Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a déclaré jeudi qu'il allait demander des mandats d'arrêt contre de hauts dirigeants talibans en Afghanistan pour la persécution des femmes, un crime contre l'humanité.
Karim Khan a affirmé qu'il existait des motifs raisonnables permettant de croire que le leader suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, et le chef de la justice Abdul Hakim Haqqani, portaient la "responsabilité pénale du crime contre l'humanité de persécution liée au genre".
Selon le procureur, "les femmes et les filles afghanes ainsi que les membres de la communauté LGBTQI+ sont en proie à des persécutions abjectes et répétées sans précédent de la part des talibans".
"Notre démarche consiste à dire que le statu quo qui prévaut pour les femmes et les filles en Afghanistan est inacceptable", a-t-il expliqué dans un communiqué.
Sollicitées par l'AFP, les autorités talibanes n'ont pas commenté dans l'immédiat.
Les juges de la CPI, qui siège à La Haye, doivent examiner la demande avant de décider d'émettre ou non des mandats d'arrêt, un processus pouvant prendre des semaines, voire des mois.
La CPI ne dispose par ailleurs pas de sa propre force de police et s'appuie sur la collaboration des 125 Etats membres pour exécuter ses mandats d'arrêt.
M. Khan a prévenu qu'il demanderait bientôt des mandats d'arrêt contre d'autres responsables talibans.
Il a également noté que d'autres crimes contre l'humanité étaient commis en Afghanistan, en plus de ces persécutions: "Toute résistance ou opposition supposée au régime taliban a été violemment réprimée, et continue de l'être, par la commission de crimes, dont le meurtre, l'emprisonnement, la torture, le viol et d'autres formes de violences sexuelles, la disparition forcée ainsi que d'autres actes inhumains".
- "Victoire" -
Shukria Barakzai, ancienne députée afghane et ex-ambassadrice en Norvège, a salué auprès de l'AFP "une victoire", "pour le féminisme en général et les femmes en Afghanistan en particulier", tandis que le rapporteur spécial de l'ONU Richard Bennett a loué une "étape cruciale pour que des comptes soient rendus".
Selon Human Rights Watch (HRW), l'initiative pourrait remettre le sort des Afghanes au coeur de l'agenda international.
"Il s'agit un moment important pour les femmes et filles afghanes qui ont attendu bien trop longtemps la justice", a déclaré à l'AFP Heather Barr, directrice adjointe des droits des femmes pour l'ONG.
Après avoir repris le pouvoir en Afghanistan en 2021, les talibans, qui imposent une version ultra-rigoriste de l'islam, ont promis de se montrer plus souples que lors de leur premier régime, entre 1996 et 2001, quand les femmes étaient privées de presque tous leurs droits.
Mais ils ont progressivement effacé les femmes de l'espace public, poussant l'ONU à dénoncer un "apartheid de genre".
Actuellement, les Afghanes ne peuvent plus étudier à l'école secondaire ou à l'université, aller dans les parcs, les salles de sports, les salons de beauté, ni quasiment sortir de chez elles sans chaperon.
Une loi leur interdit de chanter ou de déclamer de la poésie et les incite à "voiler" leur voix et leurs corps hors de chez elles.
Certaines radios et télévisions locales ont également cessé de diffuser des voix féminines.
- Critiques "infondées" -
Le gouvernement taliban, qui n'est reconnu par aucun Etat, assure que la loi islamique "garantit" les droits de chacun et que les critiques faisant état de discriminations sont "infondées".
L'émir Hibatullah Akhundzada, reclus dans son fief du sud de l'Afghanistan, est à l'origine de certaines des restrictions draconiennes imposées aux femmes.
Il a lui-même ordonné en décembre d'obstruer et de ne plus construire de fenêtres donnant sur des espaces résidentiels occupés par des Afghanes, estimant que cela pouvait conduire à de l'"obscénité".
Sexagénaire ou septuagénaire selon les sources, il a été nommé à la tête des talibans en 2016. Contrairement à de nombreuses figures talibanes, il n'est pas sur la liste des sanctions de l'ONU.
Proche du mollah Omar, fondateur des talibans, Abdul Hakim Haqqani a lui été négociateur au nom du mouvement lors de discussions avec des représentants américains en 2020.
D'après l'Union européenne, qui l'a placé sur sa liste de sanctions, il est né en 1967 dans la province de Kandahar (sud).