de 2020 au premier jour de sa nouvelle présidence, le 20 janvier 2025, selon la presse israélienne.] « Cette fois-ci, elles ont reçu le soutien de membres du Congrès. De plus, malheureusement, 45 démocrates ont voté pour », note Harold Koh, ancien conseiller juridique au département d'État.
Dans la pratique habituelle des sanctions, « une entreprise, une institution ou un individu peut être sanctionné s'il effectue l'activité sanctionnable décrite dans le décret ou dans la législation », explique Keith. En 2020, Trump s'est appuyé sur les pouvoirs existants en matière de sanctions pour publier son décret. Mais cette fois-ci, le Congrès pourrait leur fournir une autorité différente. Selon Sterio, le projet de loi déjà adopté par la Chambre des représentants et qui « sera, selon toute vraisemblance, adopté par le Sénat, sera pire [que la dernière fois], car le régime de sanctions est très large ». Elle souligne aussi que, la dernière fois, c'était « l'autorité discrétionnaire du président en tant que commandant en chef qui imposait les sanctions », alors que « cette fois-ci, ce projet de loi stipule que "le président doit sanctionner". Par conséquent, si ce projet de loi devient une loi, le président aura les mains liées ».
Les États-Unis vont-ils cibler des citoyens britanniques ?
Toutefois, un point essentiel est de savoir qui Trump sanctionnerait réellement, explique Sterio. « Le président a toujours la possibilité de dire "je sanctionne les individus X, Y et Z". »
Dans les circonstances actuelles, Karim Khan, le procureur de la CPI, est un ressortissant britannique. Les deux principaux responsables de l'enquête sur la Palestine, qui se tenaient derrière Karim Khan dans sa vidéo annonçant les mandats d'arrêt en mai dernier, sont Brenda Hollis, une citoyenne américaine qui ne peut être inscrite sur une liste des sanctions car celle-ci ne concerne que les ressortissants étrangers, et Andrew Cayley, du Royaume-Uni. Londres utilisera-t-elle son statut d'alliée proche pour protéger ses citoyens ? « De nombreuses personnes pensent que, comme il s'agit de citoyens britanniques, le président ne s'en prendrait pas à eux. La dernière fois, il s'agissait d'une Gambienne [Fatou Bensouda, procureure de la CPI] et d'un citoyen du Lesotho. Ce sont des pays dont les États-Unis se soucient moins. Mais sanctionner des citoyens britanniques serait un geste sans précédent. »
Après avoir discuté avec d'autres personnes du milieu, Sterio raconte que « certains espèrent que le président exercera davantage de discrétion sur les personnes qu'il sanctionne ». Par conséquent, poursuit-elle, « si nous parlons d'un nombre plus limité de personnes sanctionnées, alors la Cour peut continuer à exister ».
Mais Keith émet une réserve sur la protection relative de Hollis en tant que citoyenne américaine : « En tant qu'Américaine, si elle continue à travailler pour un procureur figurant sur la liste des sanctions, elle pourrait faire l'objet de sanctions civiles ou pénales de la part du département du Trésor », dit-il. « Il s'agit là d'une sorte d'effet secondaire. »
Les citoyens américains pourront-ils continuer à traiter avec la CPI ?
Les effets des sanctions sur les citoyens américains s'étendraient bien au-delà des Américains qui travaillent au tribunal, à ceux qui travaillent auprès de lui, explique Sterio : « Si vous travaillez avec une personne sanctionnée, vous vous exposez, en tant que citoyen américain, à des amendes et des sanctions civiles et pénales – des amendes civiles pouvant aller jusqu'à 250.000 dollars et des sanctions pénales pouvant aller jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. Il s'agit donc de sanctions très, très graves. »
Ainsi, si certaines personnes sont inscrites sur la liste des sanctions et qu'« une ONG américaine apporte un soutien personnalisé au procureur sous la forme d'un dossier qu'il utiliserait dans le cadre d'une enquête, cela peut entraîner des sanctions », explique Keith. « Les Américains ne peuvent pas être inscrits sur la liste des sanctions, mais peuvent être frappés d’une autre manière. L'effet est donc de criminaliser des formes élémentaires de défense des droits de l'homme s'il s'agit de prendre la documentation de votre ONG et de la partager avec ce qui est peut-être le seul tribunal compétent ou le seul tribunal qui enquête réellement sur une situation. »
