La justice transitionnelle en Australie a connu dix-huit mois mouvementés : une défaite totale au référendum "Voice to Parliament" (qui devait accorder des droits de représentation particuliers aux peuples autochtones), l'abandon du projet de commission vérité au plan national, les retards, l'inaction et les démissions au sein de la commission Yoorrook dans l’État de Victoria.
Le dernier coup en date a été porté en novembre, lorsque le nouveau gouvernement conservateur de l'État du Queensland, dans le nord-est de l'Australie, a mis fin à la commission naissante "vérité et guérison". Même si dans la confusion qui règne autour du statut de cette commission, un nouveau modèle de justice transitionnelle a brièvement émergé, les communautés indigènes ayant choisi de poursuivre leurs propres séances de vérité après l'annulation de celles organisées par la commission officielle.
La commission guérison du Queensland a été conçue comme une première étape sur la voie d'un traité entre les populations indigènes et le gouvernement de l'État, reproduisant un cadre similaire à celui établi par des juridictions dans l'ensemble du pays. Dans un format comparable à celui de la commission Yoorrook, dans l’État de Victoria (sud-est du pays), cette commission a tenu ses premières audiences en septembre dernier, au cours desquelles les ministres du gouvernement ont été invités à rendre compte des injustices perpétrées et perpétuées par leurs services à l'encontre des indigènes du Queensland.
Le président de la commission d'enquête, l'avocat autochtone Joshua Creamer, a déclaré que son objectif était « d'établir un dossier public faisant autorité sur le passé et ses conséquences ; de permettre une conversation honnête sur le passé et ce qui a été fait, et sur ce que nous voulons pour l'avenir ; et, ce faisant, d'aider au processus de guérison ».
Premières promesses avant le retour de bâton
Lors de cette première audience, sept représentants du gouvernement ont reconnu l'existence de politiques ayant causé dans le passé des préjudices importants et persistants aux populations indigènes de l'État. Le commissaire de la police du Queensland a reconnu les crimes de la « Native Police » (police des autochtones), une organisation paramilitaire dont les historiens estiment qu'elle a tué des dizaines de milliers d'indigènes au XIXe siècle..
Lors d'une deuxième audition, des anciens ont témoigné de leur vie sous le régime des « lois de protection », en vertu desquelles les familles autochtones étaient contraintes de vivre dans des missions religieuses ou contrôlées par le gouvernement, et les enfants souvent retirés de force à leur famille et confiés à des foyers non autochtones.
Au cours de ses 100 premiers jours, la commission d'enquête a indiqué qu'elle avait organisé plus de 60 réunions communautaires dans tout le Queensland, afin de sensibiliser la population et de préparer la tenue d'audiences sur les terres traditionnelles des autochtones. Mais alors que les représentants de la commission d'enquête parcouraient l'État, la campagne électorale touchait à sa fin. Le gouvernement travailliste en place de longue date dans l'État – qui a créé la commission d'enquête et dont les responsables au niveau fédéral ont défendu les efforts de justice transitionnelle avant le référendum - était sur le point d'être remplacé par l'opposition conservatrice.
Bien qu'il ait précédemment soutenu la mission de la commission d'enquête, le dirigeant conservateur David Crisafuli s'est désormais engagé à y mettre fin. Ce qui avait été, selon ses propres termes, « un catalyseur pour améliorer matériellement les conditions de vie [...] et esquisser une meilleure voie pour les communautés indigènes » est aujourd'hui quelque chose qui « conduira à plus de division et non à la réconciliation ».
Un engagement clé renié dans l'État de Victoria
Après la victoire des conservateurs aux élections d'octobre, la commission d'enquête a mis en veille son programme et le nouveau gouvernement lui a annoncé que sa loi d'habilitation serait abrogée. Creamer a alors déclaré que c'était « une occasion manquée pour l'État. (...) Il s'agit de la dernière génération en vie pour partager ces preuves et lorsqu'ils seront partis, ce sera perdu. (…) Les gens meurent littéralement avant d'avoir eu l'occasion de partager leur histoire ».
Cette suspension a entraîné l'annulation sans préavis d'audiences sur la vérité attendues de longue date dans les communautés indigènes. La commission d'enquête s'est d’abord engagée à poursuivre ses travaux, dans un climat de confusion quant aux intentions du gouvernement. Mais l’issue n'a pas traîné : au premier jour du nouveau parlement, fin novembre, la législation régissant la commission d'enquête a été abrogée, mettant ainsi fin à la première tentative de l'État en matière de justice transitionnelle après seulement cinq mois de fonctionnement.
L'annulation totale des efforts formels de recherche de la vérité dans le Queensland est l'exemple le plus spectaculaire du recul de la justice transitionnelle en Australie. Mais d'autres juridictions sont également revenues sur leurs engagements sous l'effet de pressions politiques à court terme.
Dans l'État de Victoria – désormais la seule juridiction dotée d'un mécanisme formel de justice transitionnelle – le gouvernement est revenu sur sa promesse d'augmenter l'âge minimum de la responsabilité pénale à 14 ans. Il s'agissait d'un engagement clé en réponse aux recommandations de la Commission Yoorrook, mais il a été annulé après que le gouvernement a pâti politiquement de son action sur la criminalité chez les mineurs. Eleanor Bourke, présidente de la commission, a déclaré que cette décision était « tellement contraire aux faits établis qu'elle est difficile à comprendre » et qu'elle entraînerait un « tsunami de déception » dans les communautés autochtones.
Cherbourg résiste
Dans le Queensland, cependant, tout le monde ne s'est pas résigné au retour de bâton. À Cherbourg – qui a été créée en tant que « réserve » en vertu de la "loi de protection" et dont la population est composée à 97 % d'autochtones – la communauté a choisi d'organiser sa propre audience de vérité. Dans cette ville située à 250 km de Brisbane, environ 200 personnes se sont réunies fin novembre pour écouter les récits de leur enfance sous le régime de cette loi, notamment la perte d'identité et de culture qui a accompagné l'éloignement forcé des familles et l'enfermement dans les soi-disant réserves aborigènes.
Lors de la cérémonie, qui s'est déroulée en public, le maire de Cherbourg, Bruce Simpson, a déclaré aux médias locaux que l'audience publique et auto-organisée était l'occasion de se réapproprier l'histoire de la communauté face au gouvernement. « C'est notre vérité. Nous voulons qu'elle soit déterminée par nous et que la politique ne la gouverne pas », a-t-il déclaré.