Hila Weisz-Gut, une Israélienne de 34 ans, est certaine que sa grand-mère, survivante du camp d'Auschwitz, blâmerait son choix de s'installer à Oswiecim, ville polonaise près de laquelle les Nazis allemands avaient construit leur usine de la mort, devenue symbole de l'Holocauste.
"Si elle était en vie, je pense qu'elle serait scandalisée de me voir vivre ici", dit à l'AFP cette diplômée en études sur l'Holocauste de l'Université d'Haïfa.
Il y a environ un an et demi, elle a suivi son futur mari polonais et s'est installée à Oswiecim, où vivent environ 40.000 personnes et dont le nom a été germanisé en Auschwitz par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale, quand ils ont occupé la Pologne.
"Souvent, on me pose la question +comment peux-tu vivre ici?+", reconnaît Mme Weisz-Gut, qui mène des recherches sur les communautés juive et polonaise de Oswiecim pendant l'entre-deux-guerres.
"J'explique alors qu'Auschwitz a eu lieu il y a 80 ans, alors qu'Oswiecim, c'est 800 ans d'histoire et qu'aujourd'hui c'est un bon endroit pour y vivre", dit la jeune femme, rencontrée au Café Bergson installé près du musée juif, à deux kilomètres à peine de l'ancien camp nazi libéré le 27 janvier 1945.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs constituaient plus de 60% de la population de la ville, alors qu'elle est aujourd'hui la seule juive à vivre à Oswiecim.
- "Ville européenne normale" -
Pour Janusz Chwierut, maire d'Oswiecim, sa ville et le camp où les nazis allemands ont exterminé environ un million de Juifs, ainsi que plus de 100.000 non-Juifs, "sont deux mondes à part".
Les Allemands avait construit le camp à Oswiecim "seulement pour des raisons de logistique, de transports, alors qu'ils auraient pu le faire partout ailleurs en Europe, en France, en Belgique, en Italie", explique-t-il.
"Bien sûr, cela nous a amenés, en tant que ville, en tant que résidents, à devenir en quelque sorte dépositaires de cette mémoire tragique que nous préservons soigneusement", dit-il, tout en défendant le droit de sa commune "à se développer normalement comme toute ville européenne normale, à prendre soin de ses habitants".
Pour Witold Urbanski, 44 ans, originaire d'Oswiecim, la ville commence à sortir de l'ombre d'Auschwitz.
Selon lui, récemment encore, on ne parlait de la ville que dans le contexte du camp et "tous les panneaux routiers ne pointaient que vers sa direction", se souvient-il.
"Aujourd'hui, la ville se développe et la situation économique et sociale des habitants s'améliore", dit-il, soulignant que sa génération "ne ressent plus une charge du passé aussi importante" que les personnes plus âgées.
Le musée du camp, qui emploie au total environ 850 personnes, est "un lieu de travail parmi les autres".
- Un "bon endroit" pour vivre -
A Brzezinka (Birkenau en allemand), commune voisine d'Oswiecim, les fenêtres de la maison du maire donnent sur le camp dit +Auschwitz 2+ et ses barbelés qui se détachent sinistrement de la neige fraîchement tombée.
Andrzej Ryszka a construit sa maison dans les années 1970 et n'a jamais pensé à déménager.
"A l'époque, on construisait là où on pouvait", explique-t-il, avouant n'avoir pas trop pensé à ce voisinage pesant. Il y a élevé trois enfants qui viennent toujours le dimanche pour déjeuner en famille.
Seuls les visiteurs, polonais ou étrangers, se disent parfois choqués par le voisinage auquel, lui, avoue s'être habitué.
"Le plus important, c'est de se rappeler ce qu'il s'est passé ici, les gens qui sont morts, et de transmettre cette mémoire d'une génération à l'autre pour qu'une telle tragédie ne se reproduise jamais ", déclare le maire qui, chaque année, participe à de nombreuses cérémonies commémorant les victimes du camp nazi.
"C'est cela qui compte, et non pas l'idée que les gens ne devraient pas vivre ici, insiste M. Ryszka. C'est tranquille ici, et on y a toutes les infrastructures nécessaires".
Hila Weisz-Gut entend son déménagement à Oswiecim aussi comme "un hommage" à sa grand-mère et une victoire de la vie sur la mort.
"Les Allemands ont essayé de tuer ma famille, mon peuple, tant d'autres gens. Ils n'y sont pas arrivés. Pour moi, c'est un accomplissement de vivre ici", dit-elle.
"Même si, au début, j'avais quelques doutes, aujourd'hui je me vois bien bâtir une famille ici. C'est un bon endroit pour élever la prochaine génération, insiste Mme Weisz-Gut. Et pour l'éduquer à la tolérance et à la lutte contre les discriminations".