La dernière fois, en 2020, Sterio s'était jointe à un groupe pour contester les sanctions car, en tant que binationale, elle aurait pu être empêchée de fournir « enseignement, formation, conseil et autres formes d'assistance à la CPI », ainsi qu'aux personnes sanctionnées. Cette fois-ci, cette faille – le terme vague de « personnes étrangères » dans le décret, qui pouvait être interprété comme signifiant « double nationalité » – a été réparée. Mais Sterio pourrait encore aller au combat. « Même si je ne risque pas personnellement d'être sanctionnée, si je continuais à être en contact avec le tribunal, je risquerais d'être condamnée à une amende civile ou d'être poursuivie et emprisonnée. Beaucoup d'entre nous seraient prêts à intenter un nouveau procès, car tous les arguments de la dernière fois sont encore valables. L'autre solution consisterait évidemment à dire que, pendant les quatre prochaines années, je ne vais pas vraiment m'engager auprès de la Cour. Je pense que la plupart d'entre nous ne voudraient pas faire cela. Tout d'abord, c'est mon travail, c'est ce que je fais. Mais aussi par principe, car je crois que c'est en quelque sorte la solution la plus lâche. »
Une menace potentielle pour l'existence même de la Cour
En observant la Cour de plus près, Keith note un certain nombre de personnes clés qui pourraient faire l'objet de sanctions pour leur rôle dans l'exécution des mandats d'arrêt contre la Palestine, mais dont la nationalité pourrait inciter leurs gouvernements à réagir vivement. « L'une des raisons pour lesquelles nous avons soutenu que les sanctions étaient une mauvaise idée, dit-il, est que cela oppose les États-Unis à certains de leurs alliés les plus proches car, outre le procureur britannique, les trois juges de la chambre préliminaire [qui a autorisé les mandats d'arrêt] comprennent un Français et un Slovaque. De nombreuses personnes qui ont publiquement soutenu l'enquête du procureur sont également issues de grands alliés européens. »
« La législation du Congrès est un peu plus large dans son champ d'application personnel que le décret de 2020 », explique Keith. « Le décret de 2020 soumettait essentiellement la CPI aux sanctions dans ses enquêtes sur le personnel américain ou sur certains personnels alliés. Cette [nouvelle] législation parle, au lieu de personnels, de « ressortissants et résidents ». Elle est donc beaucoup plus large. Et c'est là que réside une part curieuse de la portée de cette législation. En effet, elle ne se concentre pas uniquement sur les fonctionnaires. Elle s'applique à toute personne du pays ou à toute personne résidant dans le pays. »
Si les sanctions s’avèrent plus larges, alors Sterio estime que la situation est différente. « Parce que ce qui est vraiment très effrayant cette fois-ci, c'est que des entreprises comme, par exemple, Microsoft ou les services d'interprétation qui fournissent une assistance au tribunal, s'exposent également à des risques. Ils pourraient dire au tribunal : "Nous ne voulons plus travailler avec vous. Le risque, voyez-vous, n'en vaut pas la peine pour nous. Si cela devait se produire, le tribunal aurait beaucoup de mal à continuer d’exister. Tout le monde espère donc que nous n'en arriverons pas là et que le nombre de personnes sanctionnées sera plus limité. S'il s'agit, disons, de quatre ou cinq personnes du bureau du procureur, c'est évidemment horrible pour elles, mais le tribunal peut continuer d'exister. »
Un risque pour l'enquête sur les Philippines ?
Les discussions de couloir avec les diplomates lors de la réunion annuelle de la CPI, début décembre à La Haye, ont montré à quel point la Cour et ses partisans prennent la menace au sérieux. Les banquiers de la Cour se sentiront-ils capables de continuer à servir l'institution ? Comment les salaires, la sécurité et les communications seront-ils financés et payés ? C'est aux États membres de la CPI qu'il incombe de mettre en place un plan avec un grand "P" », déclare Keith. « On voit beaucoup d'ONG plaider pour encourager les États parties à défendre la Cour et à assurer la continuité de ses activités. »
« On peut supposer que les fonctionnaires de la Cour et d'autres personnes s'efforcent de trouver des solutions de contournement et de trouver un moyen de travailler sans passer par New-York pour effectuer des transactions en devises », explique Buchwald. Mais « je ne sais pas s'ils y parviendront ».
