Samuel Pisar, décédé lundi à 86 ans, avait survécu enfant à l'enfer de la Shoah, pour devenir un champion de la paix, avocat des relations commerciales Est-Ouest auprès de Kennedy et voix vibrante contre les fanatismes.
Samuel Pisar est né le 18 mars 1929 à Bialystok, dans le nord-est de la Pologne. Son enfance "très heureuse", entouré d'un père chef d'entreprise, d'une mère chanteuse et d'une soeur de quatre ans sa cadette, est brisée par la double invasion, allemande et soviétique, du pays.
La famille connaît l'enfer du ghetto, avant la déportation. A 12 ans, Samuel Pisar n'est qu'un "petit sous-homme que les nazis avaient condamné à mourir", comme il le racontera en 1979 dans son livre "Le sang de l'espoir".
Mais sa mère le sauve des chambres à gaz en lui mettant des pantalons longs, plutôt que des culottes courtes, le faisant ainsi passer pour un homme.
Matricule B-1713, il passe par les camps de Majdanek, Auschwitz et Dachau, affrontant les terribles marches de la mort en 1945, avant d'être découvert, "squelettique", par un tankiste américain dans un bois près de Munich.
Samuel Pisar a 16 ans. C'est un des plus jeunes rescapés des camps de la mort. Sa famille a été décimée, tout comme les 500 camarades de son école.
Pendant deux ans, il erre dans l'Allemagne occupée, vendant du café au marché noir. Recueilli par un oncle et une tante à Paris, il est envoyé dans une autre branche de la famille, en Australie.
C'est là qu'il va se reconstruire. Il se lance dans les études avec le même acharnement qu'il a mis à survivre dans les camps.
A Harvard, il publie une thèse de doctorat sur les problématiques de la coexistence entre l'Est et l'Ouest. Il gagne le prix de l'université, ce qui lui vaut d'être remarqué par un jeune sénateur: John Fitzgerald Kennedy.
- "Pisarisme" -
En 1959, JFK l'enrôle dans son équipe de campagne, puis fait de lui un conseiller pour la politique économique internationale quand il accède à la Maison-Blanche.
En 1961, il devient citoyen américain par vote du Congrès, une procédure exceptionnelle.
Samuel Pisar défend la thèse -- bientôt connue sous le nom de "pisarisme" -- selon laquelle la multiplication des échanges, notamment commerciaux, entre les Etats-Unis et l'URSS est un moyen de "moduler" la guerre froide.
Inlassablement, il combat les appréhensions des Américains, qui redoutent de consolider le système soviétique et la peur des Soviétiques, qui craignent l'influence de l'Ouest.
Ce polyglotte devient un des plus grands avocats internationaux, interlocuteur presque obligé dans la négociation des contrats commerciaux entre les deux grandes puissances. Il conseille des fondations, des firmes mais aussi des stars d'Hollywood comme Elizabeth Taylor, ou encore le pianiste Arthur Rubinstein et le fondateur d'Apple Steve Jobs.
Président-fondateur du comité français de l'Institut Yad Vashem (qui commémore à Jérusalem les morts de l'Holocauste), ambassadeur de l'Unesco pour l'enseignement de la Shoah et des génocides, ce père de quatre enfants se fait un devoir de témoigner que "l'homme est capable de tout quand il perd sa boussole morale", comme lors du procès de l'ancien haut fonctionnaire du régime de Vichy Maurice Papon en 1998.
Mais au contraire d'autres rescapés, il estime que la Shoah l'a "plié" sans le "briser" et son message est toujours teinté d'espoir dans la "ressource humaine", titre d'un des ses livres publié en 1983.
"La jeunesse du monde entier (...) a besoin de s'armer contre les dogmes, les idéologies, les faux dieux de l'Histoire. Enfermée dans le fanatisme nationaliste, raciste et religieux, elle retomberait dans l'âge des ténèbres", avertissait-il en 1999.