Selon Keith, les organisations de défense des droits utilisent cette portée excessive de la législation pour s'y opposer auprès des législateurs. La législation peut viser toute enquête de la CPI sur un État allié des États-Unis et qui n'est pas partie au statut. « Nous sommes opposés à la législation dans son ensemble, mais par de singuliers chemins elle va bizarrement au-delà de l'intention principale de se concentrer sur le comportement des États-Unis et d'Israël », explique-t-il. « En particulier, l'autre enquête en cours à la CPI que cette législation rendrait passible de sanctions pour la CPI et pour les ressortissants étrangers qui lui apporteraient un certain soutien est l'enquête sur les Philippines [La CPI enquête sur des crimes contre l'humanité présumés commis dans la soi-disant "guerre contre la drogue" sous l’égide de l'ancien président Duterte]. Et c'est pourquoi vous voyez beaucoup de signes d'inquiétude et de préoccupation, ces dernières semaines et mois, de la part des militants philippins. »
De même, « la CPI serait sanctionnée si elle enquêtait sur un Turc parce qu'il est originaire d'un pays allié de l'OTAN, d'un Égyptien ou de tout autre pays défini comme un allié majeur non membre de l'OTAN. Cela représente 16 pays, dont la moitié seulement a rejoint la CPI. »
La réputation des États-Unis
Buchwald estime que les sanctions « peuvent être très perturbantes, non seulement pour les personnes qui pourraient coopérer avec la CPI, mais aussi pour la réputation des États-Unis en tant que défenseur de l'État de droit ». « Sanctionner des professionnels qui travaillent sur la justice envoie un message incroyablement mauvais », affirme Kip Hale, directeur fondateur du projet ICC au Barreau américain, qui s'est concentré sur les relations entre les États-Unis et la CPI. Cela « dénigre injustement une institution où travaillent des Américains, des ressortissants de pays alliés et des professionnels de la justice dévoués venus d’ailleurs, une cour qui s'est fortement appuyée sur les idéaux et les principes américains ».
Jusqu'à présent, explique Keith, les sanctions américaines ont été « une boîte à outils flexible et parfois puissante », dont la légitimité et l'utilité ont reposé sur la compréhension du fait que « les actions qui attirent des sanctions sont des violations des droits de l'homme, des actes graves de corruption ». C'est pourquoi les ONG ont utilisé le régime des sanctions pour cibler les auteurs présumés de violations des droits de l'homme qui semblaient hors de portée des poursuites pénales. Keith supervise aujourd'hui le travail de Human Rights First qui coordonne une coalition d'ONG utilisant le Global Magnitsky Act [une loi bipartisane, adopté par le Congrès américain en 2012, visant à punir des responsables russes] et d'autres outils de sanctions ciblées pour faire rendre des comptes. « Ce que nous trouvons si choquant et consternant est de voir cet outil appliqué non pas contre les criminels de guerre présumés faisant l'objet d'une enquête, mais contre les fonctionnaires, les juges, les procureurs et les avocats spécialisés dans les droits de l'homme qui mènent ces enquêtes. Pour nous, il s'agit d'une sorte d'erreur de catégorie fondamentale que d'appliquer cet outil dans ce contexte et de cette manière. »
Koh souligne que « si vous attaquez la Cour au sujet d'Israël, vous ne pouvez pas vous réjouir de ses résultats sur la Russie et l'Ukraine. Et nous avons encore besoin d'elle pour faire rendre des comptes à la Russie ». « Il s'agit d'un signal très différent de la part du Congrès », déclare Buchwald, « qui a adopté il y a deux ans, avec un soutien bipartisan, une loi encourageant le gouvernement américain à soutenir l'enquête de la CPI sur la situation en Ukraine et prévoyant le financement de ce soutien ».
Quatre ans à survivre
Koh estime que des efforts pourraient être déployés au sein du Congrès pour « limiter les sanctions » (au moment de la publication, le projet de loi doit encore être soumis au Sénat). Mais Trump et son équipe peuvent également décider eux-mêmes d'émettre un décret. Koh souligne que les visites officielles aux États-Unis, pour l'Assemblée générale des Nations unies ou le Conseil de sécurité, pourraient permettre aux fonctionnaires de la CPI de « dire au monde à quel point les États-Unis nuisent à la Cour ». Il spécule sur le fait que, « selon l'allié dont Trump a particulièrement besoin à ce moment précis, cela pourrait le conduire à hésiter sur l'imposition de ces sanctions. Des personnes comme Marco Rubio, qui pourrait à ce moment-là être secrétaire d'État américain, et Elise Stefanik, qui a été mentionnée comme nouvelle représentante permanente de l'Onu à New-York, ne sont pas des voix modératrices aujourd'hui, mais ils sont plus aguerris, et ils pourraient être des voix modératrices le moment venu ».
Outre les différences qualitatives entre les sanctions de 2025 et celles d'il y a cinq ans, Keith estime que la différence majeure est « contextuelle ». « La dernière fois, l'administration chargée des sanctions n'avait plus que quatre mois de mandat lorsqu'elle a imposé les sanctions proprement dites. Cette fois-ci, elle a quatre ans. C'est catégoriquement différent pour la capacité de survie du tribunal, les opportunités d'escalade et de menaces d'extorsion. Je pense que c'est ce qui est le plus alarmant, le plus inquiétant de ce qui diffère entre la dernière fois et cette fois-ci. »
La première partie de cet article, qui revient sur l'historique des relations USA/CPI, est disponible ici.